Les Conseils citoyens

Florence Bernard

p. 49-53

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Florence Bernard, « Les Conseils citoyens », Revue Quart Monde, 263 | 2022/3, 49-53.

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Florence Bernard, « Les Conseils citoyens », Revue Quart Monde [En ligne], 263 | 2022/3, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10791

En France, la loi Lamy du 21 février 20141 a constitué une réelle avancée en matière de participation des habitants dans la Politique de la Ville en rendant obligatoire, dans chaque quartier prioritaire, la création d’un Conseil citoyen, composé d’un collège d’habitants et d’un collège d’acteurs locaux (associations, commerçants du quartier…). L’enjeu était de permettre une réelle « co-construction » de cette politique avec les habitants de ces quartiers.

Dès le démarrage des Conseils citoyens, le Mouvement ATD Quart Monde a communiqué sur leur existence et un certain nombre de ses membres, en particulier des personnes en situation de précarité ou de pauvreté habitant des quartiers prioritaires, se sont saisis de cette possibilité d’engagement citoyen dans leur ville.

En 2015 dans le cadre de la mise en œuvre des Conseils citoyens, deux co-formations en Croisement des savoirs2 avec des personnes en situation de pauvreté ont été animées par ATD Quart Monde, à la demande de Centres ressources Politique de la Ville en Seine Saint-Denis et dans l’Ouest de la France, sur « la participation de ceux que l’on entend le moins ». Elles avaient pour but d’apprendre à mieux agir ensemble, habitants, professionnels, institutions et associations.

Afin d’essayer de mesurer, 7 ans plus tard, si les Conseils citoyens ont réellement permis de développer la participation des habitants à la Politique de la Ville, et en particulier de personnes habituellement éloignées de ce genre d’instance, le Mouvement ATD Quart Monde a lancé une étude en avril 2021, en lien avec l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires.

27 entretiens ont été réalisés avec des membres d’ATD Quart Monde ou sympathisants, conseillers citoyens, parmi lesquels les deux tiers sont des personnes en situation de précarité ou de pauvreté.

14 membres de Conseils citoyens parmi ces personnes interrogées se sont retrouvés pendant deux jours en septembre 2021 pour approfondir collectivement certains thèmes en s’appuyant sur les résultats des entretiens.

10 entretiens ont été menés auprès d’acteurs associatifs (4) ou institutionnels (6) ayant participé à l’une des deux co-formations en Croisement des savoirs3 réalisées par ATD Quart Monde et à la mise en place ou à l’animation de Conseils citoyens.

L’utilité des Conseils citoyens

Les 3/4 des conseillers citoyens interrogés ont le sentiment que le Conseil citoyen a une utilité pour leur quartier, même s’il reste encore beaucoup à faire. Selon eux, les Conseils citoyens permettent de créer des liens entre les habitants, d’avoir une meilleure connaissance du quartier et de faire entendre les besoins des habitants, d’accéder aux élus, d’appuyer des projets importants pour le quartier. Ils soulignent cependant la nécessité d’aller plus loin dans la co-construction et d’élargir le Conseil citoyen afin qu’il soit plus représentatif du quartier.

1/4 des conseillers citoyens jugent le Conseil citoyen inutile, du fait de la non représentativité du quartier, de la non prise en compte par les élus ou les institutions des propositions venant du Conseil citoyen ou du fait qu’il ne permet pas de travailler sur les problèmes prégnants pour les habitants.

Du côté des professionnels interrogés, il ressort une conviction que la participation des habitants à la Politique de la Ville est essentielle. Ils saluent l’ambition contenue dans la loi. Mais la réalité apparaît en décalage : même si des projets se concrétisent, et si les Conseils citoyens ont été une avancée pour créer du dialogue entre habitants et élus, l’ambition de la loi est encore loin d’être atteinte pour plusieurs raisons : difficultés de mise en œuvre, manque de représentativité des Conseils citoyens, difficultés d’engagement dans la durée des habitants et des professionnels, insuffisance de prise en compte des attentes et propositions des habitants.

Au cours du séminaire de septembre 2021, un recensement a été fait des thèmes travaillés dans les 23 Conseils citoyens dont nous avons interrogé des membres, et les projets ont été classés entre « aboutis », « non aboutis » ou « en cours ».

Les participants ont constaté que les thèmes travaillés touchent l’ensemble des domaines essentiels de la vie des habitants et qu’un nombre relativement important de projets a abouti : 50 %, alors que 30 % sont en cours et 20 % n’ont pas abouti.

Il serait nécessaire d’aller plus loin dans l’analyse de chaque projet pour mesurer, à la fois avec les habitants et les acteurs de terrain, l’impact réel sur le quartier.

Mais il est apparu clairement que « les réussites » et « le sentiment de réussite » sont un moteur très important pour les participants aux Conseils citoyens, et constituent des points d’appui pour poursuivre leur action et peut être la développer.

