Je ne me suis pas découragée

Saloua Djendjeli

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Saloua Djendjeli, « Je ne me suis pas découragée », Revue Quart Monde [En ligne], 190 | 2004/2, mis en ligne le 05 novembre 2004, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1355

Dans les quartiers exclus, les habitants sont les premiers à se battre pour obtenir leurs droits et le respect de leur dignité.

Index de mots-clés

Engagement, Militantisme, Résistance

Je suis née à Marseille, à la Renaude, une cité qui a très mauvaise réputation. J’y ai grandi et j’y habite toujours avec mes deux enfants. Les habitants y sont mis de côté, à cause de cette réputation. Par exemple, pour l’école, tous les enfants de la cité doivent aller dans un collège qui est loin, alors qu’il y en a cinq bien plus proches. En plus, à Château-Gombert, il y en a un tout neuf, mais il est trop beau pour nous.

Moi, je voulais mettre mon fils Jérémie dans un collège que je pensais mieux pour lui, à côté de la cité. J’ai tellement insisté auprès de l’Académie qu’ils ont cédé et m’ont accordé une dérogation. Mais alors ceux qui ne peuvent se défendre comme moi, qu’est-ce qu’ils font ? Et pourquoi y a-t-il tant de familles de la Renaude qui mettent leurs enfants dans le privé ?

J’ai essayé aussi de faire entendre notre point de vue à la société HLM, mais c’est très difficile. Par exemple, dans la cité il y a du trafic c’est vrai et on y brûle des voitures toujours au même endroit contre un mur. Evidemment il faut se battre contre ça. Lorsque les ingénieurs de la réhabilitation sont venus, nous sommes allés leur parler. Ils avaient l’intention de peindre le mur en blanc. Nous leur avons dit que ça ne servait à rien pour le moment. Ce n’était pas ça qui était le plus urgent. Ils ne nous ont pas écoutés. Ils ont peint le mur, qui a été tout de suite noirci. Par contre nous réclamions qu’ils réparent un fenestron dans l’entrée : le froid et la pluie entraient par là. Nous avons insisté, en vain. Il a fallu faire intervenir une association pour qu’enfin ils le réparent.

J’ai mangé la misère longtemps...

Je sais ce que c’est, alors je ne peux rester sans rien faire quand je vois comment ça se passe autour de moi. Aux Restos du Cœur, on nous a dit : « On ne sert pas la Renaude ». Et pourtant, il y en a de la misère ici. Comme cette femme qui a recueilli les trois enfants de sa sœur décédée et qui n’a aucune aide. Ils souffrent de la faim. Quand on voit tous les jours cette misère, c’est insupportable. J’en ai parlé aux religieuses qui habitent la cité depuis des années. Par une de leurs amies, vingt et une familles qui en avaient vraiment besoin ont pu être dépannées. Ici, je connais tout le monde. Cela me fait plaisir d’aider. J’ai vécu ce que vivent ces familles aujourd’hui. Mes enfants m’aident et sont contents de le faire. Je les élève comme ça et j’espère qu’ils continueront.

Qu’est-ce qui m’a donné cette mentalité ? C’est mon père, c’est son éducation. Pourtant je l’ai peu connu, il est mort quand j’avais onze ans, je l’ai toujours vu malade, à l’hôpital ou couché à la maison. Je crois que je n’ai jamais pris un repas à table avec lui. Mais je l’ai toujours vu aider tout le monde. Il remplissait les papiers, surtout pour les impôts, moi aussi d’ailleurs. Il nous a toujours dit : « N’oubliez jamais d’où on vient » Ma mère aussi, elle donne tout. Ce serait difficile pour moi de ne pas faire comme eux, j’ai ça dans les gènes.

J’ai parlé de mon éducation, auprès de mes parents. La bonté, c’est quelque chose mais il faut aussi savoir se rebeller. J’ai été engagée dans le groupe de jeunes d’ATD Quart Monde, et là j’ai appris à parler. J’ai appris à ne pas avoir peur des personnes qui sont en face de moi. J’ai vu que je pouvais parler comme je suis et qu’il y a des personnes qui m’écoutent, me comprennent. J’ai pris confiance en moi et dans les autres. Je n’ai plus peur de demander, de me renseigner, de frapper aux portes.

Un exemple : ni les infirmières ni les aides-soignantes ni les médecins ne voulaient venir dans la cité. Et pourtant il y a de nombreuses personnes âgées qui ont besoin de soins et qui ne sont pas aidées. J’ai galéré pour obtenir qu’ils reviennent. Je suis d’abord allée à la mairie où on m’a répondu : « Ce n’est pas notre domaine ». Je suis allée au CCAS1 pour les personnes âgées, en vain. Je ne me suis pas découragée, je suis allée au conseil général, où on m’a remis le dossier spécial pour personnes âgées. Nous nous sommes battus jusqu’au bout et maintenant les médecins, les infirmières, les aides-soignantes viennent dans la cité. Nous avons même fait embaucher leurs enfants comme aides-ménagères : ça fait des RMI2 en moins.

Nous avions envie aussi que les gens de l’extérieur regardent notre cité autrement. Nous avons décidé de faire une porte ouverte, et nous avons invité un musicien des Gipsy King. Il fallait absolument que nous réussissions. Avec le centre social tout le monde s’y est mis, y compris les Gitans, les Arabes. Les jeunes ont nettoyé la cité, ils ont gardé les instruments de musique pour qu’ils ne soient pas volés. Les femmes ont fait des gâteaux. A cette porte ouverte, il y avait beaucoup de monde du quartier et des personnes de la mairie. Même le préfet est venu tout seul avec son chauffeur. Nous étions tous très fiers. Il n’y a eu aucun incident. Ce fut une vraie fête.

1 Centre communautaire d’action sociale
2 Revenu minimum garanti
1 Centre communautaire d’action sociale
2 Revenu minimum garanti

Saloua Djendjeli

Saloa Djendjeli est mère de famille de deux enfants de douze et sept ans (propos recueillis par Marie-Hélène Boureau).

CC BY-NC-ND