“ Qu’ils soient vraiment sur leur terre ”

Jacques Tronchon

References

Electronic reference

Jacques Tronchon, « “ Qu’ils soient vraiment sur leur terre ” », Revue Quart Monde [Online], 197 | 2006/1, Online since , connection on 20 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/152

Extraits d’un entretien avec Tsimihevy Gaudefroi et Diana Skelton, propos recueillis avec le concours de Monique Veyre.

A Madagascar la population est assez mouvante, surtout si elle est dans une grande précarité et sans abri. Face à cela, on peut certes soulager quelques misères, voire orienter une famille vers son village d’origine et aider à son installation. Mais cette réponse ne saurait suffire. Jacques Tronchon raconte comment il a été amené à s’engager avec d’autres dans un véritable projet, mis en place progressivement en concertation avec les autorités malgaches.

Index de mots-clés

Habitat, Logement

Index géographique

Madagascar

En arrivant à Tananarive à la fin de l’année 86-87, j’ai vu cette population errante dans les rues et beaucoup d’enfants dormant sous les tunnels. J’y avais vécu en 1968/70 et, à cette époque, on ne voyait pas un pays en train de basculer ainsi dans la misère. J’ai eu la chance de connaître un couple malgache luthérien qui recevait des sans abri, Jules et Berthiline. Un jour, montant à pied à l’université, j’ai vu ce couple cultivant un grand terrain vague, autrefois un champ de tir, dans un endroit très quadrillé par l’armée, entouré par des casernes, la prison et la police. Ce couple recevait des sans abri pour leur proposer autre chose que “ faire les poubelles ”. Nous avons tout de suite sympathisé naturellement...

Dans les années 85-86 la municipalité avait chassé des rues tous ceux qui étaient sans toit, en les mettant dans des camions pour les amener vers la décharge, vers les carrières. Il y avait eu un appel de l’évêché de Tananarive qui disait qu’il fallait essayer de sauver ces gens-là. C’est bien beau de les avoir enlevés, mais qui s’en occupe maintenant ? Parallèlement à diverses initiatives, dont celle du père Pedro (lazariste), j’ai interrogé les différents instituts franciscains : pourquoi n’essayerions-nous pas nous-mêmes d’aider à améliorer la situation de ces familles ?

Tout en étant professeur à l’université, j’ai commencé à mobiliser une équipe de religieux et laïcs pour que cela s’organise. Nous avons créé en 1991 l’association Accueil des Sans Abri pour essayer de réinsérer toutes ces familles en grande précarité. L’idée de l’ASA est d’accueillir le papa, la maman et les enfants, car ce n’était pas tellement le phénomène des enfants à la rue qui émergeait mais celui de familles entières à la rue. J’avais un ami, le docteur Sixte Blanchy, qui travaillait au bureau d’hygiène à Tananarive au titre de la coopération française. Il m’avait dit : “ Essayons de faire une recherche sur cette réalité sociale des sans abri à Tana. Comme tu es à l’université, tu vas piloter tout cela avec des chercheurs de différentes disciplines (sociologie, géographie, etc.) ”

Nous avons donc créé une cellule de recherche pluridisciplinaire, qui continue d’ailleurs aujourd’hui, et nous avons invité toutes les associations concernées par la situation des gens en grande précarité. Des enquêteurs ont été envoyés dans la rue et dans les centres pour voir comment ceux qui accueillaient proposaient des solutions et comment la population avait l’espoir de changer. L’ASA a piloté cette recherche qui a donné lieu à la publication d’un gros rapport : Les sans-abri à Antananarivo de 1992 à 1994. Nous y avons mis beaucoup de récits de vie des gens que nous avions interviewés.

C’est à partir de là que l’ASA a pris son envol. Nous avons compris qu’il ne fallait pas se contenter des petites baraques proposées par Jules et Berthiline. Il fallait demander des subventions pour pouvoir édifier bien d’autres constructions, même si je me souviens de la mise en garde du docteur Blanchy qui nous disait : “ Attention à ne pas trop construire, restez au niveau des gens ! ” Nous avons aussitôt été aidés par la Fondation Abbé Pierre, la coopération française et la famille franciscaine... en attendant par la suite bien d’autres bailleurs de fonds.

