La mémoire de l’eau

Philippe Pelen

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Philippe Pelen, « La mémoire de l’eau », Revue Quart Monde [En ligne], 180 | 2001/4, mis en ligne le 01 juin 2002, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1843

La compagnie de théâtre Talipot, installée à La Réunion, a créé en 1997 un spectacle « Les porteurs d’eau ». Depuis, elle l’a joué près de deux cents fois en divers pays d’Afrique, en Grande-Bretagne, en Italie, en Pologne, en France (Cergy-Pontoise, Montpellier, Avignon, Lyon, Paris...), à Taïwan... Partout, les spectateurs ont compris le message. Philippe Pelen, le metteur en scène, explique pourquoi. Extrait d’une interview à l’occasion de représentations données à Rilleux - La Pape (Rhône) en janvier 1999.

La compagnie de Théâtre Talipot est une compagnie professionnelle installée sur l'île de la Réunion depuis douze ans, qui a pour éthique à la fois le métissage et les traditions orales, c'est à dire la quête du lien. A la Réunion, tout le monde vient d'ailleurs, d'origine européenne, africaine, chinoise, malgache ou indienne, seulement on perd un peu la mémoire de son histoire. Le premier homme est venu sur l'île il y a trois cent cinquante ans suivi par deux cents ans d'esclavage. Alors ce qui nous anime à travers notre art, notre théâtre, c'est de retrouver le « lien », mais un lien au-delà même de notre conscience puisque la conscience et la mémoire historique sont très limitées. Tout notre travail est basé sur le corps et la mémoire du corps, avec l'énergie qui habite ce corps : cet exil, cette errance que le corps porte en lui.

Travailler sur l'idée de l'eau, c'est aussi travailler sur la mémoire de l'eau et sur la quête du lien avec toujours ce proverbe africain qui nous anime : « On est ce que l'on tisse. » Notre spectacle est porteur d'eau. Ce n'est pas vraiment une histoire, mais plutôt une série de rêves venus de l'inconscient, avec un thème qui sous-tend bien sûr tous ces rêves, qui est l'idée du lien, de la rivière qui relie les mondes entre eux, les peuples entre eux, toutes les formes du paysage entre elles, depuis la source, en passant par la montagne, la vallée, la plaine jusqu'à l'océan infini. Lorsque cette rivière s'assèche, que la source se tarit, et bien il faut retrouver cette onde magique qui relie les êtres entre eux. L'idée du spectacle c'est la quête de cette onde, et en même temps c'est l'idée de la soif, la soif d'être et la soif à étancher parce que, déjà, sur un plan premier, « l'eau c'est la vie ». La soif d'être c'est aussi trouver son espace. Par exemple, la guerre peut être occasionnée par l'eau, en Afrique ou ailleurs, par les détournements de l'eau, mais c'est aussi la soif d'identité, la soif d'être reconnu, la soif d'aimer...

C’est lui qui fait descendre du ciel

L’eau qui vous sert de boisson

Et qui fait croître les plantes

Dont vous nourrissez vos troupeaux.

Grâce à elle, il fait encore pousser pour vous

Les céréales, les oliviers, les palmiers,

Les vignes et toutes sortes de fruits.

Il y a vraiment là un signe

Pour un peuple qui réfléchit !

(Coran, 16.10-11)

CC BY-NC-ND