Sage ou exclu ?

Titinga Frédéric Pacere

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Titinga Frédéric Pacere, « Sage ou exclu ? », Revue Quart Monde [En ligne], 196 | 2005/4, mis en ligne le , consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/186

Malgré les dispositions prises par les pouvoirs publics de divers pays, la situation de nombreuses personnes âgées demeure préoccupante. Le temps d’une “ prise en considération réciproque de toutes les générations d’une communauté humaine ” n’est-il pas venu ? L’auteur concluait ainsi sa communication inaugurale lors de la première conférence internationale de l’Association francophone des aînés. (Québec, 9 juin 2004). Il nous a autorisés à publier des extraits de son intervention.

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Vieillissement

Index géographique

Afrique

[...] Suivant le niveau de développement des pays, le vieillissement constitue une préoccupation majeure et l’on est en droit de le poser parmi les grandes questions socio-politiques et économiques. Ainsi, dans les pays émergeants et sous-développés, ce constat fait par le point 4 du plan d’action international de Madrid d’avril 2002 reste révélateur : “ Le vieillissement de la population va devenir un problème majeur dans les pays en développement, où l’on prévoit une croissance rapide du phénomène au cours de la première moitié du XXIème siècle. Dans ces pays, le pourcentage de personnes âgées devrait passer de 8% à 19% d’ici à 2050, tandis que celui des jeunes reviendra de 33% à 22%. Les pays en développement doivent non seulement faire face au vieillissement de leur population, mais également poursuivre leur développement ” [...]

Vieillesse ou vieillissement ?

[...] La vieillesse peut se comprendre, surtout dans les sociétés contemporaines, comme un caractère commun aux seules personnes dont l’âge se situe dans la sphère du sommet de l’existence humaine. Dans ce cas, elle renvoie à l’état de vieillir. Le vieillissement est dès lors un phénomène des personnes dites d’une autre époque. Cette vision amène à présenter les personnes âgées sous la dimension de “ corps affaiblis ” d’une part et aussi, sous celle des personnes sans relations actuelles et, par conséquent, souvent sans soutien. Le manque de soutien dont il est question ne porte pas forcément sur des aspects matériels ou financiers ; il symbolise la fragilité des relations de la personne concernée qui, désormais, manque de vécu réel de partage et de communication avec les autres personnes de son milieu social ou professionnel d’avant. Il se situe au niveau psychologique lorsque la personne ne comprend pas ou ne se fait pas comprendre de son entourage qui a des idées ou des visions plus jeunes. Il s’agit alors d’une fragilité relationnelle, philosophique et sociale, où la personne concernée ne trouve pas son compte dans les sujets de discussion, dans les faits de société et dans le jugement d’ensemble des agissements ou des comportements. Cette situation finit par faire des personnes âgées, des hommes et des femmes marginalisés ou abandonnés à eux-mêmes, aussi bien matériellement que du point de vue de la pensée et de l’accompagnement [...]

Troisième âge, aînesse ou exclusion.

[...] En Occident, les personnes âgées sont appelées et traitées en “ retraités ”. Ce mot remplit tous ses sens : le retraité, “ c’est celui qui a fini son service ou celui dont on ne se sert plus ”.

Dans les cultures africaines, ces personnes du troisième âge sont communément appelées des “ vieillards ”, des “ sages ” ou des “ vieux ”. Ces expressions insistent sur le fait qu’il s’agit de personnes qui ont duré sur terre, des gens de grand âge ou des gens de plusieurs générations. Dans cette perception, la personne du troisième âge est un patrimoine ou une ressource. Elle est mémoire et garant des valeurs parce qu’elle est au sommet de l’existence. Pour cela, elle devient un intermédiaire entre les vivants et les ancêtres, suivant les rôles qui sont confiés.

Dans les deux types de société, le troisième âge reste une classe sociale exclue ou isolée qui n’intervient plus qu’à un niveau spécifique de la dynamique sociale, politique ou religieuse [...]

Problèmes sociaux : urbains et ruraux.

[...] Comme le souligne le point 5 du plan d’action de Madrid, les problèmes sociaux que connaissent les personnes âgées tiennent beaucoup de leurs cadres de vie : “ Alors que, dans les pays développés, la très grande majorité des personnes âgées vit aujourd’hui en zone urbaine, dans les pays en développement, la majorité des personnes âgées vit en zone rurale ” [...]

Santé et alimentation. [...] Les problèmes de la santé se situent d’une part, au niveau de la prépondérance des maladies, d’autre part, au niveau du défaut ou de l’insuffisance des soins. La question devient plus complexe en raison du fait que surviennent de nouvelles maladies variant d’une société à une autre et pour lesquelles les soins semblent inefficaces. C’est notamment le cas du VIH-SIDA dont les victimes se comptent de plus en plus chez les personnes âgées [...]

