Rémunération alternative ?

Vanessa Joos-Malfait

p. 21-23

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Vanessa Joos-Malfait, « Rémunération alternative ? », Revue Quart Monde, 269 | 2024/1, 21-23.

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Vanessa Joos-Malfait, « Rémunération alternative ? », Revue Quart Monde [En ligne], 269 | 2024/1, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11294

L’auteure est ici interrogée sur les nouvelles voies expérimentées par le mouvement ATD Quart Monde dans le domaine de la rémunération des volontaires permanents.

Article paru dans le magazine Knack, Belgique/Flandre, le 20/08/2023.

Pourquoi me lever à six heures du matin en semaine alors que j’habite littéralement à côté de mon lieu de travail ?... J’aime avoir du temps le matin : pour le petit déjeuner avec notre plus jeune fils, l’exercice matinal et l’écoute des nouvelles à la radio. À partir des grandes questions sociales et des petits faits divers, j’aborde les défis quotidiens du mouvement de lutte contre la pauvreté que je défends depuis des années.

Les échos décevants des médias

Les réformes fiscales sur la table des négociations fédérales retiennent actuellement mon attention. Il y a presque trois ans, j’ai travaillé avec un groupe de membres d’ATD Quart Monde – certains ayant une expérience directe de la pauvreté, d’autres non – à une consultation sur la fiscalité équitable, coordonnée par le Service interfédéral de lutte contre la pauvreté. Les nouvelles de la rue de la Loi1 me déçoivent. Le volumineux rapport de notre réflexion sur la solidarité a-t-il si peu pénétré les milieux politiques ? La grande majorité de notre population est-elle vraiment heureuse dans le système actuel de « salaire à hauteur du travail » ?

Ceux qui, comme moi, sont actifs dans le « secteur social » et veulent garder le moral ont tout intérêt à chercher d’autres sources d’information que les journaux quotidiens. Ils y trouveront des signes d’espoir qui montrent qu’il existe des contre-courants qui testent de nouvelles voies avec courage et détermination. Certains artistes contournent la précarité de leur métier en mettant en commun leurs revenus. Les groupes SEL2 et autres créent de la valeur en dehors du système monétaire conventionnel. Nous connaissons des hommes politiques qui plafonnent leur propre salaire parce qu’ils considèrent qu’il est « suffisant ». Dans notre réseau, des jeunes expérimentent dans leurs petites entreprises un système de rémunération alternatif qui tient compte des besoins spécifiques des travailleurs.

Un moyen de subsistance responsable et novateur

ATD Quart Monde s’est lancé depuis les années 1960-1970 dans une aventure apparemment risquée qui séduit encore aujourd’hui des jeunes du monde entier. Lorsque les premiers volontaires qui ont rejoint le fondateur Joseph Wresinski en France ont voulu rester, ils ont cherché un moyen de subsistance responsable : suffisamment proche des personnes en situation de pauvreté avec lesquelles ils voulaient s’organiser dans la durée, économe par rapport aux dons et le plus égalitaire possible. Ils se sont appelés « volontaires » et se sont constitués en association. Ils ont délibéré sur ce qui leur semblait être une rémunération appropriée et des garanties de base. Chacun a signé un contrat de travail avec ATD. Le salaire officiel de chacun (le salaire minimum légal du pays ou les échelles supérieures obligatoires des postes subventionnés) a été déposé dans un fonds de volontariat. Ce qui restait après que chacun ait reçu les provisions de base convenues servait de fonds de solidarité : par exemple, pour les besoins imprévus des volontaires ou pour pouvoir employer des volontaires même indépendamment des subventions.

Ce système de rémunération alternatif a résisté à l’épreuve du temps, avec évidemment les ajustements nécessaires aux évolutions sociétales et à l’internationalisation de notre mouvement. Les principes de base sont restés les mêmes pour les volontaires qui se retrouvent aujourd’hui au nombre de plus ou moins 350 personnes : vivre sobrement et solidairement, mais pas pauvrement ; ne pas faire dépendre la rémunération du diplôme, de l’expérience, du poste, de la responsabilité ou de la performance comme c’est le cas habituellement ; valoriser l’engagement de chacun avec son potentiel ; tenir compte de la situation, de la force et des besoins de chacun ; et tirer des sécurités et de la motivation du sens de nos activités et de la solidité de nos relations. Nous sommes convaincus qu’il y a assez pour tout le monde si nous partageons.

