France : Lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale : repères pour une nouvelle étape

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « France : Lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale : repères pour une nouvelle étape », Revue Quart Monde [En ligne], 164 | 1997/4, mis en ligne le 01 mai 1998, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1164

La démarche du gouvernement est apparue dans le discours de politique générale du Premier ministre : « La solidarité doit s'exercer au bénéfice de tous sans exception. Une loi contre les exclusions sociales sera à cette fin présentée au Parlement. » L'élaboration de ce nouveau projet a été confiée à Martine Aubry et à des chargés de mission dans chaque ministère concerné.

Le travail antérieur du Conseil économique et social et des associations qui réfléchissent depuis de nombreuses années à un tel projet politique, constitue indéniablement une bonne base pour cette nouvelle étape. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler à grands traits un certain nombre de perspectives attendues, celles justement qui ne sont pas de la compétence de tel ou tel ministère mais qui affectent l'approche globale et prospective à promouvoir. Elles rejoignent des recommandations déjà exprimées par le Mouvement ATD Quart Monde.

Pour devenir une référence forte et crédible, cette future loi devrait être d'orientation et de programmation.

Il faut en effet préciser l'esprit de la lutte contre l'exclusion, afin que l'action publique ne puisse plus être en contradiction avec celui-ci : respect de l'égale dignité et des droits fondamentaux de tous, refus de s'en tenir à des mesures d'assistance et à des droits minima spécifiques. Il faut également dégager les moyens humains et budgétaires d'une plus grande solidarité nationale pour avancer de façon significative vers l'éradication de la grande pauvreté. On attend bien sûr de véritables programmes à long terme qui ne puissent être facilement remis en cause à chaque alternance politique.

Cette future loi sera pertinente si, à chaque fois que cela s'avère nécessaire, elle met en place les passerelles qui permettront aux plus démunis de bénéficier des politiques générales. Par exemple, des parcours personnalisés vers la qualification et l'emploi.

Du fait du caractère multidimensionnel de la grande pauvreté, la pertinence politique du combat à mener pour la combattre implique nécessairement une approche interministérielle. Le Premier ministre a un rôle essentiel : il peut impulser le travail de proposition de chaque ministère, arbitrer les choix et surtout promouvoir un « dispositif institutionnel » approprié.

Tout d'abord, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale est suffisamment prioritaire pour justifier un pilotage interministériel fort, doté de moyens, capable de mobiliser les administrations et la société civile sur des objectifs ambitieux, de donner une plus grande cohérence d'ensemble aux différentes politiques mises en œuvre.

Cet exécutif ne peut agir valablement qu'avec le concours d'une instance officielle, regroupant les représentants des principaux partenaires directement concernés par la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale : ministères, organismes sociaux, syndicats, associations, élus locaux. Cette instance préexiste : c'est le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE). Élargie dans sa composition, dotée d'un véritable secrétariat, conférant à ses membres la disponibilité souhaitable pour des séances régulières de travail en commun, elle pourrait jouer son rôle d'évaluation et de conseil, être consultée sur les initiatives gouvernementales, disposer d'un pouvoir d'auto-saisine et émettre des avis rendus publics. Les autorités départementales gagneraient à se doter d'une instance analogue.

Un tel dispositif aurait l'avantage d'introduire dans notre fonctionnement démocratique un espace de concertation permanente où les attentes des personnes, familles et groupes en grande difficulté d'insertion seraient au cœur de la réflexion et de la prospective politiques.

On ne peut prétendre agir contre la grande pauvreté sans chercher à mieux connaître les situations de ceux qui y sont confrontés, à évaluer les effets à leur endroit des actions et des politiques, à capitaliser les expériences les plus innovantes pour la combattre.

L'élaboration d'une telle connaissance nécessite de rassembler un certain nombre d'informations quantitatives et qualitatives détenues par divers organismes publics et privés, de procéder à des investigations complémentaires, d'analyser les processus d'évolution en cause, de recueillir le point de vue des différents acteurs, dont les personnes les plus concernées elles-mêmes.

C'est le travail poursuivi en Rhône-Alpes, depuis plusieurs années maintenant, par une instance de recherche à la fois officielle et indépendante : la Mission régionale d'information sur l'exclusion (MRIE). De telles missions d'information pourraient être mises en place dans les différentes régions ainsi qu'au plan national.

