Choisir d'agir

Jean Tonglet

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Jean Tonglet, « Choisir d'agir », Revue Quart Monde [Online], 190 | 2004/2, Online since 05 November 2004, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1290

Quand un texte de loi est adopté, quand une déclaration internationale, des résolutions sont signées, quand un traité est ratifié, par un pays, un groupe de pays ou par l’ensemble de la communauté internationale, il est de bon ton aujourd’hui d’afficher ouvertement son scepticisme. « Des mots, des mots, des mots », dit l’un. « Du papier, du papier, du papier », répond l’autre.

Il est vrai qu’entre l’adoption d’un texte, aussi inspiré soit-il, et sa traduction dans la vie quotidienne des citoyens, le chemin est long et parfois chaotique. Il suffit de penser, par exemple, à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948. Son existence n’a pas empêché, hélas !, que les droits de l’homme continuent à être foulés au pied, partout dans le monde. De même, aux espoirs que l’adoption d’une loi avait suscité, succède l’impatience de la voir appliquer et se traduire dans les faits, dans la vie même de celles et ceux dont elle prétend vouloir améliorer le sort. Des avancées réelles sont suivies de reculs qui ne le sont pas moins. Les arrêtés d’application, les circulaires tardent à être publiés, et quand ils le sont, les mentalités de celles et ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre n’ont pas toujours accompli la révolution culturelle sous-jacente.

En 1973 déjà, en première page de Feuille de Route, le père Joseph Wresinski nous avait avertis : « La lutte contre la misère ne se mesure pas seulement au nombre de lois votées, aux budgets alloués, mais à notre volonté tenace de les faire appliquer ». Pas seulement, nous dit-il, et ce mot n’est pas sans importance.

Il serait sot en effet de jeter le bébé avec l’eau du bain et de considérer la Déclaration universelle des Droits de l’homme comme de l’encre et du papier inutilement gaspillés sous prétexte que les droits de tant d’hommes et de femmes dans le monde sont encore violés. De vouer la Convention des Droits de l’enfant aux poubelles de l’histoire sous prétexte que des millions d’enfants ne sont pas scolarisés, ont faim, n’ont pas accès aux soins de base, sont séparés de leurs familles. De dire que les lois adoptées en France et ailleurs en matière de lutte contre la pauvreté n’ont servi à rien au prétexte qu’elles ne produisent pas tous les effets escomptés.

Rappelons-nous, il y a quelques décennies déjà, l’adoption des fameux « Accords d’Helsinki ». Qui, de ce côté occidental de l’Europe n’a pas affiché son scepticisme, considéré la signature de l’URSS et des pays membres du Pacte de Varsovie comme de la poudre aux yeux ? Alors que de l’autre côté, les dissidents, dans la clandestinité puis au grand jour, n’ont jamais cessé de prendre appui sur ces engagements souscrits par leurs gouvernements. Les « Comités pour l’application des Accords d’Helsinki », la « Charte 77 » en Tchécoslovaquie, et tant d’autres groupes et mouvements en sont nés. Ils se sont arc-boutés sur ces textes, prenant au sérieux les promesses et les engagements de leur dirigeants. Pensons-nous que sans cela leur effort eût connu le succès qu’il obtint finalement ? Si les peuples de l’Europe orientale et centrale ont recouvré la liberté, ce n’est pas seulement, bien sûr, à cause de ces accords, mais en partie à cause d’eux, grâce à eux. Cela n’a pas suffit, bien sûr. Et le changement ne s’est produit que parce que des citoyens, de plus en plus nombreux, ont décidé de faire vivre ces textes, ont déclaré la mobilisation générale pour exiger que la parole donnée soit honorée, que les traités adoptés ne soient pas des chiffons de papier ou des articles de musée.

Ce numéro de Quart Monde, qui prend appui sur le récent rapport du CES1 témoigne d’un effort analogue. En France, au Canada, en Belgique, et ailleurs, des lois ont été adoptées au prix de combats parfois très longs. Elles ne vivront et ne tiendront leurs promesses que si les citoyens montrent le chemin, choisissent d’agir pour que ces lois et leurs promesses ne restent pas des intentions généreuses mais se matérialisent et conduisent à de véritables changements.

1 L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous, Conseil économique et social, rapport présenté par Didier Robert, 2003, éd. des
1 L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous, Conseil économique et social, rapport présenté par Didier Robert, 2003, éd. des Journaux officiels, 111 pages. Disponible aux Editions Quart Monde

Jean Tonglet

Jean Tonglet est rédacteur en chef de la revue Quart Monde

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