Concernant la co-construction avec les habitants, qui était un objectif de la mise en place des Conseils citoyens, elle apparaît, de l’avis des conseillers citoyens comme des professionnels, très inégale d’une ville à l’autre, et très liée à la posture des élus et institutions du territoire.

Les membres

La loi Lamy visait, à travers les Conseils citoyens, à développer la participation de personnes habituellement éloignées de ce genre d’instance. Pour les conseillers citoyens et les professionnels interrogés, cet objectif n’est pas atteint : les habitants des Conseils citoyens sont très majoritairement des habitués, jouant déjà un rôle dans le quartier (centre social, conseil de quartier, associations…).

Elle visait également à ce que les Conseils citoyens puissent être représentatifs des habitants du quartier. Certains Conseils citoyens apparaissent relativement représentatifs, d’autres pas du tout. Mais dans l’ensemble, trois types de population, pourtant bien présents sur les quartiers prioritaires, manquent dans les Conseils citoyens : les jeunes, les personnes nouvellement arrivées en France et les personnes les plus en difficultés sociales.

Les raisons de l’absence des jeunes ne sont pas analysées par les personnes interrogées. L’absence des personnes nouvellement arrivées en France est expliquée par leur absence sur les listes électorales utilisées pour le tirage au sort, et par la barrière de la langue.

Pour les personnes en grande difficulté sociale, les freins avancés sont à la fois dans leur situation personnelle mais aussi dans le fonctionnement du Conseil citoyen : difficulté à prendre la parole, quand d’autres participants sont habitués à le faire dans ce genre de réunion ; difficultés à comprendre des sujets complexes ou un certain niveau de langage, quand les autres participants ou les professionnels ne réussissent pas à les simplifier ; difficultés d’accès aux documents, quand ceux-ci sont transmis en numérique.

Globalement, les entretiens effectués ont fait émerger beaucoup de questionnements autour du tirage au sort, prévu par la loi pour constituer le collège « habitants ». Le travail réalisé au cours du séminaire a conclu que le tirage au sort en soi peut théoriquement avoir des effets positifs, il serait à poursuivre mais en changeant ses modalités (choix des listes à utiliser, rencontre des personnes tirées au sort, au lieu d’un simple courrier…)

Les expériences partagées ont montré l’importance de prendre d’autres moyens, parallèlement au tirage au sort, pour réussir à mobiliser de nouveaux habitants dans les Conseils citoyens (faire appel au volontariat par des moyens de communication multiples mais surtout une invitation et si besoin un accompagnement par des personnes déjà impliquées ; se déplacer vers les habitants – porte à porte, évènements festifs, tables citoyennes… ; travailler en commissions thématiques sur des sujets qui intéressent les habitants, pour permettre une implication ponctuelle et éventuellement un engagement progressif dans le Conseil citoyen ; lever des obstacles concrets à la participation, tels que la garde des enfants ; faire connaître les projets et les avancées auxquels le Conseil citoyen a contribué).

Les liens avec le quartier

Les entretiens ont montré que les conseillers citoyens et les professionnels ont à cœur de faire connaître le Conseil citoyen et son rôle spécifique par rapport à d’autres instances existantes, et de réussir réellement à associer l’ensemble des habitants à la Politique de la Ville.

Il est manifeste qu’ils cherchent à bien assumer leur rôle de porte-parole. Ils transmettent au Conseil citoyen les problèmes ou propositions que leur font remonter les habitants qu’ils connaissent. Mais ils soulèvent le défi de la représentativité, du temps et de la formation nécessaires pour assumer cette mission.

Pour développer les liens avec l’ensemble des habitants du quartier, plusieurs pistes ont été identifiées :

  • faire travailler les Conseils citoyens sur leur rôle de porte-parole de tous, et en particulier des habitants les plus défavorisés, et proposer des formations leur permettant de mieux appréhender ce rôle ;

  • systématiser dans l’ordre du jour des Conseils citoyens un temps pour faire remonter les demandes et propositions venant des autres habitants ;

  • continuer à travailler sur la communication entre le Conseil citoyen et les autres habitants du quartier, en particulier autour des avancées, des suites données aux demandes ou propositions issues du quartier.

L’animation

D’un quartier à un autre, les moyens donnés au Conseil citoyen pour fonctionner ont été différents, mais globalement modestes.

Des professionnels salariés de l’agglomération ou de la ville sont ceux qui gèrent principalement l’animation (un peu plus de la moitié des Conseils citoyens interrogés, les autres étant animés par le centre social du quartier, une association ou directement des habitants membres du Conseil citoyen.

Dans la moitié des Conseils citoyens interrogés, l’animation est décrite de manière positive.

À l’inverse, dans l’autre moitié elle est décrite comme inexistante ou ne fonctionnant pas bien, pour différentes raisons : aucune animation extérieure mise en place, animation fluctuante, manque de compétence de l’animateur, manque de liberté de parole dans certains Conseils citoyens animés par une institution.