Donc davantage de ressources pour les moins bien lotis et pas de salaire à hauteur du travail. Il peut être considéré juste qu’une personne qui travaille plus d’heures et assume plus de responsabilités gagne la même chose ou moins que son collègue qui n’a pas eu de tirelire en grandissant et dont la famille a par exemple besoin d’un soutien financier ou d’autres formes d’aide.

Ce choix radical mais libre de ceux qui rejoignent le volontariat rejaillit aussi sur les employés permanents et les bénévoles d’ATD Quart Monde : des alliés militants qui « déplacent des montagnes » gracieusement et des employés permanents qui choisissent consciemment cette organisation, même s’ils perdent une partie de leur salaire par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le secteur. Pour beaucoup de donateurs, cette éthique financière est une valeur ajoutée pour soutenir nos actions.

La recherche d’un sens à ma vie

On me demande régulièrement ce qui m’a poussée à m’engager dans quelque chose d’aussi contraignant. À 22 ans, je cherchais un sens à ma vie, quelque chose qui corresponde à mes idéaux et à mon inspiration chrétienne. L’un des récits bibliques qui m’a émue et fait réfléchir depuis l’enfance est celui du Fils prodigue ou du Père miséricordieux, en particulier le dénouement surprenant de la fête somptueuse organisée par le père pour le fils qui a dilapidé toute sa fortune. Cela m’a encouragé à donner le meilleur de moi-même à ceux qui ne l’ont pas « mérité » selon les critères de la foule : les soi-disant « mauvais pauvres ». Cela m’aide également à surmonter ma jalousie et ma frustration en tant que « bonne fille » dévouée au travail et à être généreuse envers ceux qui contribuent à la communauté d’une manière différente de la mienne.

Je puise certainement aussi ma motivation dans les expériences positives de ma famille sur ce parcours avec des équipes en Haïti, aux Pays-Bas, aux Philippines et maintenant en Belgique. Et de mes compagnons de route qui, soit dit en passant, sont d’horizons divers en termes de philosophie, de religion, d’idéologie ou de contexte socioculturel, et d’âge. Notre démarche résonne d’autant plus fort que nous faisons librement le même choix de sobriété et de solidarité salariale. C’est un cri d’alarme à plusieurs voix contre la richesse déshumanisante et un appel à repenser des pratiques nauséabondes. C’est une expérimentation comme alternative à une société qui encourage la consommation et l’accumulation individuelle, avec pour conséquence l’exploitation des personnes et des ressources naturelles de la planète. C’est une tentative de réaliser à petite échelle ce dont nous rêvons pour la société dans son ensemble. Nous espérons ainsi créer une réflexion et un changement à grande échelle avec d’autres collectifs, jusqu’à ce que chacun ait accès à un revenu décent et à une vie digne.

1 Dans les médias belges, « rue de la Loi » est souvent employé pour désigner le Parlement, le siège du gouvernement ou le Gouvernement tout court, et

2 Un système d’échange local (ou SEL) est une association où les membres mettent certains biens, connaissances ou savoir-faire au service des autres.

1 Dans les médias belges, « rue de la Loi » est souvent employé pour désigner le Parlement, le siège du gouvernement ou le Gouvernement tout court, et « 16, rue de la Loi » pour désigner le Conseil des ministres ou le Premier ministre, à l’instar de Downing Street en Angleterre.

2 Un système d’échange local (ou SEL) est une association où les membres mettent certains biens, connaissances ou savoir-faire au service des autres.

Vanessa Joos-Malfait

Vanessa Joos-Malfait a rejoint le volontariat d’ATD Quart Monde en 1996. Cet engagement l’a conduite avec sa famille en Haïti, aux Pays-Bas et aux Philippines. Elle est actuellement en Belgique, et assume des responsabilités dans le champ de l’accueil, de l’accompagnement et de la formation des personnes qui souhaitent rejoindre le volontariat, en Belgique et dans les autres pays d’Europe.

CC BY-NC-ND