Comment aider les parents ?

Amadé Badini and El Hadj Ibrahim Zougmoré

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Amadé Badini and El Hadj Ibrahim Zougmoré, « Comment aider les parents ? », Revue Quart Monde [Online], 189 | 2004/1, Online since 05 August 2004, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1252

Comment aider les parents à relever le défi des mutations qui bousculent les sociétés traditionnelles, les communautés et les familles ?

Index de mots-clés

Enfance, Famille

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Burkina Faso

Ibrahim Zougmoré : Marcher ensemble, parents et enfants

Il faut d’abord que les éducateurs aident les parents. Les parents ont leur éducation traditionnelle, avec des choses qui étaient positives sur lesquelles il faudra revenir. Que l’enfant devienne l’enfant de tout le monde et que chaque parent l’accepte. Que nous, les éducateurs qui animons les enfants dans les centres, parlions un peu le même langage et que nous nous considérions vraiment comme parents face à ces enfants. Que nous évitions de culpabiliser les parents. Ils ne sont pas les seuls responsables de la situation des enfants. La pauvreté n’est pas non plus la seule responsable. Les enfants ont aussi une part de responsabilité. On ne peut pas vivre en famille sans des contraintes. Lorsque deux personnes sont ensemble, automatiquement, il y a un règlement. La personne qui refuse ce règlement va se mettre hors du cercle. Si on amène les enfants à accepter qu’ils ont aussi des devoirs, ils vont réclamer leurs droits, mais aussi assumer leurs responsabilités.

Ensuite, les parents ont aussi besoin d’apprendre. Il y a un écart entre l’éducation que les enfants reçoivent et ce que les parents sont capables de leur donner ou de leur répondre. Il faut se rendre à l’évidence : il faut éduquer les enfants, les mettre à l’école, et tout autant, il faut que les parents soient alphabétisés, participent à des rencontres. Ils ont besoin d’évoluer pour pouvoir répondre aux questions de leurs enfants. Ils doivent savoir quelle éducation leur est donnée, ils doivent y être impliqués. C’est ce qui va faire que les enfants et les parents vont marcher ensemble, vont communiquer de manière bilatérale.

On ne peut plus bâtir des projets avec les enfants sans leur famille ! Il n’y a pas un enfant, dans la vie, dans la rue, qui n’ait pas de projets dans sa tête. Il est nécessaire de bâtir ce projet-là avec sa famille. Cela revient à dire à l’enfant que, quelle que soit la direction où il veut aller, il a aussi la responsabilité d’écouter les parents, d’évoluer avec eux. Dans tout le travail que l’on veut faire avec les enfants ou avec les parents, il faut écouter les deux et voir comment avec leurs besoins propres, ils peuvent marcher ensemble. À ce moment, chacun perçoit de manière très claire ses responsabilités.

La question de la famille et des enfants n’est pas facile à résoudre. Il faut élargir le cercle de cette réflexion. Aujourd’hui, quand on dit qu’on lutte contre la pauvreté, on discute avec les enfants démunis, avec les parents démunis, mais tout le monde est à impliquer dans cette réflexion : l’homme politique, l’homme de la rue, etc.

Amadé Badini : Intégrer les aspects positifs extérieurs.

Un enfant peut être dans la rue, sans être pour autant un enfant « de la rue », dans le sens où nous l’entendons couramment. Les enfants ont vécu dans la rue, c’est vrai. Mais à les entendre, j’ai compris qu’ils n’étaient pas des enfants « de la rue », parce qu’ils ont conscience, (ou peut-être est-ce venu après ?) de ce qu’ils étaient venus faire dans la rue. Ils ont évoqué le fait qu’ils étaient au courant de ce qui se passait dans leur village, qu’ils s’informaient et que quand la situation était alarmante, ils rentraient. Ils ont fait des va-et-vient incessants. Cela signifie que la rue leur servait de cadre non pas d’épanouissement mais de cadre d’exercice de leur personnalité avec comme option, sinon le retour au village, mais la contribution à la vie du village, notamment à la vie de leurs parents et de les aider autant qu’ils le peuvent, étant à la maison ou en dehors de la maison. Il ne faut pas les prendre comme des enfants sans références. A cette dimension peut correspondre un type d’activités à développer pour les amener à aller au village ou à s’intégrer dans une famille.

La famille doit continuer à jouer un rôle central dans l’éducation des enfants et a son mot à dire dans tout ce qui concerne ceux-ci. Il lui reste cette possibilité dans son rôle éducatif aujourd’hui : s’informer systématiquement sur tout ce que son enfant risque de rencontrer en dehors d’elle pour prévenir les aspects négatifs mais aussi pour intégrer les aspects positifs dans sa pratique quotidienne. C’est une obligation non seulement pédagogique mais aussi morale pour sa propre sécurité en tant que famille. On dit chez les Mossi : « Si tu ne peux pas attraper le voleur, accompagne-le avec son butin, il peut te laisser des miettes. » ou « Si tu ne peux rien contre la sorcière, il ne te reste plus qu'à éloigner ton enfant de sa sphère ». L’assimilation de l’extérieur par la famille s’impose aujourd’hui comme une condition préalable pour être à la hauteur.