[...] La sous-alimentation est liée à la pauvreté car il s’agit du défaut de pouvoir se nourrir ou de s’offrir les repas suivant ses besoins. Dans les sociétés occidentales, le problème semble inexistant en raison des regroupements des personnes âgées dans des centres ou des maisons de retraite et en raison de l’allocation des pensions de retraite ou de vieillesse. C’est donc principalement dans les pays sous-développés que se pose le problème de la sous-alimentation de ces personnes. La sous-alimentation pose des problèmes de santé ou de fragilité du fait du manque de calories suffisantes pour entretenir l’organisme.

Quant à l’alimentation malsaine, elle revient à la situation dans laquelle la personne âgée est nourrie d’aliments impropres à la santé. Il peut s’agir du manque d’hygiène des repas ou de repas sans vitamines. Cette situation peut être liée au manque de moyens financiers ou à l’accès difficile des personnes âgées aux points de ravitaillement. Ces situations les obligent à se nourrir de repas obtenus sur la base d’aliments disponibles à leur portée, souvent sans souci de la qualité ou de l’hygiène. L’alimentation malsaine conduit souvent à l’intoxication alimentaire qui, même traitée, laisse se déclencher plus tard des maladies.

L’alimentation inadaptée est celle qui est servie aux personnes âgées sans tenir compte des exigences de leur âge. Elle peut se traduire par des carences, par des manques de vitamines ou par l’emploi de vitamines non nécessaires à leur condition. Il peut s’agir aussi de consommation d’aliments ne correspondant pas à leur situation, de sorte que la consommation de ces repas rend ces personnes âgées malades, inaptes ou plus fragiles. C’est le cas de la consommation de boissons alcoolisées, des repas sans vitamines, des aliments contenant un excès de protides et de lipides pas nécessaires à l’organisme des personnes âgées.

Toutes ces difficultés de santé et d’alimentation constituent des problèmes pour les personnes du troisième âge qui sont également souvent confrontées aux questions de logement, de revenu et de déplacement [...]

Revenu. [...] Si en Occident, le problème peut être minimisé en raison du fait que les personnes âgées sont des personnes en retraite qui perçoivent des pensions avec un système d’assurance fonctionnel, il est plus exigeant dans les sociétés africaines. Là, hormis les très rares fonctionnaires ou travailleurs retraités, les personnes âgées sont des paysans qui étaient sans revenu durant leur vie active parce que vivant d’activités de subsistance. Elles n’avaient pas cotisé pour une quelconque retraite ou n’avaient contracté aucune assurance vieillesse. Ces deux systèmes sont méconnus dans les milieux ruraux et chez la plupart des analphabètes [...]

Exclusion sociale et violence. [...] L’admission du parent âgé dans une maison de retraite qui suppose une rupture est souvent vécue comme un débarras face à une personne avec laquelle on ne peut pas continuer à vivre parce qu’il n’y a pas de place pour elle, parce qu’absorbé par le travail, on n’a pas le temps de s’occuper d’elle [...] D’où une certaine violence morale qui est faite aux personnes âgées.

La violence exercée contre ces personnes dans les maisons de retraite se pose également. Celle-ci est exercée dans certains cas par les membres du personnel de ces maisons. Ce phénomène est de plus en plus courant sous forme de violences tant physiques que morales.

Quant à l’exclusion sociale, elle est perceptible dans les deux types de société. Elle renvoie à une situation de personnes abandonnées, sans vie de relations de parenté ou d’amitié en Occident [...]

Prise en charge et accompagnement.

[...] La personne âgée est souvent unique dans son entendement et généralement fragile. La distanciation, voire l’inexistence, des liens affectifs familiaux crée souvent un désordre dans son psychisme. Le nombre de ces personnes âgées qui tendra à être de plus en plus croissant, ne permettra pas un suivi personnel et particulier de chacune, parce qu’en l’absence de la famille, il aurait fallu une assistance particulière du social, du médical, du loisir auprès de chacune, ce qu’aucun Etat ne peut offrir. Lorsque celle-ci fait défaut, surtout dans les pays sous-développés, on observe des conditions de vie à heurter les consciences : errance, mendicité, maladies, scènes de rue, extrême misère, clochardisation [...]

Protection juridique et institutionnelle.

[...] Ce que l’on peut retenir des dispositions constitutionnelles des Etats francophones sur le vieillissement, c’est qu’elles ne particularisent pas les personnes âgées, qui sont intégrées sous un vocable commun à “ tout citoyen ”. En poussant la réflexion plus loin, on peut déplorer le fait que, parmi les critères discriminatoires et particularisants, l’âge ne figure pas à côté du sexe, de la race ou de la religion.

Au niveau des lois et règlements en vigueur dans les Etats, on constate une volonté de répondre aux préoccupations des personnes du troisième âge. Des dispositions légales et réglementaires sont prises isolément ou dans le cadre de recommandations des conventions internationales en faveur des personnes âgées. Ces dispositions concernent principalement leur sécurité et les facilités à leur accorder dans les prestations des services publics et privés. Des actes réglementaires organisent et précisent la gestion des engagements.

En réalité, les lois et règlements définissent les droits et libertés des personnes âgées, souvent en les confondant à la masse des citoyens, parfois en les traitant de façon spécifique ou isolée.

