Une action à partir des jeunes enfants

Josette Rannou

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Josette Rannou, « Une action à partir des jeunes enfants », Revue Quart Monde [Online], 177 | 2001/1, Online since 05 August 2001, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1645

En milieu rural, comment rompre l'isolement qui risque de compromettre l'intégration et la réussite scolaire de certains enfants ? Sans doute en soutenant les parents dans leur rôle éducatif, en entreprenant de concert avec eux des actions qui leur soient accessibles. Déjà à partir de leurs plus jeunes enfants.

A la campagne, quand une famille connaît de grandes et durables difficultés de vie, son entourage risque de prendre acte de sa marginalité et de ne plus se soucier d'un autre devenir pour elle. On n'est même plus choqué par ses conditions d'existence. On ne «verra» plus qu'elle peut avoir un logement précaire, sans isolation, sans autre chauffage qu'une cheminée, sans l'aménagement minimum d'une salle de bains. On ne réalisera pas que, malgré les alentours boueux de son habitation, elle ne dispose pas de bonnes chaussures pour se rendre à une réunion, à l'école ou chez le médecin. Des parents repérés «cas sociaux », demandeurs de secours en mairie, sont même vivement critiqués par les autres habitants qui ne les comprennent pas. Comment dans ces conditions ces parents n'éprouveraient-ils pas une envie de se cacher, voire un sentiment de culpabilité, ou ne réagiraient-ils pas parfois avec agressivité ou provocation ? Leur exclusion est vécue dans un isolement démobilisateur. Un des chemins pour inverser cette logique est d'offrir, à ceux qui sont restés ainsi en dehors du développement de la communauté, des moyens qui leur permettraient d'exister socialement, de manifester leurs capacités. Encore faut-il que la communauté témoigne de son accord actif si l'on veut réussir dans une telle entreprise. Nous l'avons tentée auprès des familles ayant de jeunes enfants.

Rien sans les parents

Dès la création du Mouvement A TD Quart Monde en 1957, au camp des sans logis de Noisy-le-Grand, fut ouvert sur les lieux un jardin d'enfants, dénommé « pré-école» – type d'action  communautaire qui fut développé par la suite en de nombreux autres sites.

Les « pré-écoles» ne prétendaient pas se substituer aux écoles maternelles. Elles avaient pour objectif de préparer une famille à l'entrée de son jeune enfant à l'école maternelle. Cette expérience novatrice s'est propagée grâce aux familles qui y avaient participé et qui l'ont fait connaître à d'autres familles.

En 1982, le père Joseph Wresinski questionnait ainsi les animateurs des pré-écoles :

– que veulent les parents pour leurs petits enfants ?

– quelle prise les parents les plus pauvres ont-ils sur l'action menée avec leurs enfants ?

– ne faudrait-il pas se mettre davan­tage « à l'école des parents» qui ont un savoir et un savoir-faire? Ceux-ci ne peuvent apprendre qu'en agissant eux-mêmes : «Celui qui sait faire quelque chose de ses mains saura utiliser son esprit ».

Des pré-écoles

Pareille interpellation conduisit à expérimenter des pré-écoles «familiales », en s'inspirant d'ailleurs de la façon de faire des travailleuses familiales. Les volontaires d'ATD Quart Monde se présentaient aux parents comme étant à leur disposition pour envisager avec eux les moyens qui prépareraient au mieux leur enfant à l'école maternelle. Pour que ces parents ne se sentent pas stigmatisés par une telle proposition, très vite un lieu de rassemblement leur a été offert : une pré-école «communautaire». Là, ils pourraient rencontrer d'autres parents vivant les mêmes conditions de vie et découvrir s qu'ils avaient tous les mêmes ambitions pour leurs enfants mais pas toujours les moyens de les réaliser.

