Le parlement des enfants Tapori

Olga Tusala Katembo

p. 18-20

References

Bibliographical reference

Olga Tusala Katembo, « Le parlement des enfants Tapori », Revue Quart Monde, 263 | 2022/3, 18-20.

Electronic reference

Olga Tusala Katembo, « Le parlement des enfants Tapori », Revue Quart Monde [Online], 263 | 2022/3, Online since 01 March 2023, connection on 24 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10767

À Bangui, les enfants se mobilisent.

En Centrafrique, les groupes Tapori1 se sont donné le nom de « Parlement des enfants Tapori » parce qu’ils mènent une action de plaidoyer. Le parlement des enfants Tapori défend les droits des enfants les plus pauvres. Il se préoccupe notamment de l’accès à l’éducation et aux soins. Il cherche à renforcer l’amitié entre les enfants de tous milieux. Les enfants prennent la parole pour interpeller la société et leur communauté sur la situation des enfants qui vivent dans l’extrême pauvreté.

Ce groupe réunit des enfants qui vivent des réalités bien différentes. Certains sont eux-mêmes en situation de rue, d’autres vivent très pauvrement mais au sein de leur famille, et d’autres encore viennent de familles plus aisées. Tous ont à cœur de devenir les amis de celles et ceux qui n’ont pas d’amis. Ensemble, ils sont porteurs de messages d’espoir et de paix.

Tenir bon ensemble

Christopher a rejoint ce groupe. Il a 13 ans et vit avec sa grand-mère Monica qui a encore sept de ses enfants auprès d’elle. Ils vivent tous ensemble dans un quartier très pauvre de Bangui qui subit régulièrement des inondations, ce qui aggrave les problèmes de paludisme et de maladies infectieuses. Il n’y a ni électricité ni eau potable dans le quartier. Monica fait partie des habitants qui ont tout perdu pendant les événements de 20132. Son mari, sa maison, ses biens, la guerre a tout consumé. Elle a dû abandonner sa parcelle aux mains des assaillants par crainte de représailles.

Pour nourrir sa famille, Monica s’est engagée dans le petit commerce de légumes sur un marché modeste en bord de route. Parmi ses enfants, les quatre aînés font taxi moto pour l’aider à assumer la vie de la famille. Chaque jour, ils doivent verser une somme importante au propriétaire de la moto et chaque week-end il leur incombe d’en faire l’entretien.

Comme ses enfants la soutiennent bien, Monica a décidé d’inscrire son petit-fils à l’école. Christopher a pu ainsi étudier deux ans. Mais la situation du pays s’est à nouveau détériorée. Le revenu familial a chuté et sa scolarité s’est interrompue.

C’est à ce moment-là que Géminé, médiatrice sociale et culturelle3, a mis en contact Christopher avec le parlement des enfants Tapori. Aussitôt il rejoint le groupe et participe assidûment aux différentes activités avec les enfants de Géminé.

Quelques temps plus tard, Christopher tombe malade. Il doit subir une opération chirurgicale. Monica réunit sa famille afin de voir comment s’organiser, mais la somme nécessaire est bien au-dessus de leurs moyens, ils ne trouvent pas de solutions dans l’immédiat. Christopher perd du poids et, au fil du temps, n’arrive plus à rejoindre ses amis. Les enfants s’inquiètent pour lui et décident de se mobiliser. Soutenus par les animateurs Tapori, ils rendent d’abord visite à la grand-mère de Christopher pour prendre des nouvelles et réfléchir avec elle. Elle leur dit :

« Ça me fait mal au cœur de voir que tous les enfants du quartier vont à l’école et que Christopher passe ses journées seul. Quand il a été invité à rejoindre le parlement des enfants Tapori, j’étais heureuse. Avec vous, il trouve l’espace de s’épanouir. Mon grand souci maintenant, c’est qu’il puisse retourner un jour à l’école et être soigné. »

Un plaidoyer enraciné dans la vie

Suite à cette rencontre, les enfants, toujours avec le soutien de leurs animateurs, organisent deux événements à l’occasion de la Journée de l’Enfant Africain4. Le premier au sein de l’école avec pour thème Non à la discrimination en milieu scolaire, et le second, Santé pour tous, au sein d’une clinique pédiatrique.

