Susciter le désir d’apprendre

Marcel Thorel

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Marcel Thorel, « Susciter le désir d’apprendre », Revue Quart Monde [En ligne], 185 | 2003/1, mis en ligne le 05 août 2003, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1911

Témoignage d’enseignants volontaires pour mener à bien un projet pédagogique centré sur l’idée que tout enfant est capable d’apprendre, de vivre en bonne intelligence avec les autres, à condition que les pratiques pédagogiques mises en œuvre prennent en compte sa culture première et l’associent à l’élaboration des règles de vie en société.

Index de mots-clés

Ecole, Enfance

Nous sommes neuf collègues1 du mouvement Freinet dans un groupe scolaire de la banlieue lilloise. Situées en réseau d’écoles prioritaires (REP), l’école maternelle et surtout l’école élémentaire avaient une mauvaise image : violences physiques et verbales, résultats scolaires peu brillants en moyenne, changements fréquents d’enseignants. S’ensuivaient une baisse régulière des effectifs, des fermetures de classes et une image de plus en plus dégradée de l’école élémentaire dans la ville. En partenariat avec la hiérarchie de l’éducation nationale et en accord avec la mairie, notre équipe pédagogique s’est installée depuis deux ans.

L’expression libre

Notre première tâche a été d’apprendre aux enfants à s’exprimer... librement. Nous avons des moments privilégiés où chacun peut raconter les petits et grands événements de sa vie. Prendre la parole, écouter les autres, vaincre sa timidité, ce n’est pas évident. L’enseignant doit créer un climat de confiance et de respect mutuel. C’est un travail qui demande méthode et opiniâtreté. Petit à petit, les enfants se sentent reconnus et protégés. Leurs apports, leurs propositions, leurs témoignages sont pris en compte et donnent lieu à des travaux en classe. La part du maître est essentielle. Il doit savoir discerner dans ce que dit l’enfant ce qui est important pour lui, ce qui le sensibilise, ce par quoi il est habité.

L’expression libre s’est également développée grâce aux arts plastiques, au théâtre, au mime, à la création musicale, à la danse. Notre souci est d’élargir au maximum les moyens d’expression pour que chaque enfant puisse trouver celui qui conviendra le mieux à sa sensibilité.

Ce travail n’est pas facile. Il serait plus simple pour nous d’avoir des préparations de leçons toutes faites, des exercices tout prêts. La seule question à régler serait celle de la discipline et de la soumission des enfants aux consignes... Nous pouvons dire maintenant que tous les enfants, à leur niveau, se sont appropriés les outils de l’expression libre et qu’ils progressent de jour en jour.

La communication

S’étant eux-mêmes exercés à l’expression, les enfants sont de plus en plus sensibles aux productions de leurs camarades. Nous développons le concept de « patrimoine culturel de proximité », c’est à dire la création d’un fonds d’œuvres réalisées par les enfants de l’école. Ces œuvres dont nous connaissons les auteurs, nous pouvons les critiquer, les imiter, demander des précisions, des explications. Notre but est de faire accéder nos enfants à la culture, pas à pas.

Pour créer ce patrimoine, il nous faut des moyens de communication. Les textes libres sont édités dans des recueils, les œuvres d’arts plastiques sont exposées dans toute l’école, les créations en musique et en expression corporelle sont présentées aux classes voisines. Les parents sont invités chaque samedi à l’ « heure des parents » pendant laquelle une sélection des travaux est présentée avec soin et attention, presque cérémonieusement.

Pour élargir leur environnement culturel, les enfants ont des correspondants en France et au Sénégal. Ils échangent ainsi toutes sortes de productions et découvrent de nouvelles façons de penser, d’agir, de vivre. Ces échanges ont pour objectif de développer chez les enfants la capacité à s’interroger sur leur milieu pour mieux le connaître et par la suite pour agir sur lui.

Prenons l’exemple de la correspondance. Dans une lettre, nos correspondants sénégalais nous annonçaient qu’ils avaient un nouveau robinet. Un peu circonspects, les enfants de ma classe déclarèrent qu’ils avaient bien de la chance d’avoir un deuxième robinet dans leur classe. La lettre suivante nous apprit qu’il s’agissait d’un deuxième robinet... dans le village. De cette façon, nous nous sommes interrogés sur notre propre rapport à l’eau.

A travers la correspondance, nous nous posons des questions sur notre propre environnement, sur notre organisation politique et sociale, sur notre façon de nous habiller, de manger, sur nos traditions...

L’expression et la communication ne suffisent pas pour donner aux enfants le goût d’apprendre, d’éveiller leur désir d’accéder aux connaissances. L’enseignement frontal, l’exigence d’une soumission des élèves aux injonctions des professeurs, les notes, les classements, ne sont-ils pas une forme de violence ? Tout être humain recherche la gratification. S’il ne la trouve pas, il fuira, il se réfugiera dans l’inhibition ou dans la rébellion.

