Une action communautaire à Montréal

Louise Vanier

p. 44-46

References

Bibliographical reference

Louise Vanier, « Une action communautaire à Montréal », Revue Quart Monde, 179 | 2001/3, 44-46.

Electronic reference

Louise Vanier, « Une action communautaire à Montréal », Revue Quart Monde [Online], 179 | 2001/3, Online since 05 March 2002, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1790

Au Québec, des organismes communautaires jouent un rôle majeur dans la lutte contre la pauvreté. Prendre en compte la famille dans sa globalité, dans l'action au quotidien comme au niveau politique, apparaît comme une nécessité.

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Canada

Depuis treize ans, Interaction Famille offre aux familles du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal un lieu d'apprentissage mutuel. Nous accueillons les jeunes enfants pour quelques heures en favorisant leur développement, nous animons chaque semaine des cafés-rencontre, nous proposons des activités parents-enfants autour du livre et de l’imaginaire (contes et comptines), nous accueillons un programme de formation préparatoire à l’emploi.

Notre équipe comporte sept personnes dont certaines sont à temps partiel. Cinq ont d’abord été bénévoles avant de devenir salariées ou de travailler dans le cadre de programmes d’emplois subventionnés. Nous avons une psychothérapeute, une intervenante familiale, une orthophoniste, et surtout un intervenant communautaire qui travaille avec les pères. Il est indispensable de les rejoindre aussi, l’enfant ayant besoin de ses deux parents. Depuis un an, cet intervenant bâtit des relations avec les pères, de façon individuelle et collective : aller à un match de base-ball, prendre un repas ensemble, faire des travaux dans nos locaux. Cela leur permet de tisser des liens entre eux et avec l’organisme. Cette confiance acquise permet alors d’aller plus loin.

Notre but est de soutenir la famille dans sa globalité. L'enfant et le parent sont ensemble pour s'apprendre l'un l'autre. Notre philosophie, c'est de partir du parent, de ses habiletés, de ses talents, de le reconnaître comme premier éducateur de son enfant.

Nous encourageons les parents du quartier pour qu'ils se soutiennent mutuellement, pour qu’ils en invitent d'autres à oser pousser notre porte : « Ici il n'y a pas de délation, vous pouvez faire confiance à ces gens-là. » Il faut encore tout un cheminement pour participer régulièrement à une activité. Des parents peuvent dire à une personne nouvellement arrivée : « Viens, ça te fera du bien, nous serons là nous aussi, nous ne te laisserons pas toute seule. » On peut dire que l'action communautaire est menée tout autant par les familles elles-mêmes que par l'équipe d'intervenants.

Nos locaux nous aident à mettre en confiance les familles : nous occupons trois niveaux d'un immeuble d'habitation très semblable à beaucoup d'autres dans le quartier. Les parents y retrouvent cuisine, salon… d'un étage à l'autre, comme dans leur propre logement.

Des ouvertures culturelles

Nous cherchons la participation des familles aussi bien dans le choix des orientations que dans la réalisation des activités. Ainsi les familles choisissent les thèmes des cafés-rencontre du jeudi (parmi les derniers thèmes abordés : la sexualité, l’humour, l’enfant blessé). Elles participent à la vie démocratique de l'organisme et sont majoritaires au conseil d'administration.

Un camp familial permet à une centaine de parents et d'enfants du quartier de vivre un séjour à thème d’une semaine, préparé pendant plusieurs mois. La majorité des animateurs du camp viennent du quartier. Tout le camp est bâti autour du jeu et de l’imaginaire, cela permet aux parents et aux enfants de découvrir des activités, de revenir avec des souvenirs communs. C'est un temps de liberté et de découverte entre parents et enfants. Des parents qui n'ont pas eu de modèles quand ils étaient jeunes, à qui on dit très souvent qu'ils ne sont pas de bons parents, vont découvrir qu'ils peuvent se livrer avec leurs enfants à des activités inconnues ou inaccessibles (canot, escalade, découverte de la nature), s'amuser et redécouvrir leur cœur d'enfant.

