Basta Ya !

Jean Tonglet

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Jean Tonglet, « Basta Ya ! », Revue Quart Monde [En ligne], 190 | 2004/2, mis en ligne le 05 novembre 2004, consulté le 23 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1348

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Résistance, Solidarité

Comme chacun, en apprenant l’attentat de Madrid du 11 mars 2004, j’ai été saisi par l’émotion et la colère. Rien, on ne le dira jamais assez, rien, aucun combat, aucune idée, ne peut justifier de tels actes. Convoquer la lutte contre la misère à un tel rendez-vous est une supercherie qu’il nous faut dénoncer. Nous ne pouvons accepter que cette violence de nantis instrumentalise ainsi la misère.

Une autre émotion m’a saisi en voyant les rues de Madrid, de Barcelone, de Bilbao, de Séville, se remplir, comme un fleuve qui quitte son lit, d’une foule immense de citoyens de tous les âges, de tous les milieux, de toutes les appartenances politiques, philosophiques ou religieuses, unis par le silence, les paumes des mains tournées vers le ciel, réunis dans la même compassion et avec un seul mot d’ordre : Basta ya ! Cela suffit !

J’ai vu ces foules, j’étais avec elles, je me sentais espagnol et madrilène comme chacun d’entre vous, sans doute.

Une troisième émotion me vint le soir des élections en Espagne. Indépendamment des choix politiques des uns et des autres, et même du positionnement des uns et des autres sur la guerre en Irak, j’ai ressenti, ce soir-là, combien un peuple pouvait, en des circonstances exceptionnelles, réaffirmer sa volonté d’être maître de son destin, de ne pas accepter d’être considéré comme un troupeau sans cervelle auquel consciemment ou non on tait au moins une part de la vérité.

Et je me suis pris à rêver - mais il ne tient qu’à nous que ce rêve devienne réalité - à une réaction analogue de nos peuples, partout dans le monde, en Haïti comme aux Etats-Unis, en République centrafricaine comme en Suisse, à l’égard de la misère. Pourquoi donc la misère, qui est une violence radicale, ne suscite-t-elle pas les mêmes réactions ? Pourquoi la tolérons-nous si facilement ? Pourquoi ne sommes-nous pas des millions dans les rues pour faire mémoire de ses victimes et exiger que cette hécatombe s’arrête ?

Serait-ce que nous ne nous identifions pas aux victimes de la misère aussi facilement que nous nous sommes spontanément identifiés aux Madrilènes ou aux New-Yorkais ? Serait-ce, comme l’écrit dans ce numéro Christopher Winship dans un article consacré à la pensée du père Joseph Wresinski, que les pauvres restent pour nous des « autres », « les autres », alors qu’ils sont, qu’ils devraient être « nous ». En tirerons-nous enfin les conséquences ?

Jean Tonglet

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