La volonté de tirer les gens vers le haut

Paulette Hofman

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Paulette Hofman, « La volonté de tirer les gens vers le haut », Revue Quart Monde [Online], 190 | 2004/2, Online since 05 November 2004, connection on 20 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1365

Le refus de l’injustice engage à une solidarité sans faille (Propos recueilli par Jacqueline Chabaud)

A mon arrivée dans son bureau du Conseil économique et social (CES), cette femme chargée de responsabilités, achevait de disposer des roses dans un vase, en amoureuse des fleurs. Image symbolique : les fleurs aussi ne peuvent attendre. « Comme tous les syndicalistes, assure Paulette Hofman, j’ai toujours cherché à tirer vers le haut ceux qui sont en bas » Et d’ajouter aussitôt que cette passion lui avait permis de rejoindre celle de Geneviève de Gaulle Anthonioz, membre du CES, ancienne présidente d’Atd Quart Monde, décédée en 2002 : « A la section des Affaires sociales, elle s’acharnait à faire prendre en compte la réalité de la misère et la dignité de chacu »

La rage de l’impuissance

Née à Lille dans une famille ouvrière, la petite Paulette habite avec ses parents une maison qui donne sur la rue, « un privilège », tout près des courées où s’alignaient des maisons minuscules. Elle se souvient d’une famille de quatorze enfants qui occupait un de ces logements. « Les maisons étaient les mieux tenues possible, avec du sable blanc jeté sur le carrelage. C’est là que j’ai appris la solidarité » Plus tard, lors d’un examen psychotechnique, elle n’aura pas de mal à répondre à une question sur la différence entre pauvreté et misère : « La pauvreté, je la connais, la misère, non »

Jeune, Paulette ne sait pas vers quoi s’orienter. Elle entre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille comme secrétaire médicale. « J’ai eu la chance de tomber sur un patron pneumologue qui m’a tout appris ». Il veillait particulièrement à ce que riche ou pauvre, un malade soit entouré, suivi, soutenu, « à égalité ». Cette philosophie ne l’a plus jamais quittée. Elle ne supporte pas de voir souffrir et moins encore mourir des enfants. Elle se souvient particulièrement d’un petit garçon de huit ans, atteint de leucémie : « Quand sa mère l’a su, elle a abandonné son fils et les secrétaires médicales l’ont pris en charge. La fenêtre de sa chambre donnait sur la cour d’une école. Un jour, je lui ai dit de se dépêcher de guérir pour pouvoir aller jouer. Il m’a répondu : « Ne dis pas de bêtise ». J’ai eu la rage de l’impuissance et je l’ai toujours ! »

Après douze ans de secrétariat, elle passe à la direction des affaires médicales du même CHU où elle restera une douzaine d’années. Paulette Hofman ne défend pas seulement le droit des travailleurs mais celui des malades. Elle s’efforce de faire évoluer les habitudes. Pourquoi cet homme âgé attend-il sur un brancard dans les courants d’air ? Parce qu’habituellement, il faut d’abord régler la paperasserie avant d’entrer dans un service -  ce qui évite au personnel d’avoir à se déplacer pour porter un dossier. Elle fait d’abord accueillir le malade et régler ensuite les papiers. « J’ai toujours eu la volonté de laisser les gens dans leur dignité, jusqu’au bout »

La solidarité, non la charité

Vingt ans passés au CES n’ont pas lassé Paulette Hofman :

« Syndicaliste à Force ouvrière, mes interlocuteurs étaient des adversaires, comme pour tous les militants syndicaux. Ici, on est obligé de s’écouter mutuellement, de réfléchir ensemble, c’est une force. A la section des Affaires sociales, nous avions fait deux rapports avec Geneviève de Gaulle Anthonioz. Ils concernent tout le monde, car ils défendent des droits universels, pas des droits spécifiques ! Celui de Didier Robert, « L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous » en est la suite. Il s’agit de faire prendre conscience de la nécessité de la solidarité. Ce n’est pas évident. Par exemple, les associations reprochent souvent aux syndicalistes de ne pas s’engager avec elles, mais les syndicats constatent que les associations ne viennent pas à leurs réunions ! »

Solidarité, c’est le maître mot qui régit l’engagement de cette militante. « On ne peut pas s’habituer à cette situation de misère, on ne peut pas s’y installer. Comment admettre que dans notre pays, des millions de personnes soient en dessous du seuil de pauvreté, que des milliers de jeunes sortent de l’école analphabètes ? »

Pourtant, Paulette Hofman ajoute : « Il ne faut jamais renoncer à impulser, mais il ne faut pas rêver. Dans les négociations avec les entreprises, on devrait pouvoir introduire l’embauche des exclus. Cela devient pourtant de plus en difficile, du fait des difficultés des entreprises et de la situation des salariés qui ont déjà bien du mal à défendre leur bifteck. Avant, on négociait pour avancer, maintenant, on négocie pour ne pas reculer ! Et quand je vois les jeunes poussés à la réussite et à l’individualisme, cela me fait peur. Lors de rencontres avec eux, je les invite à être solidaires en leur rappelant qu’ils ne resteront pas jeunes très longtemps ! »

Si des lueurs d’inquiétude marquent son propos, Paulette Hofman prend à son compte la célèbre phrase du général Charrette : « Fatigué souvent, déçu quelquefois, découragé jamais »

Elle s’insurge contre la tendance à juger inefficace le Conseil économique et social : « Les gens ignorent souvent que ses rapports sont suivis d’effets : par exemple, le revenu minimum d’insertion, le droit des malades, la lutte contre les exclusions et ce rapport de Didier Robert sur l’accès aux droits de tous... Il serait souhaitable qu’une évaluation en soit faite dans quelques temps. » Le souhait est désintéressé puisque Paulette Hofman, ne voulant pas demander le renouvellement de son mandat, va quitter ses fonctions prochainement. « ai commencé à travailler en 1947 ! J’aurai enfin du temps pour lire autre chose que des rapports, écouter de la musique et fleurir mon balcon ! » Elle retournera plus souvent dans son Nord natal : « Certains prétendent qu’il est laid ! C’est faux ! Il y a de très beaux endroits. Et parler de la laideur des terrils, des corons, c’est tout simplement oublier qu’ils témoignent de la peine et de la souffrance des hommes qui y ont vécu et travaillé ! » Elle refuse toujours autant de voir souffrir et l’idée de charité : « une rustine sur des plaies ». Pour elle, donner à des associations, loin de dédouaner, oblige à l’action. « Il m’est impossible de renoncer à la solidarité ! Je continuerai à m’investir »

Paulette Hofman

Engagée dans le syndicalisme depuis toujours, Paulette Hofman a travaillé pendant plus de vingt ans au Centre hospitalier universitaire de Lille (CHU). Questeur au Conseil économique et social français (CES), elle en préside la section des Affaires sociales et a vigoureusement soutenu le rapport  « L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous »

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