« L’espace est un frein à la participation »

Michel Lahogue

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Michel Lahogue, « « L’espace est un frein à la participation » », Revue Quart Monde [En ligne], 177 | 2001/1, mis en ligne le 01 septembre 2001, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1649

Quand l’éloignement ne se mesure pas seulement en kilomètres mais emprisonne la tête, il oblige à rester cloué sur place, à garder ses distances comme on dit. Cet enfermement n’est pas facile à casser...

En milieu rural, l’espace est un frein à la participation. Quatre kilomètres entre deux lieux à la campagne, en vélo ou en mobylette, cela ne demande pas un temps énorme ; en ville, on le fait couramment, on met facilement un quart d'heure pour aller d'un quartier à un autre. Mais ici pour se déplacer d'Antrain à Tremblay, c’est toute une affaire ! On a beaucoup plus la notion de l'espace, l'impression que c'est loin, et on n'a pas la notion de temps. Avoir une activité dans la commune voisine de la sienne paraît vraiment difficile. Les citadins trouvent naturel de mettre une demi-heure ou trois quart d'heure pour emmener leurs enfants à un atelier de poterie ou à un cours de judo : ils vont d’un quartier à l’autre mais le lieu reste le même.

Bien sûr, à la campagne, les moyens de locomotion peuvent manquer. Mais ce n’est pas l’essentiel. Les frais de participation demandés souvent fixés au minimum ne me semblent pas une entrave. Dans la tête, l’espace reste comme un frein.

Lorsque la population n’est pas très importante, les propositions d’activités ne peuvent être aussi variées qu’en ville. Et forcément, elles se dérouleront là où il y a un peu plus d’habitants. Mais on s’interroge aussitôt : les gens d’ici et là vont-ils venir ? On s’adresse toujours plus ou moins aux mêmes enfants, qu’il s’agisse de sport ou de culture. Peut-on déplacer et rémunérer un professeur de musique pour deux enfants ? Le centre de loisirs intercommunal offre un choix d’activités plus ou moins large selon le nombre d’enfants inscrits, par exemple, pour les vacances de février : il faut l'aide d’un éducateur et des moniteurs selon le nombre d'enfants.

Il faut avoir un minimum d'enfants, de jeunes ou d’adultes, pour qu’une activité fonctionne.

Certaines familles sont spontanément ouvertes aux propositions de loisirs et d’activités, d'autres, moins. Avant qu’elles ou leurs enfants participent à des projets avec les autres, comme ce fut le cas ici avec l’atelier d’écriture1 et que cela l’est encore avec la bibliothèque, tout un travail a été accompli par les volontaires d’ATD Quart Monde. Ils allaient colporter des livres dans les familles en difficulté, les familles les plus isolées et ils cherchaient à intéresser les enfants, et même les parents, à la lecture. Cette action menée pendant des années me paraît très intéressante. Ces familles ont peu à peu amené leurs enfants aux activités présentées et il y a eu un changement dans la relation entre les gens.

La participation de toutes les familles est difficile car le temps de l'enfant n'est pas du tout pris en compte ; on est toujours sur les schémas anciens, le temps scolaire. On commence à se pencher sur le hors temps scolaire, mais c'est complètement nouveau en zone rurale. Il paraîtrait encore incongru d’instituer chaque mercredi un système de ramassage en zone rurale pour provoquer la participation des enfants.

L'enseignement est gratuit, laïc et obligatoire alors que le hors temps scolaire, essentiel au développement de l’enfant, est gangrené par l'argent. Il faudra peut-être encore un siècle pour comprendre que ce hors temps scolaire devrait être gratuit. En ville, beaucoup de mères de famille passent leur temps le mercredi à convoyer leurs enfants à gauche et à droite. Et à payer. Et qui paie ? Ceux qui le peuvent. Ce système-là est profondément injuste.

Serge Bouvier, professeur d’art plastique.

J’ai découvert que certaines familles craignaient de participer à l’atelier d’écriture. Je me suis rendu compte que le problème de transport n'était pas le seul problème. Ce monde leur est étranger et leur fait peur, ils ne se sentent pas le droit d'y entrer. J'ai bien vu ça.

Quand les enfants sont scolarisés assez longtemps, les parents sont complexés car ils ne peuvent plus les aider à partir d'un certain niveau d'étude. Cela crée des tiraillements parce que les parents continueront à penser que ce savoir livresque n'est pas pour eux. Surtout pour des ruraux dont la civilisation est surtout orale.

Nicole Laurent-Catrice, écrivain et animatrice de l’atelier de poésie (Cf. p.41).

1 Cf. Lorsque je te tiens la main, par les enfants du canton d’Antrain. Ed. Dana/Ed. Quart Monde, 1999, 48 pages. Existe aussi en cassette audio.

1 Cf. Lorsque je te tiens la main, par les enfants du canton d’Antrain. Ed. Dana/Ed. Quart Monde, 1999, 48 pages. Existe aussi en cassette audio.

Michel Lahogue

Michel Lahogue est maire d’Antrain, président de la communauté de communes du canton d'Antrain et conseiller général d'Ille et Vilaine (France)

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