Pourquoi migrer vers l’Ouest ?

En 1995, une personne du Secours catholique m’a dit : “ Vous avez créé un centre d’accueil important où vous hébergez une vingtaine de familles. Mais maintenant qu’est-ce que tu fais ? Si tu ne réinsères pas les gens, cela ne sert à rien. Tu ne vas pas les laisser là tout le temps ! ”. A ce moment-là nous venions de trouver une ferme dans la banlieue de Tananarive vers le Moyen Ouest. Je me suis dit qu’avec cette ferme d’une vingtaine d’hectares, nous allions pouvoir faire beaucoup de choses. Nous avons commencé à y orienter des familles. Catastrophe ! Il y a eu de la casse ! Au bout de quelques mois, nous avons vu que ça ne marcherait pas : nous n’avions pas préparé les gens ! En ville nous leur apprenions à gratouiller la terre dans de petits jardins, mais rien de plus. Assez vite nous nous sommes rendu compte que le centre ici ne leur était pas très adapté et qu’il était très difficile de les déconnecter de leurs réseaux, pas toujours très recommandables d’ailleurs car proches de la délinquance organisée. Nous avons voulu chercher une solution d’avenir.

Nous avons pris notre bâton de pèlerin pour voir ce qui se passait dans l’Ouest. En 1996, nous avons commencé à trouver des terres et nous avons persuadé les gens qui étaient sur la ferme qu’il leur faudrait partir. Ils ont été d’accord.

Comment se déroule votre démarche ?

D’abord l’enquête. Qui sont les gens, d’où viennent-ils, pourquoi sont-ils là, que pourrait-on faire avec eux ? Et puis après c’est une démarche d’adhésion parce que nous, universitaires, nous avons notre manière à nous de comprendre. Mais avons-nous vraiment bien compris ? Et eux, ont-ils vraiment bien compris ? Il faut essayer de délibérer ensemble. C’est le travail de l’ASA à partir des animateurs de rue. Notre premier objectif est un travail de repérage dans la rue avec les familles en grande précarité, sans abri, ou de paysans sans terre qui débarquent. Nous essayons de voir s’ils vont adhérer à ce projet, se mobiliser, se motiver. Il y a tout un travail d’adhésion mutuelle : nous, vis-à-vis de ces familles et ces familles, vis-à-vis de nous. Ces familles, que nous avions mises dans la ferme en banlieue de Tananarive, nous les avons beaucoup sensibilisées pour qu’elles acceptent de partir dans l’Ouest en 1997.

La première étape se passe à l’est de la ville, dans une propriété d’une quarantaine d’hectares gratuitement mise à la disposition de l’ASA. C’est une période qui peut durer plusieurs mois : il s’agit de “ redonner vie ”, de comprendre sa propre histoire, de se refaire une santé... Là, l’objectif est de constituer une promotion. Des gens qui vivaient dans la rue, sans se connaître vraiment, vont apprendre à vivre en collectivité. Et nous leur faisons comprendre qu’au bout de deux ou trois ans ils vont devoir former un village dans le Moyen Ouest. Ils vont devenir des pionniers. Il va leur falloir du courage et beaucoup d’investissement personnel et collectif pour répondre personnellement et tous ensemble à beaucoup de défis. Nous les préparons à tout cela et, en même temps, nous leur donnons la compétence professionnelle que doit avoir tout villageois : être capable de cultiver, de faire de l’élevage, d’acquérir un savoir-faire de type artisanal dans tel ou tel domaine d’activité.

La deuxième étape, près de la ferme, accueille les familles sur certains espaces d’élevage et de maraîchage, pour des travaux agricoles qui leur permettent une activité économique susceptible de devenir peu à peu rentable, pour leur apporter une certaine autonomie.

Et puis finalement, elles arrivent sur la zone d’immigration. Avec elles, nous créons un village, puis un autre village. En 2005, nous avons neuf villages dont les habitants sont originaires de Tananarive, essentiellement des anciens sans abri ou des gens en grande précarité. Du fait de la création de ce pôle, nous sont arrivées des demandes d’un peu partout à Madagascar : des gens qui n’avaient plus de terre, sans être des marginaux. Alors nous avons formé des promotions spéciales de paysans sans terre. Pour le moment il y en a sept. Donc au total il y a seize villages, ce qui représente environ trois cent quatre vingt familles et près de deux mille personnes vivant dans la mouvance de l’ASA. Les deux tiers ont déjà acquis leur autonomie.

