« Tout ce que je demandais, c’était un peu de soutien »

Linda

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Linda, « « Tout ce que je demandais, c’était un peu de soutien » », Revue Quart Monde [Online], 178 | 2001/2, Online since 01 December 2001, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1715

Quand une famille connaît des situations difficiles, pourquoi les services sociaux se préoccupent-ils plus des risques encourus par les enfants que du soutien à apporter à l’ensemble de la famille ? Témoignage d'une maman. Extrait d'un témoignage paru dans Fourth World, journal du Mouvement ATD Quart Monde en Grande-Bretagne, novembre 1999-février 2000.

J’ai vécu beaucoup de moments difficiles. Mon père venait de mourir, j’étais enceinte et j’avais une tension très élevée. Mes papiers de sécurité sociale étaient embrouillés. Nous venions de déménager et David en était traumatisé. Comment s’en sortir dans une telle situation ? J’ai demandé de l’aide. Mais au lieu de m’aider on m’a fait des reproches.

Un événement a tout déclenché. Je n’avais pas d’argent et David me demandait quelque chose au supermarché que je ne pouvais lui acheter : c’était beaucoup trop cher. Je lui ai dit que j’allais le gifler à son retour à la maison. Il avait peur d’être giflé et alors il est resté au milieu de la route en disant qu’il allait se tuer. Une assistante sociale est venue me voir et je lui ai tout raconté. J’étais au bout de mes forces. Je lui ai dit que je pensais être une mère indigne. Elle aurait pu se tourner vers moi et m’encourager : « Vous êtes normale. Regardez les difficultés que vous avez vécues et comment, à bout de forces, vous vous êtes débrouillée. Vous avez soigné votre père et vous avez eu tous ces problèmes de grossesse. Ils vous ont coupé l'argent et vous ont harcelée. Vous vous êtes très bien débrouillée ! » J’aurais souhaité qu’elle m’annonce son aide. Mais elle m’a ressorti les mêmes reproches. Parce que j’avais été à l’Assistance publique, parce que j’avais eu une mère abusive, cela voulait dire que j’étais moi aussi une mère abusive vis-à-vis de mes enfants.

Et puis on m'a prévenue qu’il y aurait une réunion de concertation où mon cas serait discuté. On voulait voir si David devait être placé sur la « liste des enfants à risque ». Je me sentais accablée. J’avais l’impression qu’il s’agissait d’une investigation criminelle. Les services sociaux préparaient un rapport en reprenant des choses vieilles de vingt ans. Il m'a semblé que chaque petit incident négatif de ma vie avait été inclus dans ce rapport.

Quand vous avez été vous-même à l’Assistance publique, avoir à traiter avec les services sociaux devient une grande épreuve. La puissance qu’ils exercent à l'encontre des familles porte littéralement atteinte à leur vie. Ils voulaient prendre mes enfants et pour moi c’était la mort. Vous avez peur, vous désespérez et vous pouvez facilement périr dans une pareille situation.

J’étais déjà en mauvais état et la perspective de cette réunion rendait mon état encore pire. Vous ne pouvez pas lutter si vous avez tellement de poids sur le dos. Les forces qui vous restent c'est pour donner à manger aux enfants, pour les vêtir et les accompagner à l’école. Tout cela pour qu’ils ne soient pas mis à l’Assistance publique. Et puis il faut prendre soin du bébé, ce qui est un engagement de 24 heures par jour. Je ne pouvais pas faire l’aller et le retour chez les avocats. Je ne pouvais même pas m’occuper de tous les papiers. Vous ne pouvez pas faire cela, c’est impossible. Vous arrivez à un point où vous vous sentez coupée en petits morceaux jusqu’à ce que plus rien ne reste de vous. J’étais complètement détruite.

A la réunion, il y avait environ douze personnes assises autour d'une table et chacune donnait son avis sur moi et David. Elles disaient qu’il était nécessaire de mettre David sur la liste des cas à risque à cause du climat émotionnel actuel. Et quelqu’un prétendait même qu’une fois David mis sur cette liste, je recevrai davantage d’aide. Je ne pensais pas que ce soit là une bonne solution. Je connaissais à peine les gens présents. La puéricultrice qui était venue me voir n’avait jamais rencontré mon fils. J’avais eu confiance en elle et elle avait été compréhensive. Mais à la réunion, elle a fait valoir les risques de maltraitance encourus par mon fils. Mon fils qu’elle n’avait jamais rencontré ! Heureusement que j’avais quelqu’un d’ATD Quart Monde à mes côtés, qui avait écrit une lettre de référence en disant que je ferais tout pour mes enfants. Ce soutien a été formidable. Cette personne a montré un autre aspect de ma personnalité : je n’étais pas toujours dans le besoin, j’étais normale et capable de faire de mon mieux, je n’étais pas tellement démunie, désordonnée et dépressive, comme ils essayaient de le faire voir. C’était cela qu’ils avaient mis dans leur dossier et qui aurait pu faire croire que j’étais une malade psychique.

Je fus soulagée quand, à la fin, ils ont décidé de ne pas mettre David sur la liste. Je sentais que j’avais gagné d’une certaine façon, mais j’étais complètement détruite. Tout ce que j'avais voulu, c’était un peu de soutien, mais ce que j'avais reçu comme réponse c’était une investigation faite de suspicion de la part des services de la protection de l’enfance.

Linda

En Grande-Bretagne, Linda, mère de quatre enfants, est en relation avec ATD Quart Monde depuis quatre ans.

CC BY-NC-ND