À l’école, la rencontre est un succès avec la présence de 250 élèves et 8 enseignants. Le groupe Tapori en profite pour approcher la directrice et lui parler de la situation de Christopher. Touchée par leur démarche, celle-ci s’engage à l’inscrire dans son école qui accueille déjà des enfants en situation d’extrême pauvreté.

À la clinique, l’événement est d’une autre nature. Le groupe organise une discussion entre les enfants, le médecin responsable de la clinique et une partie du personnel soignant. Ils réussissent à inviter des journalistes pour couvrir l’événement. Au cours de l’échange, les enfants Tapori parlent de l’accès aux soins pour les enfants les plus en difficulté.

Le médecin les félicite et situe leur combat dans les grands défis à relever pour l’avenir, comme par exemple que chaque enfant puisse avoir un lieu où vivre et un acte de naissance, sésame sans lequel aucune porte ne s’ouvre.

Après le débat, les enfants et leurs animateurs saisissent l’occasion de parler de la situation de Christopher au médecin. Ils arrivent à le convaincre. Il leur promet la prise en charge de l’opération de Christopher dans sa clinique. Pourtant, les démarches jusqu’à l’opération vont durer plusieurs mois.

Le médecin est en déplacement à l’étranger. Il a laissé des consignes pour l’opération, la famille de son côté a réussi à réunir les papiers nécessaires, mais des malentendus sur la prise en charge financière bloquent la situation. Pendant ce temps d’incertitude et de souffrance, le groupe Tapori reste mobilisé pour soutenir Christopher. Monica est inquiète. Finalement, le médecin est de retour au pays, un des animateurs arrive à le joindre et lui fait part de la situation. Le médecin intervient et les choses s’améliorent, l’opération a enfin lieu.

Aujourd’hui, Christopher est debout. Il a repris le chemin de l’école et celui de son groupe Tapori. Christopher et ses amis savent qu’attendre, essuyer des refus, être à la merci de décisions arbitraires, c’est le sort de tant d’enfants et de familles dans le monde. Alors ensemble, ils continuent de se mobiliser pour que ça change.

1 Tapori est un courant mondial d’amitié entre les enfants. Des enfants de différents milieux deviennent des amis. Ils inventent une manière de vivre

2 La bataille de Bangui se déroule pendant la guerre civile de Centrafrique. Le 24 mars 2013, les rebelles de la Seleka s’emparent de la capitale

3 De mars 2018 à février 2019, cinq jeunes femmes et sept jeunes hommes ont participé à la formation à la Médiation Sociale et Culturelle mise en

4 Cette journée internationale est organisée chaque année depuis le 16 juin 1991 par l’Organisation de l’unité africaine, en souvenir du massacre de

1 Tapori est un courant mondial d’amitié entre les enfants. Des enfants de différents milieux deviennent des amis. Ils inventent une manière de vivre ensemble qui ne laisse personne de côté. Aujourd’hui, Tapori existe en Afrique, Amériques, Asie et en Europe. Voir https://www.atd-quartmonde.org/nos-actions/penser-agir-ensemble/tapori/

2 La bataille de Bangui se déroule pendant la guerre civile de Centrafrique. Le 24 mars 2013, les rebelles de la Seleka s’emparent de la capitale centrafricaine.

3 De mars 2018 à février 2019, cinq jeunes femmes et sept jeunes hommes ont participé à la formation à la Médiation Sociale et Culturelle mise en place par ATD Quart Monde et ses partenaires. Voir https://www.atd-quartmonde.org/les-nouveaux-mediateurs-sociaux-et-culturels-prets-a-contribuer-a-la-paix-en-centrafrique/

4 Cette journée internationale est organisée chaque année depuis le 16 juin 1991 par l’Organisation de l’unité africaine, en souvenir du massacre de centaines d’enfants lors d’une marche pour leurs droits à Soweto (Afrique du Sud) par le pouvoir de l’apartheid le 16 juin 1976.

Olga Tusala Katembo

Olga Tusala Katembo est volontaire permanente du Mouvement ATD Quart Monde en République Centrafricaine.

CC BY-NC-ND