Ce genre de travaux permet une actualisation constante des données et leur vérification sur le terrain. Instituer de telles missions sur l'ensemble du territoire contribuerait à cultiver une dynamique prospective, à exercer une fonction d'alerte, à fournir les éléments de connaissance indispensables pour orienter tant les initiatives des citoyens et les décisions des élus que la formation des acteurs.

Il ne faut pas sous-estimer en effet la nécessité d'une formation appropriée à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Elle est rendue d'autant plus nécessaire qu'elle n'est pas, jusqu'à ce jour, dispensée comme telle dans les cursus habituels de formation générale et professionnelle. Beaucoup d'acteurs sociaux engagés dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale en ressentent le besoin.

C'est le cas de divers professionnels confrontés aux réalités de la misère (des enseignants, des travailleurs sociaux, des juristes, des entrepreneurs, des personnels de santé, des agents de services publics ou parapublics...). C'est le cas également de ceux qui, dans le cadre de la vie associative, exercent des fonctions d'accompagnement à l'égard de personnes, de familles et de groupes en grande difficulté d'insertion. Les uns et les autres doivent pouvoir approfondir leurs connaissances de base sur la grande pauvreté, partager leurs difficultés et leur expérience avec d'autres qui connaissent le même genre de situations. Ce type d'échange est indispensable pour lutter contre les risques de découragement et pour faire progresser à plus large échelle les pratiques solidaires innovantes, notamment dans le partenariat avec les plus pauvres.

L'enjeu est bien sûr d'apprendre à aller au-devant de ces derniers qui risquent de ne pas se présenter d'eux-mêmes dans les entreprises, services et institutions. Il est aussi d'apprendre à organiser en réseaux tous les acteurs de l'accès aux droits. Cela suppose que des temps et des lieux de formation mutuelle soient organisés dans ce but.

Mais la logique même de la lutte contre l'exclusion nous presse d'offrir une opportunité analogue de rencontre aux personnes qui sont elles-mêmes en situation d'exclusion sociale. Elles sont légitimées à trouver dans leur environnement des temps et des lieux où elles soient accueillies pour apprendre à forger et à exprimer leur pensée, à dialoguer avec d'autres, à comprendre leur situation, à se doter de nouvelles forces pour assumer leurs responsabilités.

Au-delà de ces acteurs, c'est l'ensemble de la société qui doit être sensibilisé à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, à une véritable connaissance de ces réalités vécues, à une intelligence du défi qu'elles représentent pour le respect des droits de l'homme. Cette formation des citoyens incombe naturellement à l'institution scolaire dans ses différents degrés. Si elle n'est pas mise en œuvre avec diligence et détermination, la société de demain véhiculera encore à l'égard des plus pauvres la même ignorance, la même indifférence, les mêmes préjugés, la même impuissance.

La lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ne saurait donc être considérée comme une mobilisation temporaire pour faire face à une situation conjoncturelle difficile. Elle doit s'inscrire dans la durée et traduire une volonté politique de veiller en permanence aux risques de déchirure sociale. Aussi les promoteurs et représentants associatifs de cette vigilance devraient pouvoir disposer d'un statut propre dans les instances consultatives de la Nation pour qu'elle puisse s'exercer en tous les domaines, pour que leur point de vue soit entendu par l'ensemble des partenaires sociaux et des décideurs politiques.

En clair, ne faudrait-il pas préparer une réforme pour leur attribuer des sièges dans les Conseils économiques et sociaux, voire dans des instances plus sectorielles de consultation ? Il est surprenant que les ONG françaises engagées dans la lutte contre la pauvreté, soient privées d'un statut consultatif au sein des institutions de leur propre pays alors qu'elles ont accès à un tel statut auprès d'organisations internationales. Il serait juste d'institutionnaliser une telle représentation.

Franchir ce pas signifierait clairement que le point de vue des plus fragilisés est jugé indispensable dans le débat démocratique pour contribuer aux orientations et aux priorités du développement social, économique et culturel.

Ce serait un signe fort en direction des populations concernées. Ainsi encouragées à se manifester et à agir au sein des associations qui leur sont proches, elles y trouveraient un chemin de responsabilité et de citoyenneté.

Source : Bulletin d'information ATD Quart Monde / France n°36, juin-septembre 1997

Daniel Fayard

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