« Quand André et Anne-Marie ont eu un logement, ils ne m’ont pas laissé tomber »

Anne-Laurence Pichon

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Anne-Laurence Pichon, « « Quand André et Anne-Marie ont eu un logement, ils ne m’ont pas laissé tomber » », Revue Quart Monde [Online], 197 | 2006/1, Online since , connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/161

Si les personnes affrontées à une vie difficile n’accueillaient pas, même à leurs risques et périls, celles qui connaissent un sort plus rude que le leur, les personnes sans abri ne seraient-elles pas encore plus nombreuses et malheureuses ?

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Habitat, Logement

Quand je rencontre Francis, à l’automne 2003, il vit dans la rue depuis deux ans.

Il y est arrivé après un accident de voiture dans lequel sa mère et sa sœur ont trouvé la mort. « Après, ma femme m’a quitté. J’ai laissé tomber le travail, je me foutais de tout. Puis j’ai connu André et Anne-Marie qui vivaient sur le parking. On est devenus copains mais je ne voulais rien faire pour retrouver mon RMI. Je te dis, je m’en foutais de la vie, c’était fini pour moi.

Quand André et Anne-Marie ont eu un logement, ils ne m’ont pas laissé tomber et leur propriétaire m’a eu à la bonne aussi.

Un jour, André m’a dit, comme souvent : “Francis il faut refaire tes papiers. Tout comme nous. ”

Je ne sais pas pourquoi cette fois-là j’ai dit oui et Anne-Marie et André sont venus avec moi. Après ma carte d’identité, ils m’ont accompagné aussi au Secours populaire pour que j’aie une adresse et touche mon RMI (Revenu minimum d’insertion). C’est André qui a téléphoné à la CAF (Caisse d’allocations familiales) de Dunkerque pour qu’ils envoient les papiers à Lille et voilà. Je suis vraiment mieux. Tu as vu comme je suis propre ? Et le propriétaire va me louer une chambre dans leur immeuble quand il en aura une de libre. »

En attendant, Francis est toujours dans la rue. Il refuse même un studio dans un autre quartier.

Enfin, le grand jour arrive, un studio se libère. Nous mettons en route tous les papiers. Francis va très vite faire toutes les démarches et je l’aide aussi. Tout est prêt.

Mais, pour entrer dans le logement, il doit prendre une assurance. Alors qu’il a l’argent nécessaire, il va lui falloir quatre jours avant de faire la démarche.

Quand je demande où est le problème, il me répond : « Mais il n’y a pas de problème. C’est que j’arrive toujours trop tard à l’assurance parce que je reste parler avec les copains. Je leur dis que j’ai un logement et on discute, voilà ! »

Enfin, il reprend rendez-vous avec le propriétaire pour faire l’état des lieux, recevoir les clés et finir les papiers.

Le lendemain, il me raconte sa première nuit dans son studio : « Quand j’étais couché dans mon lit hier soir, je me disais : tu es dans tes murs, c’est ta lumière et pas celle de dehors, c’est ta fenêtre et pas une vitre de voiture par où les gens te regardent et disent : “tu as vu le SDF”. »

Une solidarité risquée

Très rapidement, il héberge un copain de rencontre. Mais cela se passe mal, l’autre le bat. Il s’enfuit chez son frère et n’ose revenir dans son logement. Il a peur. Le propriétaire, Anne-Marie et moi devons de nouveau intervenir.

Il revient mais, l’hiver approchant, il recommence à héberger des personnes vivant dans la rue.

Les voisins se plaignent et le propriétaire lui demande, à plusieurs reprises, de ne pas faire entrer des sans-logis chez lui ; à quoi il répond : « Vous ne savez pas, vous ne pouvez pas comprendre ce que c’est que de coucher dehors quand il fait froid. »

Il y a notamment Brigitte. Elle est dans la rue depuis six mois et ses deux filles sont placées en familles d’accueil. Elle ne peut les rencontrer que dans un « point rencontre » une heure chaque mercredi matin ! Elle y va régulièrement.

Je prends contact avec eux, mais c’est difficile car, malgré le logement, ils fonctionnent comme s’ils étaient encore dans la rue, à droite, à gauche.

J’encourage Brigitte à aller au Secours populaire et à faire les démarches pour obtenir le RMI.

Francis aide aussi : « Tu te rappelles comment j’étais quand j’étais dans la rue, je me foutais de tout. Brigitte c’est pareil, mais maintenant elle va faire comme moi. » Elle est d’accord et écrit tout ce qu’elle doit faire.

Elle se rend effectivement à la CAF et au Secours populaire, mais les démarches sont compliquées. Madame D., de la CAF, me prévient qu’elle n’a pas pu avancer avec Brigitte qui tremblait de peur. « Pouvez-vous revenir avec elle ? J’ai le sentiment qu’elle se sentira plus en sécurité si vous êtes là. »

Une reprise de confiance

Mercredi 28 janvier, je les rencontre près de chez eux. Ils m’invitent à monter chez eux. Brigitte a meilleure mine, on voit qu’elle n’est plus dans la rue. La chambre est propre.

Je lui fais part de la demande de Madame D. et sollicite son avis. Elle est d’accord pour qu’on en discute un peu et pour que nous allions au rendez-vous toutes les deux. Mais, pour l’instant, elle doit aller au Secours populaire faire les démarches de RMI, avant la fin du mois pour éviter d’être sans ressources pendant trois mois. Elle ajoute : « Je suis convoquée chez le juge demain pour mes filles. » Nous parlons un peu de ce qu’elle a envie de dire. Pour la prochaine audience, si elle le veut, elle pourra avoir un avocat.

Le 2 février, j’ai obtenu un nouveau rendez-vous à la CAF et je vais voir Brigitte pour le lui annoncer.

Elle me parle de la peur qu’elle a de son mari. Elle ne veut pas aller toute seule chercher des papiers à la police car il habite juste en face. « Ces papiers, c’est le juge qui me les demande pour la prochaine audience. Il ne m’a pas reçue, il m’a dit qu’on se verrait plus tard. »

Je reparle de l’avocat. Elle est d’accord pour écrire, dès maintenant, une lettre indiquant au juge qui est son avocat.

Le 3 février, je téléphone au propriétaire qui me dit que tout est plus calme.

Le 5, comme convenu, je passe chercher Brigitte pour aller à la CAF. L’entretien se passe bien. Elle apprend une bonne nouvelle : elle va percevoir le RMI dès la semaine suivante. Il n’a fallu que quatre jours entre le Secours populaire et la CAF pour boucler le dossier alors que, le plus souvent, il faut trois mois.

J’ai également apprécié qu’au cours de cet entretien Madame D. s’adresse tout le temps à Brigitte.

Sur le chemin du retour, Brigitte me dit :  « Hier, j’ai eu le droit de voir mes enfants une demi-heure de plus. » Elle est contente.

Une fois rentrée, elle écrit à l’avocat pour lui demander de la représenter ou de l’assister lors de la prochaine audience.

Comme dit Francis : « Une chose à la fois, mais tout avance quand même. Tu vois, moi, comme je te l’ai déjà dit, maintenant j’ai ma case, j’ai ma femme, et après je vais retrouver mon fils, et après je vois pour le travail. Tu me comprends ? »

Anne-Laurence Pichon

Volontaire d’ATD Quart Monde, Anne-Laurence Pichon, a travaillé pendant plusieurs années dans le nord de la France aux côtés des familles les plus en difficulté. RQM publie ici le témoignage qu’elle a écrit avant de partir poursuivre son engagement dans l’Océan indien. (cf. rapport moral d’ATQ Quart Monde/France 2004).

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