Le tâtonnement expérimental

L’école doit mettre en œuvre de nouveaux moyens pour permettre aux enfants de construire leurs connaissances, de devenir des sujets et non pas des receveurs passifs. Célestin Freinet a développé l’idée du tâtonnement expérimental, mode d’apprentissage basé sur la méthode naturelle d’apprentissage. Dans notre école, beaucoup d’enfants étaient catalogués comme mauvais élèves et un fatalisme décourageant semblait rendre acceptable cet état de fait. En travaillant à partir de leurs propositions, nous avons maintenant des enfants qui mènent des recherches, bref qui s’inscrivent dans une dynamique de travail.

Les enseignants de l’école se sont formés pour changer leur propre regard sur les mathématiques, sur les sciences, sur l’histoire, sur la géographie. Cette formation nous permet d’accueillir les propositions souvent complexes des enfants. L’école part du simple pour aller vers le complexe, elle décompose pour recomposer par la suite. Nous pensons qu’il ne faut pas avoir peur de partir de la complexité de la vie. Il faut apprendre à nos enfants à se questionner sans cesse, à émettre des hypothèses, à échafauder des stratégies pour explorer les problèmes de sciences, de mathématiques, d’histoire, de géographie.

L’enseignant devient celui qui va aider à éclairer des situations en mettant les enfants en relation avec les connaissances, les œuvres du patrimoine, tout en respectant leur cheminement, leurs essais timides ou malhabiles. Nous avons observé cette transformation chez les enfants de notre école. Ils sont maintenant tous au travail. Nous ne prétendons pas en faire des petits génies. Nous avons l’ambition de leur donner les moyens de s’exprimer, d’expérimenter, d’argumenter, de communiquer, de prendre des initiatives.

Le projet de cette école est très ambitieux et nous le voulons ainsi avec en plus une grande exigence culturelle. Mais nous connaissons aussi les vicissitudes du quotidien. Il faut faire face aux attitudes parfois négatives, aux incompréhensions, aux tensions avec les familles. Sur ce plan, notre travail consiste à instaurer un nouveau mode de relations, en rupture avec les relations sociales et familiales vécues par bon nombre de nos enfants.

Une organisation coopérative

Il s’agit de permettre à chaque enfant de trouver les meilleures relations sociales possibles pour travailler dans de bonnes conditions. Dans chaque classe, le conseil de coopérative hebdomadaire permet de faire le point sur la vie de la classe, d’élaborer les projets à venir, d’évaluer les réalisations, d’essayer de trouver des solutions aux conflits, de créer les lois qui vont nous permettre de vivre en bonne intelligence. A titre d’exemple voici les lois actuelles qui régissent la vie de la classe de CM 1. Ces lois peuvent être transformées chaque semaine, amendées ou annulées.

On peut parler avec la petite voix pendant le travail individuel.

Nous ne devons pas parler avec la « grosse voix » tant que le responsable ne nous a pas donné la parole.

Nous ne pouvons pas nous lever tant que quelqu’un parle à toute la classe et nous ne levons pas la main tant qu’il n'a pas terminé.

Les violences physiques et verbales sont interdites.

Quand quelqu’un parle à toute la classe, on se tait.

Pour être autonome, il faut avoir toutes ses croix (respect des lois), respecter le contrat de travail, soigner son travail.

Il faut respecter le matériel de la classe et de l’école.

On ne joue pas et on ne court pas dans les escaliers.

Chaque semaine également se réunit le conseil d’école d’enfants, qui comprend deux délégués de chaque classe. Ce conseil élabore les lois de la récréation, de la vie de l’école en général. Les délégués sont chargés de communiquer les remarques et les décisions de chaque conseil de classe. Ces cadres coopératifs, les nombreux affichages, les rappels constants à la loi ont créé un climat de confiance dans l’école, chacun sait maintenant ce qu’il a à faire, comment il doit se comporter. Chacun sait aussi que ces décisions ont été prises démocratiquement.

1 Fabienne Bureau, Pascale Calcoen, Thierry Focquenoey, Sylvain Hannebique, Sylvie Legris, Agnès Nicolas, Danielle et Marcel Thorel, Marie-Anne
1 Fabienne Bureau, Pascale Calcoen, Thierry Focquenoey, Sylvain Hannebique, Sylvie Legris, Agnès Nicolas, Danielle et Marcel Thorel, Marie-Anne Wangermée.

Marcel Thorel

Marcel Thorel et son équipe pédagogique animent le groupe scolaire Concorde de Mons en Baroeul (Nord)

CC BY-NC-ND