Il apparaît à la lumière de ces diverses expériences un besoin évident d’une animation indépendante assumée par des personnes compétentes et soucieuses de la participation de tous.

Que les constats soient faits en positif ou en négatif, les entretiens montrent de façon frappante que la place que peuvent prendre dans les Conseils citoyens les personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion est clairement liée à l’animation.

En effet, l’animateur, de par sa posture et ses interventions peut :

  • créer un climat de confiance, d’écoute mutuelle, donner du temps aux personnes qui en ont besoin pour s’exprimer ;

  • veiller à l’accueil des nouvelles personnes, être attentif aux personnes les plus en difficulté ;

  • réguler les tensions, conflits ;

  • aider à comprendre le cadre, le rôle du Conseil citoyen.

La présence d’un animateur motivé, compétent et stable apparaît également indispensable pour faire vivre la dynamique du Conseil citoyen entre deux réunions.

Avec l’animateur, il apparaît également important qu’il y ait un traducteur pour les personnes qui ne parlent pas encore le français.

Les professionnels interrogés ont tous mentionné également l’aspect essentiel de l’animation des Conseils citoyens : les animateurs de Conseil citoyen devraient être plus disponibles et formés pour cette mission.

Pour réussir l’animation de la dynamique des Conseils citoyens, de manière à ce que les personnes les plus en difficulté puissent réellement y participer et être prises en compte, il paraît indispensable :

  • de missionner clairement des professionnels pour assurer l’animation des Conseils citoyens, indépendants du pouvoir politique. La mise en place de binômes d’animateurs serait de nature à assurer la qualité de l’animation et le soutien de la dynamique ;

  • que les animateurs soient formés non seulement à l’animation, mais aussi au travail spécifique avec des personnes diverses tel qu’il peut en siéger dans les Conseils citoyens, et à des techniques d’animation participatives favorisant la prise en compte du point de vue de chacun ;

  • que la structure porteuse du Contrat de Ville se sente responsable de l’animation et y consacre les moyens financiers adaptés afin d’assurer les moyens humains et matériels nécessaires.

Une vraie volonté politique ?

Après 7 années de mise en œuvre et à l’aube d’un renouvellement de la Politique de la ville, l’enjeu de la reconnaissance des Conseils citoyens par l’ensemble des acteurs de la Politique de la Ville est vital pour aller plus loin dans la co-construction, telle que voulue par la loi.

Les habitants des quartiers, de par leur présence permanente et dans la durée, ont une connaissance et des analyses sur les besoins et les actions à mener, différentes et complémentaires de celles des autres acteurs.

Le Conseil citoyen, avec une bonne animation et une volonté partagée avec les acteurs locaux, peut permettre d’approfondir collectivement ces connaissances et ces analyses. Mais encore faut-il que celles-ci soient entendues et prises en compte par les décideurs.

Une vraie participation4, une vraie co-construction avec les habitants, sont un défi pour les Conseils citoyens mais aussi pour tous les acteurs de la politique de la ville.

Y aura-t-il toujours une volonté de le relever dans la nouvelle Politique de la Ville, qui devrait se mettre en place en 2023 ?

1 Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui visait, comme les précédentes lois dans ce domaine, à réduire les écarts de

2 Voir https://www.atd-quartmonde.fr/nos-actions/action-pour-lacces-a-la-parole/les-co-formations/

3 La co-formation en croisement des savoirs est une des applications de la démarche du croisement des savoirs et des pratiques, dont les principes

4 Cf. le guide Réussir la participation de toutes et tous, https://bit.ly/Participation_GuidePratique

1 Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui visait, comme les précédentes lois dans ce domaine, à réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et les autres quartiers, et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants, en luttant notamment contre les discriminations.

2 Voir https://www.atd-quartmonde.fr/nos-actions/action-pour-lacces-a-la-parole/les-co-formations/

3 La co-formation en croisement des savoirs est une des applications de la démarche du croisement des savoirs et des pratiques, dont les principes éthiques et pédagogiques sont présentés dans la charte du croisement des savoirs. L’objectif de la co-formation est l’amélioration de la compréhension et de la connaissance mutuelles entre les professionnels, les élus et les personnes issues du milieu de la pauvreté, ainsi que la recherche et la formalisation de conditions permettant l’amélioration des pratiques.

4 Cf. le guide Réussir la participation de toutes et tous, https://bit.ly/Participation_GuidePratique

Florence Bernard

Florence Bernard est assistante sociale, alliée du Mouvement ATD Quart Monde, membre de l’équipe des Ateliers du Croisement des savoirs et des pratiques. L’étude présentée dans cet article a été réalisée par plusieurs membres de cette équipe, avec l’appui de Charlotte Laurent, stagiaire en Master 2 d’économie Politiques publiques et Développement.

CC BY-NC-ND