Un hôtel social à Clamart

Annick Cabannes

p. 41-43

References

Bibliographical reference

Annick Cabannes, « Un hôtel social à Clamart », Revue Quart Monde, 179 | 2001/3, 41-43.

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Annick Cabannes, « Un hôtel social à Clamart », Revue Quart Monde [Online], 179 | 2001/3, Online since 05 March 2002, connection on 23 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1788

L’association La Parenthèse a été créée en 1992,  avec le soutien financier du conseil général des Hauts-de-Seine, pour répondre à la demande croissante de places d’hébergement pour des familles très démunies du département.

L’originalité de l’endroit tient au désir profond de deux femmes de proposer à des familles très démunies un toit et un couvert pour « apprendre à vivre en famille ». Leur engagement est né de la rencontre d’enfants en pouponnière et de la conviction qu’autour de l’enfant une vie familiale peut naître et se développer.

Quarante-trois familles, réparties sur plusieurs communes, bénéficient d’un hébergement sous des formes diverses : chambres en collectif (hôtel social) et studios, logements passerelles ou appartements intermédiaires (du F1 au F6), et cela pour un séjour  moyen de dix-huit mois.

Autour d’elles, une équipe permanente de vingt-six personnes (travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés pour la halte-garderie, le soutien scolaire…) travaille dans une grande cohérence d’action, et prend en compte la globalité de la vie familiale. Pour l’équipe, l’accompagnement lié à l’insertion par le logement est un préalable à un accompagnement socio-éducatif ancré dans un milieu scolaire, culturel, professionnel, garant d’une stabilisation dans un logement définitif.

Quart Monde : Votre travail en pouponnière a inspiré votre idée d’un hôtel social…

Annick Cabannes : C’était une pouponnière particulière, celle où a travaillé Françoise Dolto. En 1986, devant les situations de crise et d’angoisse du vendredi soir, qui entraînent des placements d’urgence et parce qu’il y avait une opportunité de locaux au-dessus de la pouponnière, nous avons installé avec la direction de la vie sociale un « Accueil Parent Isolé ». Mais autour de ces mères, il y avait des pères, des compagnons. Nous avons décidé de les accueillir aussi, prenant le pari qu’une vie familiale était possible. Nous avons été assez vite débordés (trois cents demandes pour huit chambres) ! Nous avons alors élaboré avec le conseil général un projet de protection de l’enfant par l’accueil, le soutien et l'insertion de la famille. Nous avons demandé (et ce nous fut accordé) d’avoir le temps de cet accueil pour un accompagnement permettant aux familles de retrouver progressivement leur autonomie. Nous ne sommes pas hors du temps, nous faisons des bilans avec des rythmes en fonction de la famille. Pour nous le temps n’est pas un « couperet », nous en faisons un allié indispensable.

Q.M. : Comment faites-vous pour que la famille se reconstruise ?

A.C. : Nous prenons la famille telle qu’elle se perçoit comme famille, donc comme elle se présente à l’admission : la mère, les enfants, le père ou un compagnon, parfois une grand-mère.

Les deux notions fondamentales autour desquelles notre équipe travaille sont l’écoute et la durée. Le temps est important. Si l’enfant, lui, réagit vite, ses parents décompressent lentement et chaque travailleur social en tient compte. Il respecte l’idée première qu’à La Parenthèse, on n’impose pas un projet de séjour mais que l’on aide plutôt la famille à en définir un, le sien. Les résidants, bien souvent étonnés par cette proposition, prennent peu à peu conscience qu’ils sont de véritables citoyens, qu’ils ont leur mot à dire et surtout qu’ils ont des potentialités qu’il leur faut découvrir, exploiter.

Pour cela, il faut valoriser leurs attitudes, même celles qui paraissent négatives. Un exemple : s’ils dépriment en arrivant ici, nous leur disons qu’ils sont très sensés de le faire car, ici, ils sont entourés et peuvent s’autoriser à baisser leur garde. Nous ne cherchons pas à leur mettre le nez dans la réalité si dure dans laquelle ils sont englués depuis des années.

Nous leur offrons la sécurité des besoins primaires (logement, nourriture, santé) de sorte  qu’ils puissent avoir l’esprit libéré pour penser. Quand les familles vont si mal, il faut qu'autour d'elles tout aille bien pour qu'elles puissent avancer. Les besoins secondaires (d’où je viens ? qui je suis ? où je vais ?) sont aussi nécessaires que le pain et le toit. Ceux-là nécessitent de mettre des mots, de parler, de développer et partager sa pensée. C’est tout un travail.

