Une question de convictions

Marcel Yameogo

p. 29-32

Citer cet article

Référence papier

Marcel Yameogo, « Une question de convictions », Revue Quart Monde, 269 | 2024/1, 29-32.

Référence électronique

Marcel Yameogo, « Une question de convictions », Revue Quart Monde [En ligne], 269 | 2024/1, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11298

Un engagement qui s’enracine dans la fidélité aux rêves d’enfance et la volonté d’être utile aux côtés des plus pauvres, sans éluder les questions jalonnant le parcours.

Lorsque j’étais étudiant à Dakar, arrivé en master 2, mes cours se déroulaient les après-midi. Il m’a fallu chercher un petit boulot pour m’occuper. C’est ainsi que j’ai pu avoir un travail comme conseiller commercial pour le compte d’une entreprise de téléphonie mobile basée en Côte d’Ivoire dont le service clientèle était géré à partir de Dakar.

Réaliser mon rêve d’enfance

Un jour, au cours de mes balades dans le quartier dans lequel est situé le siège régional du Mouvement, je suis tombé sur la plaque d’ATD Quart Monde fixée devant l’entrée. Tout de suite j’ai été frappé par la curiosité de savoir le contenu de ce qui se faisait dans la structure. Je suis allé consulter le site indiqué. Lorsque j’ai découvert les actions d’ATD à travers le site, j’ai tout de suite compris que je pouvais réaliser mon rêve d’enfance, c’est-à-dire celui d’être utile à ma communauté, en donnant mon temps à ceux qui en ont besoin, car c’est dans ces valeurs que j’ai été éduqué. Étant né dans une famille élargie, très jeune j’ai compris l’importance de grandir entre enfants, de la solidarité et de l’entraide autour de soi, pour permettre à chaque enfant d’avoir les mêmes chances.

J’ai vu les actions du Mouvement plus tard, j’ai vu que c’est l’expertise de vie qui m’intéressait à chaque fois que je parcourais le site. Donc j’ai essayé d’adapter mes horaires de conseiller clientèle aux activités de la bibliothèque de rue qui s’animait les mercredis après‑midis.

C’est pour cela que je me suis engagé à ATD Quart Monde en 2016 comme bénévole, et ensuite depuis 2018 comme volontaire permanent de l’équipe d’action, pour mieux accompagner les personnes et familles vivant les situations d’extrême pauvreté.

Le Mouvement international ATD Quart Monde est engagé avec les personnes et familles vivant dans la pauvreté ; je me suis impliqué plus particulièrement dans les actions avec les enfants : les activités culturelles à partir du livre, la bibliothèque de rue pour créer une solidarité, une amitié et une entraide entre les enfants de divers milieux, pour donner une chance aux enfants qui n’ont pas eu celle d’aller à l’école ; mais aussi dans les rencontres thématiques menées dans les quartiers périphériques (Grand Yoff ; Sam Sam) à Dakar.

« Il n’est de personne sans valeur »

Cette expérience acquise à Dakar auprès des enfants m’a conduit au Burkina Faso en 2020, notamment à la Cour aux cent métiers1 ou j’ai été confronté à une autre réalité, à savoir celle de la situation des enfants et jeunes vivant et travaillant dans la rue, ainsi que celle des familles vivant la grande pauvreté. Très marqué par cette réalité, j’ai continué mon engagement dans les actions avec ces personnes vivant et travaillant dans la rue de Ouagadougou et les familles, autour des thématiques de partage d’expériences pour se donner du courage et de la force.

Par la même occasion, je soutiens aussi des équipes de bénévoles agissant dans des villages au centre du pays, dans le Ganzourgou. Cet engagement auprès des enfants m’apprend très vite que la question de la protection des droits de l’enfant reste une question pertinente, qu’il faut approfondir dans notre communauté si nous voulons une société juste, si nous voulons mettre fin à la pauvreté. L’éducation et le bien-être sont des atouts importants pour garantir leur avenir. Mais à cause de la pauvreté, de l’injustice sociale, pour beaucoup d’enfants l’avenir est menacé. Les parents sont impuissants seuls à réaliser le rêve de donner une autre vie que la leur à leur enfant. Par ailleurs, du point de vue de nos traditions, certaines pratiques constituent des entraves aux droits de l’enfant.