Je pense qu’il y a encore la possibilité de créer une véritable intégration sociale de l’enfant. Hier, cela se faisait naturellement. Il y avait des visites de l’oncle, de la tante qui étaient des opportunités pour l’enfant de connaître sa famille, d’apprendre de sa famille. Maintenant que ces visites sont moins fréquentes, l’éducation doit prendre une allure d’instruction. On peut enseigner aussi certaines valeurs : la paix sociale, la cohabitation. Il nous faudrait évoluer d’une éducation par imprégnation à une éducation de plus en plus formelle et peut-être que 50 à 60 % de ce qu’on a enseigné en famille pourra rester. Il y aura aussi des situations concrètes où l’enfant vivra à la maison les principes qu’on lui a enseignés de manière plus ou moins systématique.

D’une manière plus large, il faudrait faire en sorte que les familles aient leur mot à dire sur les phénomènes de la vie et sur les phénomènes scolaires classiques. Ce n’est pas au nom d’une démocratie virtuelle mais c’est une question de justice et de chance qu’on peut encore avoir de contribuer à l’éducation des enfants. Il faut que l’école donne aux familles les moyens de participer à ce qui se passe à l’école. On peut faire obligation à chaque circonscription d’enseignement primaire, en début ou en fin d’année, de rencontrer les parents d’élèves pour leur dire, en langues nationales, ce qui va être enseigné aux enfants. Et faire en sorte qu’il y ait plus de communication entre les enseignants et les parents d’élèves, individuellement. Je ne pense pas que cela coûte cher. Il faut que le parent ait l’instinct de venir dire au maître les raisons de l’absence de son enfant. Vu dans une perspective d’intégration, je ne vois pas pourquoi un maître punirait un enfant parce que son père ou sa mère l’a retenu pour une opération ponctuelle. Il faut que la famille soit de moins en moins étrangère aux deux niveaux d’éducation qui s’offrent à l’enfant.

Je pense qu’il devrait y avoir un travail de sensibilisation et d’information pour permettre à la famille de trouver des supplétifs à ce qu’elle ne peut plus faire par rapport à la tradition.

Les organismes ne doivent pas se substituer à la famille. Une de mes premières approches avec l’Unicef a été assez critique : « Vous avez toujours contribué à des travaux pour les enfants. Mais jamais vous ne pourrez sortir les enfants de leur situation si vous ne prenez pas en compte les parents. Quel que soit ce que vous ferez, vous ne pourrez jamais convaincre que vous aimez un enfant plus que ses parents. Et quand je dis parents, ce n’est pas uniquement la femme. Vous êtes obligés de cibler parce que vous ne pouvez pas tout faire, mais même à présent, dans votre ciblage spécifique, n’oubliez pas qu’il n’est ni réalisable ni fonctionnel sans les autres »

C’est pourquoi j’ai trouvé bonne la démarche du Mouvement ATD Quart Monde, qui consiste à ne pas se contenter des enfants de la rue mais à les prendre dans une perspective de rétablir la liaison ou le lien avec leur famille. C’est essentiel, parce qu’il y a quand même des rôles qu’on ne peut pas s’approprier au détriment de ceux qui devraient les jouer naturellement. Dans votre travail, pour qu’il s’installe dans la durée, il faudrait, sans négliger les enfants dans la rue, faire très rapidement connaissance de leur famille, voir comment cela se passe et comment faire pour qu’elle intègre l’enfant sans que celui-ci soit forcément physiquement au village. Vous pouvez lui permettre de renouer avec la famille, vous pouvez aussi convaincre la famille de renouer avec lui. Quand les parents vous voient, c’est comme s’ils voyaient l’enfant et le père peut dire : « Ah, mais vraiment, vous faites bien de m’en parler. Depuis qu’il est parti, je n’ai pas de ses nouvelles. Comment avez-vous fait ? » Je ne pense pas qu’il y ait un parent normal qui ne vive pas cette déchirure avec une certaine peine, de telle sorte que quand il y a une possibilité de dialogue, il va la prendre. Il faut redire aux parents que leur rôle est irremplaçable.

Amadé Badini

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El Hadj Ibrahim Zougmoré

Amadé Badini, professeur et chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Ouagadougou a participé à plusieurs rencontres organisées à la Cour aux cent métiers de cette ville. El Hadj Ibrahim Zougmoré, ami de la Cour depuis des années, est formateur en prévention et sensibilisation des populations au ministère de la Santé, au Burkina Faso

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