Q.M. : Vous avez créé une diversité d’accueil.

A.C. : Certains adultes, placés depuis leur enfance, n’ont connu que les institutions. Dans la mesure du possible, nous ne les remettons pas encore dans une collectivité, nous leur proposons un hôtel meublé à cent mètres d’ici, ils ont donc une plus grande autonomie.

Ils ont besoin d’abord, non d’un grand espace mais d’une stabilité, d’une sécurité, d’une protection. Certaines familles, à leur arrivée, sont un bloc humain. Il faut viser le décollage pour que chacun existe, mais surtout pas l’arrachement. La séparation se fait petit à petit, dans la sécurité. Par exemple, l’enfant finira par aller dormir dans sa chambre ou ne pleurera plus lorsque sa maman s’éloigne.

Q.M. : Selon vous, il faut soulager l’enfant des problèmes de ses parents non pas en le plaçant ailleurs mais en lui permettant de vivre au sein de sa famille ?

A.C. : Quand ils arrivent chez nous, les enfants montrent souvent des signes de fatigue physique et psychique. Ils ont vécu des ruptures, des séparations à répétition, des déplacements. Ils ont besoin de sentir que leurs parents sont protégés. Ils sont présents le jour de l'admission et adhèrent ainsi au projet. L’enfant doit retrouver sa place d’enfant et non devoir réparer ses parents. Mais, perdant sur eux un certain pouvoir, il peut alors éprouver une sorte de vide et passer par des phases dépressives, il faut en tenir compte.

A la halte-garderie intégrée, l'enfant fait l'expérience qu'il peut être séparé de ses parents sans qu'il y ait rupture. Pour les plus grands, la prise en charge concerne les devoirs scolaires. Les éducateurs les aident en tenant compte des périodes éventuelles de déscolarisation, des déstabilisations inhérentes à l’histoire familiale. Mais, à plus long terme, ils travaillent sur la relation des parents avec l’école. Ceux-ci ont souvent eu une scolarité difficile et n’osent plus affronter le regard de l’enseignant sur leurs enfants.

Si malgré tout c’est trop difficile et si la violence submerge, nous sommes obligés de demander le placement des enfants. Cette séparation se fait autant que possible avec l’accord de la famille et jamais dans l’urgence. Nous lisons à la famille le rapport que nous avons écrit : les parents restent les parents, le lien psychique est maintenu et nous continuons à rechercher un logement suffisamment grand pour qu’ils puissent accueillir leurs enfants, nous les soutenons et les considérons toujours comme une famille.

Q.M. : Il transparaît une cohésion de votre équipe…

A.C. : Tous ceux qui travaillent ici constituent notre équipe : le gardien, la femme de ménage, la comptable, les travailleurs sociaux. Nous sommes soutenus par des formations, par des intervenants. Nous adhérons tous à une éthique : le respect que l’on doit à chaque personne. Cela exige d’être de bons professionnels et d’être des personnes humaines face à des personnes humaines, avec nos certitudes et aussi nos fragilités. Nos dérapages, nos échecs nous font avancer si nous avons l’humilité de les reconnaître. C’est lorsque nous ne comprenons rien que nous nous obligeons à nous laisser investir parce que nous avons besoin des familles pour avancer. Nous bâtissons avec elles. Je suis toujours étonnée de la pertinence de l’intuition des personnes accueillies. Il faut accepter que les choses nous échappent.

Il faut aussi accepter les allers et retours. Quand il y a un coup dur, elles reviennent. Comme cette famille qui, ayant perdu un enfant, est venue faire son deuil ici. Elle savait que vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la maison lui était ouverte. Elle s’est entretenue avec le gardien de nuit et avec quelqu’un dans la journée, puis elle est repartie. L’important est que les gens ne se sentent pas en dette vis à vis de La Parenthèse, mais libres de garder des liens.

Annick Cabannes

Mère de trois enfants, Annick Cabannes a travaillé durant six ans comme assistante sociale dans une cité de transit de Nanterre, en banlieue parisienne, jusqu’à sa totale résorption. De 1986 à 1992, elle a été responsable d’un accueil de parents isolés. Puis elle a créé avec Martine Ovtcharenko, éducatrice spécialisée, l’association La Parenthèse qu’elles codirigent encore aujourd’hui.

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