L’engagement d’ATD Quart Monde s’inscrit dans la durée. Cette possibilité de prendre pleinement des responsabilités dans les actions en direction des enfants et des familles vivant dans la pauvreté a beaucoup impacté mon engagement et m’a permis de développer mes connaissances de la réalité de la pauvreté et de booster la mise en œuvre des principes d’action visant à la participation des enfants, jeunes et adultes, habituellement tenus à l’écart des espaces de débat et de rencontres.

Je m’engage également parce que nous accordons la priorité aux plus démunis, nous choisissons de nous tenir à leurs côtés et de nous engager pour que la dignité en action devienne le ferment de notre société. Comme disait un militant de chez nous : « Il n’est de personne sans valeur. »

J’ai rejoint également le Mouvement afin de contribuer au combat de la lutte contre l’extrême pauvreté, ainsi que pour contribuer à la construction d’une société plus juste et meilleure, où chacun trouvera sa place.

Un engagement par conviction et détermination

L’engagement étant une conviction personnelle, pour ma part je suis convaincu que pour avoir un idéal où il fera beau vivre pour tous, nous devrions nous unir comme une seule personne pour mener le combat contre la misère. Rompre la persistance de la pauvreté passe en effet par la protection effective des droits des enfants. Car tout enfant grandissant dans la réalité de la pauvreté a trop de risques de continuer à vivre dans ces conditions à l’âge adulte et de voir ses enfants naître dans la pauvreté. Mes convictions reposent sur la vision du monde où chaque individu mérite la dignité, la sécurité sociale et l’égalité des chances, comme le souhaitait le père Joseph Wresinski. Il me semble inacceptable que certaines personnes soient privées de conditions de vie décentes, de l’accès à l’éducation et aux soins de santé de base, de protection sociale. En m’engageant dans le volontariat, c’est pour moi une manière de vivre et partager l’amour, la solidarité avec ceux et celles qui en ont le plus besoin. C’est aussi pour moi l’occasion de mener le combat contre les inégalités avec ceux et celles qui en sont victimes, sans relâche jusqu’à ce que la dignité de chacun soit respectée.

« La misère est l’œuvre de l’homme et seul l’homme peut la détruire. » Ma motivation est renouvelée chaque jour à travers le courage de familles. Je considère les familles comme mon école et je peux dire qu’elles sont mes maîtres. Comme nous le disons souvent : « Même dans la misère, un homme a des idées. » Les familles sont en situation de pauvreté mais elles aiment quand nous les visitons. Cela leur redonne le sourire malgré leur situation difficile, l’espoir d’avoir un demain meilleur. Pour moi, l’engagement dans le volontariat est une question de conviction, une question de détermination. Ce n’est pas un fait du hasard, c’est un choix qui se fait en toute conscience, qui transforme et pousse au quotidien à l’innovation avec les familles. Ne pas rester dans une routine fait en sorte que nous apprenons davantage des familles et cela renforce notre engagement.

Un engagement non dénué de questionnements

Malgré ces convictions, le choix de volontariat ne se vit pas sans interrogations.

Je me suis souvent demandé quelle serait la meilleure approche pour éradiquer la pauvreté avec toutes ses formes et racines profondes. Comment créer des solutions durables avec les familles afin qu’elles soient véritablement déchaînées de la misère ? De nos jours, est-ce que nous sommes sur le chemin que le père Joseph nous a légué, un volontariat qui repose sur la souffrance des familles, et non sur nos propres intérêts ?

Est-ce qu’avec nos limites, nous arrivons à soutenir et répondre aux attentes réelles des familles ? Comment bâtir des liens durables avec les institutions et partenaires qui porteront avec nous ce combat ? Comment faire face aux questions et souhaits des familles auxquels nous n’avons pas de réponses ? En tant que volontaire, on est parfois bousculé par des questions personnelles qui nous animent au quotidien. Existe-t-il des espaces, des confidents au sein du Mouvement pour en parler sans avoir honte ou peur d’être jugé ?

