Jean-Pierre Thorn, “Faire Kiffer les anges”

Documentaire, 1997

Bella Lehmann Berdugo

p. 50-51

Référence(s) :

Faire Kiffer les anges. Jean-Pierre Thorn. Documentaire. France. 1997. 2h. DVD réédité chez JHR distribution. Disponible aussi sur catalogue du CNC sur demande, ou BNF.

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Bella Lehmann Berdugo, « Jean-Pierre Thorn, “Faire Kiffer les anges” », Revue Quart Monde, 259 | 2021/3, 50-51.

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Bella Lehmann Berdugo, « Jean-Pierre Thorn, “Faire Kiffer les anges” », Revue Quart Monde [En ligne], 259 | 2021/3, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10413

Dans les années 80, dans les souterrains en banlieue des villes, des jeunes supposés inaptes, échappés de l’école de la République, ont inventé la danse hip-hop en France, mêlant break-danse, rap, et créé un mouvement artistique rebelle. Toute une jeunesse qui se croyait « grillée » s’est mise à oser des expressions artistiques nouvelles pour dire : j’existe, à savoir : j’existe autrement,… que ce qu’on avait prévu pour moi.

Plusieurs jeunes, un à un, se confient devant la caméra, dans les cours, les cages d’escaliers, les parcs de leurs cités. Souvent ils disent l’incompréhension qui a régi leur enfance et leur adolescence, de part et d’autre. L’école ne les a pas compris, pas intégrés ; eux n’ont pas eu d’emblée la capacité de suivre au même rythme que la majorité des élèves ; ils se sont sentis jugés, dévalorisés, lâchés. On n’a pas saisi en eux d’autres qualités, d’autres potentiels qui ne demandaient qu’à s’épanouir d’une façon différente et adaptée.

Leur intelligence, leur vivacité, leur capacité à réfléchir, à s’interroger, crèvent l’écran.

Frank musicien à Cie Aktuel Force (Saint Denis, 93) confie : « Je n’ai pas su apprendre, j’avais intérieurement un autre mode de fonctionnement, de compréhension (du monde et des choses), alors je n’ai pas assimilé le programme ». Petit sourire triste.

Ils ont récupéré « la rage » de faire changer une société élitiste pour la culture, comme pour l’argent et le travail. Ils l’ont mise au service d’une danse d’improvisation, faite de contorsions savantes, de musculation nécessaire et éprouvante, d’apprentissage des rythmes, tout cela avec une volonté d’excellence et de professionnalisme.

Gabin dit : « La rage, elle est à la racine de ma volonté d’être ». Avant de danser, il était électromécanicien. Il croyait qu’il allait « surfer avec les protons et les neutrons, mais le boulot c’était tout autre chose », de la routine sans se servir de son cerveau.

Nicilas (Compagnie Street Boy’s), ici aux Minguettes (Venissieux, sud de Lyon) dit : « Le maître mot c’est ‘la rouille’, on s’ennuie ». La violence de la cité, c’est le chômage. En BEP, il se « désintégrait », il se sentait « un déchet ». C’est le hip-hop qui lui a révélé ses qualités, qui l’a fait refleurir. À l’époque, Nicilas a eu envie d’arrêter là tout de suite sa vie, tant il était malheureux. « Je me croyais un vaurien, je ne valais rien aux yeux des autres ».

Au-delà de cette rage, on sent chez tous beaucoup de travail, d’inventivité, d’énergie positive, de curiosité, de remise en question perpétuelle.

De telles séquences avec bien d’autres jeunes encore alternent avec de nombreux extraits de spectacles. À la Grande Halle de La Villette par exemple, sur une musique orientale revisitée : contorsions, glissades, saccades, grande précision, décor de grillages.

Pourtant il ne faut pas croire que la carrière est facile. Farid (Compagnie Melting Pot) offre une performance dans la station Lille Europe. Il explique : « Le Break s’insère dans la vie des gens, dans leurs trajets. Il est ouvert sur le monde, en perpétuelle évolution. Il faut être là où on ne nous attend pas. On ne veut pas être identifié aux « mecs en basquets et casquette ». Nous, on ne sort pas des écoles de danse, la seule issue souvent est de créer sa propre compagnie ».

Le film1 donne à voir des répétitions en extérieur. Scènes émouvantes où des rappeurs accomplis, connus, reviennent dans leur cité d’origine, se mêlent à de plus jeunes qui stagnent là, les dévorent des yeux en rêvant de faire quelque chose de leurs vies.

Sur le toit d’une barre d’immeuble dominant le béton, Zorro danse dans une souple lenteur, magnifiquement : il y a comme des hurlements muets en lui ; il a les mots plein la bouche et plein le corps.

1 Faire Kiffer les anges. Jean-Pierre Thorn. Documentaire. France. 1997. 2h. DVD réédité chez JHR distribution. Disponible aussi sur catalogue du CNC

1 Faire Kiffer les anges. Jean-Pierre Thorn. Documentaire. France. 1997. 2h. DVD réédité chez JHR distribution. Disponible aussi sur catalogue du CNC sur demande, ou BNF.

Bella Lehmann Berdugo

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