Ce qu’il faut retenir à ce niveau, c’est que malgré ces dispositions, persistent de nombreuses failles dans la résolution des problèmes que rencontrent les personnes âgées. Les lois et règlements créent et organisent généralement des structures de prise en charge ou d’accompagnement ainsi que les conditions des droits et libertés auprès des structures étatiques. On peut facilement leur reprocher de ne pas organiser les devoirs des “ autres ” envers les personnes âgées. Ce devoir devrait découler de la parenté, de l’alliance ou simplement de la citoyenneté ou de l’appartenance à une même communauté de destin.

Cette absence de définition des devoirs par les lois et règlements entretient une situation anarchique, un silence ou un flou qui ne permet pas de requérir ou d’exiger pour chaque personne âgée le minimum d’attention et de soins que la société ou la famille doit lui apporter.

Au niveau du droit international, il existe un certain nombre d’instruments sur le vieillissement auxquels de nombreux Etats francophones ont souscrit. C’est le cas des conventions, déclarations et accords multilatéraux et bilatéraux sur la question. Parmi les plus importants, figurent la Déclaration de politique et le plan d’action international de Madrid sur le vieillissement de 2002, la résolution 46/91 du 16 décembre 1991 sur les principes des Nations unies destinés aux personnes âgées pour vivre les années gagnées. Ces principes sont l’indépendance, la participation, les soins, l’épanouissement personnel et la dignité des personnes âgées. Cent cinquante neuf Etats étaient présents ou représentés à l’assemblée générale de cette grande rencontre dont, à notre connaissance, tous les Etats du monde francophone [...]

Couverture sociale.

[...] La couverture sociale consiste notamment dans le paiement des pensions de retraite et des allocations de vieillesse pour les personnes ayant exercé des activités rémunératrices à leur âge adulte. Comme il a déjà été souligné, cette couverture n’est pas visible dans les pays africains francophones, parce qu’ils ont moins de retraités ou que la retraite ne concerne qu’une infime partie des personnes âgées, alors qu’elles sont toutes dans le besoin.

La couverture sociale comporte également le système des assurances avec les différentes prestations allouées aux personnes âgées. Or l’assurance vieillesse devrait ou pourrait être universelle et non limitée aux seules personnes l’ayant contractée dans le cadre de leurs services.

Ce qui est à retenir, dans la couverture institutionnelle, c’est que le régime varie fondamentalement entre les Etats occidentaux et les Etats africains. Alors que dans les sociétés développées les personnes âgées bénéficient d’un système d’allocations et de pensions et sont couvertes par un système fonctionnel d’assurance et de prise en charge, les “ vieillards ” africains sont nombreux à demeurer sans revenu, sans assurance, sans allocation et pension. Cette situation empêche de cerner de façon universelle les enjeux véritables du vieillissement dans les sociétés contemporaines. Faut-il penser à un système qui valoriserait un partage ou un équilibrage des faveurs et privilèges dans l’espace francophone ? Comment parvenir à offrir des derniers jours heureux à des personnes âgées qui, durant leur âge adulte, n’ont eu pour seul revenu que la sueur de leur front pour leur subsistance ?

Ces interrogations nous amènent aux exigences de la vieillesse contemporaine parmi lesquelles la question des droits et du mieux-être [...] On constate que certains droits se veulent plus exigeants, car sensibles aux conditions des personnes âgées. Il s’agit du droit à la santé, du droit à une alimentation saine, du droit à la solidarité [...]

Quelle espérance de vie ?

[...] L’arbre ne doit pas cacher la forêt. En effet, plusieurs pays se demandent, en cette année de grâce 2004, ce qu’est le 3ème âge et ne pensent dès lors pas à s’en encombrer, dans les trames de leurs politiques déjà difficilement maîtrisables par des lois ou des mesures sociales.

Ils ont d’autres priorités.

Que signifie en effet “ 3e âge ” cette année pour des pays africains dont l’espérance de vie ne dépasse pas quarante ans tels que la Zambie, la Sierra Leone, le Malawi, le Botswana, le Zimbabwe... Et ils sont légion. Pour eux, le troisième âge est plus qu’un luxe !

[... } L’homme ne peut se passer de l’autre. Il faut une exacte et nécessaire prise de considération réciproque de toutes les générations d’une communauté humaine. L’homme a droit, au crépuscule, de vivre la vitalité, l’équilibre et le bonheur de son printemps de midi...

“ L’homme doit élever son enfant Jusqu’à ce que toutes ses dents sortent.

L’enfant doit élever son père Jusqu’à ce que toutes ses dents tombent. ”

Proverbe africain.

Titinga Frédéric Pacere

Originaire du Burkina Faso, Titinga Frédéric Pacéré est avocat, écrivain et chercheur, membre du Mouvement international ATD Quart Monde et président d’honneur de l’Union interafricaine des Droits de l’homme. En 2004, il a été nommé expert indépendant des Nations unies pour les droits de l’homme en République démocratique du Congo.

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