Ceux qui n'arrivaient pas à rejoindre le groupe, tellement ils étaient enfermés, pouvaient, grâce à un album-photo, découvrir les participants et les activités de la pré-école communautaire. Puis eux-mêmes acceptaient un jour que les temps de pré-école familiale vécus à leur domicile paraissent dans cet album. Ainsi des repères se mettaient en place et les préparaient à une rencontre, à une ouverture.

Ce type d'action s'avéra répondre au mieux à la dispersion des familles en milieu rural. Assez souvent en effet, certains parents habitant à la campagne – et qui s'étaient fréquentés durant leur enfance dans des classes de perfectionnement, dans des instituts médico-éducatifs (1MB) ou des instituts médico-professionnels (IMPRO) – ne savaient plus trop comment se parler aujourd'hui, se regardant mutuellement avec les préjugés plus ou moins fondés qui ont cours à leur sujet dans leur environnement. Si de tels parents dont la réputation est souvent négative parviennent à se rassembler, c'est précisément pour retrouver des forces, de la confiance et participer avec fierté à des activités de qualité.

Par exemple, dans le Maine-et-Loire, des parents se sont réunis à l'occasion de Noël pour fabriquer des jouets qui seraient destinés à leurs enfants. D'autres parents se sont même joints à eux et ensemble ils ont organisé une exposition publique qui fut une véritable fête ouverte à tous les habitants de la commune. La communauté a ainsi bénéficié d'une action initiée avec les plus pauvres.

Des espaces Jeu-Rencontre

En Bretagne, la pré-école communautaire entreprise avec les familles les plus en difficulté s'est associée avec les «espaces Jeu-Rencontre» proposés aux assistantes maternelles pour que ceux-ci soient vraiment accessibles à tous. Les moyens nécessaires ont été trouvés ensemble, grâce à un engagement multipartenarial respectant les sensibilités et les compétences propres à chacun. Cela a été stipulé dans une charte de qualité signée par la direction de l'action sociale, la caisse d'allocations familiales, la communauté de communes, l'Aide à domicile en milieu rural (ADMR) et ATD Quart Monde.

Ces « espaces Jeu-Rencontre» permettent de soutenir les parents dans leur responsabilité parentale, car les familles ont de moins en moins à côté d'elles des personnes référentes pouvant les conseiller. Par exemple, les services de la protection maternelle et infantile (PMI), qui devraient assurer ce rôle, ont en fait des moyens insuffisants. Ces espaces offrent donc aux enfants une occasion de première socialisation et de vie collective aux adultes qui y acquièrent une nouvelle confiance et échangent leurs savoir-faire et leurs questions. Les familles affrontant une vie difficile tendent à se replier sur elles-mêmes. En venant dans de tels lieux, des parents y expérimentent le fait de se séparer quelque peu de leur enfant et dédramatisent leurs peurs. Par exemple, des mamans voient leur bébé se trouver bien dans les bras d'autres adultes et des parents voient leur enfant plus grand solliciter une autre grande personne qu'eux. Ainsi, plus tard à l'école, ces derniers sauront mieux se repérer comme parents d'élèves.

Certaines familles ne disposent pas de moyens de transport. Les animateurs doivent les assurer eux-mêmes ou solliciter des voisins pour un co-voiturage. Cela permet à l'entourage de prendre conscience qu'il y a encore des personnes très isolées, sans moyen de locomotion, sans beaucoup de relations, avec des ressources financières très précaires.

Chercher à répondre aux familles qui souffrent le plus de l'isolement et de la solitude, c'est chercher à apporter des réponses de qualité, par un service à faire toujours évoluer, grâce à la responsabilité que chacun peut y prendre. Tous les parents qui participent à ces «espaces Jeu-Rencontre» désirent œuvrer, comme les assistantes maternelles, pour le bien-être des enfants. Tous s'accordent à dire qu'ils veulent leur donner les chances d'une bonne intégration à l'école maternelle.

Josette Rannou

Institutrice de formation et volontaire du Mouvement ATD Quart Monde, Josette a toujours exercé son activité auprès d'enfants d'âge préscolaire.

CC BY-NC-ND