Les gens se sont enracinés là-bas et maintenant nous avons une équipe d’accompagnateurs dans toutes les disciplines d’activité : des animateurs agricoles, des instituteurs, des médecins, des infirmières, des assistants sociaux... C’est quand même une équipe assez lourde, une cinquantaine de personnes. Il faut des gens qui sachent faire de la mécanique, des conducteurs de voiture, des conducteurs de tracteur, etc.

Le rôle de l’ASA est d’accompagner et non de tout diriger. Ce sont les bénéficiaires qui sont devenus les artisans de leur propre vie quotidienne. Nous sommes en train de monter un Centre des métiers ruraux pour les enfants. Quand les jeunes sortent de l’école, ils ont bien sûr vu travailler leurs parents mais ils n’ont pas forcément appris.

Qu’apprenez-vous des familles très pauvres ?

Elles m’évangélisent ! Ce sont les familles pauvres qui nous donnent la volonté d’aller de l’avant. Celles qui ont eu le plus de courage sont les premières parties à l’ouest, parce qu’alors il n’y avait que des immensités sans personne, des lémuriens dans les arbres, des crocodiles dans les rivières et le risque de trouver des bandits de grand chemin, les Dahalo (1 Voleurs de bœufs ) dont c’était plus ou moins le royaume. Le parcours pour s’y rendre était très dangereux, classé comme zone rouge par les autorités militaires. Nous avons quand même eu le culot d’y aller. Même si aujourd’hui ça devient de plus en plus facile d’aller là-bas, il faut énormément de courage, de détermination, de foi. C’est peut-être parce qu’ils ont vécu dans un grand dénuement que des gens sont capables de vivre cela.

Nous avons fait quand même école parce que la municipalité et le gouvernement s’en préoccupent maintenant... Nous ne cessons de leur dire que tout a un coût, un coût humain et un coût financier...

Si on veut être avec les gens qui sont dans la rue, il faut les rencontrer, il faut vivre avec eux. C’est cela surtout que les gens m’ont appris : leur grand courage malgré toutes les vicissitudes de la vie, malgré toutes les claques qu’ils ont pu recevoir, leur capacité malgré tout à rebondir. C’est une leçon d’espoir qu’ils nous donnent...

Nous sommes attachés les uns aux autres et pour eux, je suis leur frère. Je pense qu’au fond ils se sont sentis aimés et ils me le rendent bien.

Parfois nous avons beaucoup de peine à accepter dans nos rangs des gens très marqués par la vie, par la délinquance, par l’alcoolisme. Malgré tout, nous en avons accueilli quelques-uns et si nous ne pouvons pas les accueillir chez nous nous les orientons ailleurs. Nous avons fait ainsi un bon bout de chemin avec Emmaüs, avec ATD Quart Monde.

Il y a eu une amitié au départ avec Jules et Berthiline, qui habitent encore là. Jules est dans le conseil d’administration et Berthiline est directrice de la petite école créée à côté du centre de formation artisanale (CFA) pour que les mamans en grande précarité qui viennent là puissent y scolariser leurs enfants. Le CFA est depuis deux ans la base d’une nouvelle réinsertion, cette fois en milieu urbain. Quel que soit notre projet aujourd’hui, en ville ou à la campagne, les familles très pauvres y ont cru. Si elles-mêmes n’y avaient pas cru, cela n’aurait pas marché. Si les gens viennent à l’ASA seulement pour un intérêt matériel, ça ne va pas aller loin.

En réalité nous avons rectifié le tir au fur et à mesure du développement de la migration des familles. Nous avons de mieux en mieux professionnalisé notre démarche. C’est vrai que les premières familles ont essuyé les plâtres et maintenant ça se ressent encore...

Ce qui était au départ vraiment improvisé, est devenu de plus en plus organisé, mais sans changements brutaux. Cela s’est fait progressivement. Nous avons toujours essayé d’évaluer et de réajuster.