Avec l’évolution du monde actuel, plusieurs préoccupations refont surface, à savoir la question du genre. Aujourd’hui, quelle est la position du Mouvement par rapport à cela de façon générale ? On parle de la violence faite aux femmes. Dans nos sociétés, il existe aussi les violences faites aux hommes, sur lesquelles il y a moins de débats. Pourtant les hommes victimes de cette forme de violence subissent une double violence qui peut être par exemple silencieuse et physique. Silencieuse en ce sens que la personne qui subit cette violence – au regard de nos valeurs, cultures, coutumes – ne peut s’exprimer car la société n’offre pas des espaces à cet effet. Et même s’il y a des espaces, cela peut être perçu comme une honte chez l’homme, car il est aussitôt jugé par la société, par des moqueries, ce qui a pour effet que les concernés ont peur d’en parler.

S’engager dans le volontariat ne serait pas seulement une question de conviction, mais aussi des visions avec des atouts qui nous permettront de faire entendre la voix des familles.

Il faudrait créer un espace de partage entre l’ancienne génération et la nouvelle génération dans le volontariat pour se transmettre les valeurs et les nouvelles visions, pour une meilleure gouvernance. La présence à nos côtés des alliés, animés par des idées novatrices, est fondamentale et peut aider à permettre aux familles de s’intégrer activement dans la société. Nous œuvrons ensemble pour construire des sociétés égalitaires qui refusent l’extrême pauvreté.

Certes nous avons des forces, mais nous pouvons aussi relever quelques limites, à savoir un manque d’outils pour les recherches de financement face aux besoins croissants des familles, le manque de ressources financières auquel fait face le Mouvement actuellement, une impuissance à certains moments face aux requêtes des familles dans des situations d’urgence auxquelles nous ne pouvons pas répondre, l’abandon des missions par certains jeunes volontaires censés assurer la relève, etc.

Perpétuer la vision et les valeurs fondamentales

En conclusion, ma décision de m’engager dans le volontariat est ancrée dans des convictions guidées par la vision du père Joseph Wresinski. Chaque être humain, peu importe sa situation, doit pouvoir vivre dans un monde où il fait bon vivre pour tous. Pour rester dans cette vision du père Joseph, nous préconisons la création et la mise en place des outils de formation pour toute nouvelle personne qui souhaiterait rejoindre ou découvrir le Mouvement, avec l’aide des anciens, sous forme de partage d’expériences, afin de perpétuer les valeurs du Mouvement qui se veut proche des familles. Ainsi cette expertise de vie des familles nous guidera : « Que celui qui croit ne pas savoir apprenne à celui qui croit savoir. »

1 Depuis les années 1980, une équipe d’ATD Quart Monde va à la rencontre des enfants qui vivent dans les rues de Ouagadougou. En 1984 elle ouvre la

1 Depuis les années 1980, une équipe d’ATD Quart Monde va à la rencontre des enfants qui vivent dans les rues de Ouagadougou. En 1984 elle ouvre la Cour aux cent métiers, projet qui a pour ambition de permettre à ces enfants et jeunes de s’initier à des métiers à travers des rencontres constructives avec des adultes, et de renouer des liens familiaux afin d’être à même d’assumer leurs responsabilités dans la société. Voir également https://www.atd-quartmonde.org/ou-sommes-nous/afrique/burkina-faso/

Marcel Yameogo

De nationalité burkinabè, né dans un village de Côte d’Ivoire, Marcel Yameogo est titulaire d’un master 2 en Droit de l’Ingénierie financière et fiscale à l’Université Dakar-Bourguiba à Dakar (Sénégal). Il a rejoint le Mouvement ATD Quart Monde comme bénévole lorsqu’il était étudiant en 2016. En 2018, il s’est engagé comme volontaire permanent, à Dakar jusqu’en 2019, avant de rejoindre en janvier 2020 l’équipe de la Cour aux cent métiers à Ouagadougou (Burkina Faso).

CC BY-NC-ND