Il est encourageant de voir les familles s'impliquer dans les activités d'autofinancement pour le camp (vente d’objets divers, lave-auto) et même d'entendre certains parents dire : « Cette année, je ne vais pas au camp, mais je vais participer aux activités de financement pour que les autres aient moins à payer, et puissent y aller. »

Les parents ont des talents que nous cherchons à découvrir et à développer. Par exemple, certains ont réalisé une fresque couvrant plusieurs murs d'une de nos salles, encouragés par deux mamans qui savent peindre. Faire du beau donne une autre image des familles quand elles vont, par exemple, solliciter un commerçant pour une activité. C'est dans le beau qu'on veut qu'elles soient reconnues.

Une détermination politique

Cette option est présente depuis la création de l'organisme, lorsque quelques personnes du quartier, soutenues par une religieuse, ont commencé à proposer rencontres et activités dans un sous-sol d'église, pour permettre aux familles d'avoir un lieu d'appartenance, un lieu d'accueil, de formation, à l'image de milliers d'autres initiatives analogues à travers le Québec des années 1970 et 1980. Et depuis la création de l’organisme, les familles ont été pleinement partie prenante de son développement.

Nous appartenons au réseau des maisons de la famille et nous défendons cette option de soutien à l’expérience parentale aussi bien dans notre action que dans les rencontres auxquelles nous participons : concertation de quartier, regroupement régional et provincial. Nous y affirmons la nécessité de reconnaître les familles comme acteurs de changement dans leur communauté et de les soutenir pour cela par l’éducation populaire, de reconnaître leur savoir-être et leur savoir-faire.

Nos collègues d'autres organismes doivent négocier, comme nous, des financements dans le cadre de programmes de plus en plus ciblés, sectorisés, morcelés : enfance, jeunesse, femmes, programmes pour le développement de l'emploi, etc. Tel programme fédéral soutenant le développement de l'enfant de moins de cinq ans cible maintenant le petit enfant de moins de trois ans. Nous ne pouvons pas laisser tomber des familles sous prétexte que leur enfant a atteint tel âge !

Tout comme nous ne pouvons pas accepter de réorienter sans arrêt notre action en fonction des priorités changeantes du gouvernement fédéral ou provincial et des bailleurs de fonds privés. Et il nous faut vigoureusement contester certains critères d'efficacité pour la reddition des comptes. Des programmes gouvernementaux demandent en effet une évaluation tous les trois mois du développement de l’enfant (langage, mobilité…) et des comportements des parents ! Ceci pousse les organismes à privilégier les enfants en progression rapide et à laisser de côté les familles les plus brimées.

S'appuyer sur la réalité de terrain, la faire entendre à ceux dont nous dépendons financièrement pour une large part, c'est possible. Mais il nous faut absolument nous tenir les coudes entre organismes, faire en sorte que dans les concertations, la voix du terrain et donc des familles pauvres, ait pleinement sa place, et ne soit pas étouffée par celle des partenaires qui ont aussi leur mot à dire (syndicats, municipalités, représentants de ministères ou d'institutions, etc.). C'est un grand défi pour l'ensemble du mouvement communautaire au Québec. Né dans les années 1960-1980 de comités de citoyens, d'organisations bénévoles créées par des gens de la base, souvent avec le soutien de l'Église, il se retrouve aujourd'hui de plus en plus professionnalisé, recrutant des personnes avec une bonne formation universitaire, mais moins enracinées dans la réalité de vie des familles.

Notre défi majeur aujourd’hui

Nous avons à renouveler ensemble nos manières d'agir : Hochelaga-Maisonneuve est un des quartiers où il y a eu beaucoup d'interventions communautaires, de projets de recherche, depuis plus de trente ans. Et pourtant un grand nombre de familles sont encore aujourd'hui, une génération plus tard, dans d'immenses difficultés et angoisses : chômage, logements insalubres, découragement des parents et des jeunes, suicides, et surtout absence de perspectives d’avenir. Il faut absolument comprendre ensemble les raisons de cette situation, renouveler les approches. Cela nécessite la collaboration de tous, et en tout premier lieu, celle des familles vivant la pauvreté, avec l'appui de chercheurs et d’intervenants, mettant en commun leurs efforts pour bâtir une meilleure qualité de vie, un devenir « humain » pour tous.

Louise Vanier

Louise Vanier a une formation en psychosociologie de la communication et en théologie. Elle travaille depuis plus de vingt ans dans des organismes communautaires au Québec, et dirige l'un d'entre eux à Montréal, depuis 1998. Elle est mère de trois enfants. (Propos recueillis par Xavier Verzat)

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