Y a-t-il des familles qui renoncent au projet ?

Oui, c’est pour cela que nous avons toujours maintenu ce cheminement. Encore que maintenant ce sera peut-être plus facile pour ceux qui veulent migrer dans l’Ouest d’y aller directement.

A cette époque, l’effort de la collectivité pour désenclaver cette région n’était pas encore entrepris, la route nationale était toute bosselée. Les pistes n’avaient de piste que le nom. Il fallait au moins dix heures pour y aller. Un jour, j’ai pris avec moi Léonce, un de mes anciens étudiants, qui maintenant coordonne tous les ateliers ici. Je lui ai dit : “ Nous allons chercher quelque chose d’accès facile. ” J’avais entendu dire qu’il y avait un terrain dans la région de Moramanga. La côte Est séduit toujours. On a l’impression quand on descend là-bas qu’on serpente dans un grand jardin alors que, dans l’Ouest, tout est aride la plupart du temps. Je dis : “ Nous allons nous installer là, arrêtons de galérer ! ” Puis le soir Léonce me parle des enfants dans l’Ouest qui commencent à s’habituer à la pêche et à la chasse. “ Les familles maintenant sont enracinées là-bas, laissons-les vivre ! ” Leur société était plus qu’embryonnaire, mais elle était déjà organisée. Léonce m’a dit : “ Tu n’as pas le droit d’imaginer de les changer d’endroit parce que maintenant là-bas, c’est chez eux. ”

L’histoire de l’ASA, c’est finalement le mouvement même de la vie que nous avons permis. L’étincelle jaillie, il suffit de l’accompagner, de l’encourager. Il y a eu des moments de doute, mais des amis malgaches comme Léonce et Jules m’ont toujours incité à persévérer. Je vois des étrangers au pays qui essaient d’imposer des choses avec beaucoup de bonne volonté, mais ça ne marche pas. Où est la participation des Malgaches, où est l’initiative malgache ? C’est ce qui m’a amené moi-même à prendre cette nationalité.

J’ai vu des régions d’immigration où les migrants viennent provisoirement pour faire des cultures, mais ils repartent là où sont leurs tombeaux, leurs origines. Ce n’est pas le cas des nôtres, car ils n’ont plus aucune attache avec aucun autre endroit. La société nouvelle, ils l’ont créée. Ce n’est pas un espoir, c’est un constat. Bien entendu il ne faudrait pas que du jour au lendemain, l’ASA leur dise : “ Débrouillez-vous ! ”. Ils ne le pourraient pas.

Que deviennent celles qui ne vont pas jusqu’au bout ?

Certaines dérivent dans les rues. Nous arrivons difficilement à en recaser d’autres ailleurs. Nous avons pu repêcher quelques familles qui nous avaient quittés ou auxquelles nous avions demandé de partir. Après elles ont réfléchi : en fait elles n’étaient pas prêtes à faire le saut au moment où nous les invitions. En général les gens qui rentrent chez nous ne sont pas des populations à hauts risques. Les “ gros caïds ” ne sont pas chez nous. Il y a toute une catégorie de familles que nous ne prendrons pas, parce qu’elles ne sont pas motivées pour venir nous rejoindre et parce que nous ne savons pas comment faire pour répondre à leur comportement... Malgré tout, chaque année nous accueillons pour la réinsertion urbaine ou rurale une centaine de familles. Ce n’est déjà pas si mal !

Maintenant dans le Moyen Ouest nous avons de bonnes capacités d’intervention pour aider à l’installation des migrants, sur des parcelles d’environ cinq hectares par famille. La propriété s’acquiert progressivement à partir du moment où l’Etat a constaté la mise en valeur des terres. Et pour cela il y a au minimum cinq sinon sept années d’occupation des lieux. Nous sommes maintenant effectivement dans la période des premières acquisitions foncières. En ville, la filière artisanale s’organise peu à peu, dans le sillage du CFA.

Que proposez-vous au niveau de la spiritualité ?

Les familles que nous côtoyons dans la rue semblent complètement en dehors de tout... Nous avons toujours eu l’intention d’aller avec elles au bout de leur foi. C’est petit à petit qu’à nos côtés elles se sont senties un peu plus catholiques ou un peu plus protestantes...

