Éric RONDEPIERRE. “La maison cruelle

Valréas, Éd. Mettray, 2021

Daniel Fayard

Bibliographical reference

Éric RONDEPIERRE. La maison cruelle. Valréas, Éd. Mettray, 2021, 253 p.

References

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Daniel Fayard, « Éric RONDEPIERRE. “La maison cruelle” », Revue Quart Monde [Online], 265 | 2023/1, Online since 01 March 2023, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11003

Le 24 décembre 1836 a été inaugurée, au cœur de Paris, une prison pour enfants : la « Petite Roquette ». Jusqu’en 1930, près de 200 000 mineurs de 7 à 21 ans y ont été incarcérés en régime cellulaire, condamnés à des travaux forcés non rémunérés.

Ce livre est le fruit d’une consultation des registres d’écrou de cette prison et d’une recherche documentaire étendue aux autres maisons de corrections, aux débats qu’elles ont provoqués, aux origines et aux évolutions de ce système carcéral, aux traitements des corps qu’il impliquait. L’auteur, écrivain, sensibilisé très jeune et très concrètement au « placement », veut ici faire œuvre de mémoire et rappeler ce que furent en ce lieu les conditions de vie de ces enfants et adolescents.

Il explique d’abord comment, dès le 16e siècle, la nouvelle marginalité urbaine a fait évoluer les pratiques sociales et les activités charitables qui avaient cours au Moyen-âge. Désormais l’État entend traiter la pauvreté par l’enfermement. À la fois sanction-neutralisation (châtiments corporels, isolement, silence) et éducation-amendement-réinsertion (travail, discipline). Ce sera le sort réservé au 19e siècle aux enfants orphelins, abandonnés, mendiants, délinquants, vagabonds, mais en réalité sans le bénéfice d’une formation.

Il illustre ensuite longuement la « maltraitance institutionnelle » dont ces enfants ont été l’objet dans cette prison, soi-disant « Maison d’éducation correctionnelle », longtemps considérée comme un établissement pénitentiaire moderne pour son architecture spécifique et ses 500 cellules individuelles. À la moindre incartade, c’était l’aspect punitif qui s’imposait : le cachot, des privations de nourriture, de soins, de recréations. D’une façon générale, les détenus étaient maintenus constamment sans contact (même visuel !) les uns avec les autres et, à leur insu, leurs correspondances étaient confisquées par l’administration. Celles-ci, retrouvées dans des archives, témoignent de leurs désespoirs (mutilations volontaires pour obtenir un répit à l’infirmerie, tentatives de suicide). On y constatait aussi un fort taux de mortalité.

Si la plupart des mineurs étaient incarcérés à la Petite Roquette sur décision des autorités publiques, certains adolescents y ont été placés volontairement, pour des séjours de durée variable, par leur propre père qui escomptait ainsi obtenir de son fils un « redressement » salutaire : c’était le droit de correction paternelle, légalement reconnu à l’époque.

On devine la raison d’être de la mise en silence et en cellule individuelle qui prévalait alors. Il fallait amener le détenu à un examen de conscience personnel, à un retour sur soi pour favoriser chez lui une régénération, une vie nouvelle, avec l’apport de la morale et de la religion. Bien que de nombreuses voix humanistes ou du monde scientifique se soient élevées pour dénoncer l’entreprise de déshumanisation générée par une telle thérapie, celle-ci aura été pratiquée sur les enfants de la Petite Roquette durant 94 ans, jusqu’en 1930.

Converti ensuite en prison pour femmes, cet imposant édifice fut détruit dans les années 1970 pour faire place à un jardin public. Subsistent aujourd’hui sur ces lieux un panneau de la Ville de Paris présentant un court résumé historique de la Petite Roquette et, depuis 2021, une petite plaque rendant hommage aux enfants qui y ont été détenus.

Fortement documentée, cette étude à vocation mémorielle apporte des éléments d’information historique très précieux, parfois inédits, et donne lieu à des interpellations toujours actuelles : « Si vous voulez connaître la santé et le développement d’un pays, étudiez son système répressif ».

Daniel Fayard

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