Nous avons créé une chapelle dédiée à Notre-Dame de la Paix au cœur de notre premier lieu d’accueil. Les gens viennent de partout : il y a des cultes œcuméniques et le dimanche beaucoup de monde assiste à la messe. C’est très émouvant, parce que c’est un lieu de rencontre entre des personnes venant de la rue et des personnes d’un peu partout, en sachant qu’il y a aussi beaucoup de policiers qui, dans la rue, chassent les sans abri mais qui, ici, leur donnent le baiser de paix... Dans l’Ouest, nous avons édifié une église à côté de laquelle maintenant il y a un cimetière, ce qui signifie tout un ancrage. Nous ne sommes plus dans une terre d’émigration provisoire !

Quel chemin vers l’indépendance ?

Normalement au bout de deux ans les familles sont complètement indépendantes. Mais s’il arrive un cyclone comme Gafilo en 2004, ou je ne sais quoi, évidemment nous n’allons pas les laisser tomber... Nous n’avions pas prévu au départ que ces familles puissent retrouver un enracinement dans le cadre d’une propriété foncière. Or c’est tellement important à Madagascar. Ceux qui ont réussi sont quand même ceux qui sont propriétaires. Ils avaient perdu leur place et ils ont à nouveau leurs points de repère.

Au début, pendant un ou deux ans, nous étions en situation d’inquiétude. Maintenant c’est calme, mais il nous a fallu beaucoup de toupet quand nous avons été volés pour poursuivre les voleurs de zébus jusque dans leur repaire et négocier avec eux. C’était une zone classée comme rouge, mais c’est souvent plus dangereux ailleurs, là où les gens ont carrément des armes à feu.

Nous sommes encore dans cette démarche pionnière. Tout n’est pas acquis, mais on peut déjà dire que l’opération a réussi. Nous avons atteint un point de non-retour. Le maillage de nos interventions dans la migration est tel que nous pouvons arriver maintenant à quelque chose de durable et pérenne. Ce qui est très étonnant c’est que nos zones d’immigration rurale attirent une migration spontanée. Par exemple, pendant très longtemps sur les onze kilomètres au-delà du dernier village de notre zone, il n’y avait qu’un seul migrant. Maintenant c’est plein de petits hameaux dont les habitants bénéficient de l’école, de l’église et du centre de santé que nous avons construits. Un jour ils demanderont à rentrer dans le projet. Ainsi de neuf villages de sans abri, nous nous sommes élargis à seize villages. Toute la spontanéité que nous avons eue au début, c’est moins évident de la cultiver maintenant. Malgré tout il y a toujours cette flamme qu’il faut garder.

Ce matin je viens d’entendre un appel en provenance du Sud Est, où actuellement sévit une famine terrible. Il ne faut pas se boucher les oreilles, même si ce n’est pas chez nous, même si nous sommes débordés de travail. Il faut penser aussi à ces gens-là.

Quel est votre rôle aujourd’hui ?

Au départ j’avais une démarche purement humanitaire. Puis j’ai dû me détacher de mon rôle de professeur à l’université et j’ai été secrétaire de la conférence épiscopale pendant cinq ans. Mais je devenais de plus en plus mal à l’aise dans l’exercice d’une autre activité que celle de l’ASA, dont je suis le président et où j’ai la chance d’avoir actuellement une équipe de cent cinquante personnes permanentes avec un directeur et toute une structure administrative. Depuis un an, nous bénéficions d’un important co-financement de la communauté européenne. Tout est bien organisé maintenant, mais il faut quand même être là et de plus en plus. Lorsqu’on s’engage, il faut se donner corps et âme. C’est l’expérience que le père Joseph a faite... On sait bien qu’on n’est pas indispensable, que d’autres peuvent aussi agir, mais ne faut-il pas aller jusqu’au bout de ses engagements ?

Jacques Tronchon

Originaire de France et citoyen malgache, Jacques Tronchon est président-fondateur de l’Accueil des Sans Abri (ASA), association qui soutient des familles dans un projet de réinsertion rurale. Il est frère franciscain et professeur d’histoire.

CC BY-NC-ND