«Si vous regardez l'autre comme quelqu’un qui vous ressemble…»

Fabrice Matsima

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Fabrice Matsima, « «Si vous regardez l'autre comme quelqu’un qui vous ressemble…» », Revue Quart Monde [En ligne], 186 | 2003/2, mis en ligne le 05 novembre 2003, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1936

« Un regard positif fait vivre », comme l’eau bue à une source. Il sous-tend le respect des droits.

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Droits humains

Claire Hédon : Que représente pour vous le respect des droits fondamentaux dont vous vous souciez ?

Fabrice Matsima: La défense des droits fondamentaux pour tous est, à mes yeux, une des plus importantes avancées sociales en Europe. Mais j'ai l'impression que, ces derniers mois, nous sommes dans une phase de recul. On s'attaque à ceux qui n'ont rien et au lieu de les aider à acquérir leurs droits, on les enfonce un peu plus. Un exemple. Je connais deux hommes qui vivaient dans un square depuis des mois sans gêner personne et en laissant les lieux propres. Un jour, ils ont trouvé dans une poubelle des disquettes et du matériel informatique. Suspectés de les avoir volés, ils ont alors été interpellés et chassés de leur emplacement. Installés ensuite sur un banc cinquante mètres plus loin, ils ont été pour ainsi dire oubliés.

C.H. : Quels sont pour vous les droits fondamentaux ?

F.M. : C'est d'abord le respect de la vie privée et de la liberté de chacun, mais aussi de son droit à la santé, à une vie familiale, à l'éducation, au savoir, à la culture, à tout ce que peut faire une « personne ordinaire qui a un chez soi. » Certains ont seulement la liberté d'être assis sur un banc et d'attendre ! Il ne leur reste que ça !

C.H. : Comment avez-vous pris conscience de ces droits ?

F.M. : J'ai une nature combative, alors j'arrive à me battre. Voir quelqu'un souffrir, c'est pour moi inadmissible. J'ai engagé ma vie sur cette défense des droits fondamentaux de la personne. Je revendique pour chacun le droit de s'informer, le droit de faire des essais, des erreurs. Oser de nouvelles expériences, c'est déjà du courage. Aucun homme n'a le droit d'avoir la mainmise sur autrui. Dans la Déclaration des droits de l'homme de 1948, il est affirmé que nous sommes tous égaux. C'est aussi ce que réaffirme la loi contre les exclusions de 1998 en France. Il faut défendre la dignité et le respect des personnes. Parce qu'un être humain n'a pas le droit de laisser un autre être humain sur le trottoir. Nous vivons dans un Etat qui sélectionne les gens, qui pratique la « diplômite » aiguë et aboutit à une sorte de «méritocratie».

C.H. : Comment faites-vous pour défendre les personnes ?

F.M.: Quand je vois un fait qui me révolte, je le dis. Par exemple, j'ai vu une bénévole d'une association traiter les gens comme des moins que rien. Un jour, au cours d'un repas où elle assurait le service, elle a interdit à quelqu'un de recevoir un appel téléphonique. J'ai réagi : «C'est peut-être urgent, pour un boulot, un rendez-vous et vous allez lui interdire de répondre?» Elle m'a dit: « Ici, on n'est pas au restaurant! » Je lui ai répondu : « Vous nous servez à table et vous dites que nous ne sommes pas au restaurant ! Et puis, si on n'a plus droit au moindre petit plaisir, où va-t-on ? »

C.H. : Pourquoi le droit au savoir vous tient-il particulièrement à cœur ?

F.M. : Parce qu'il donne de la dignité et de la fierté aux gens. C'est le savoir intellectuel mais aussi le savoir culturel : comprendre un tableau, goûter une musique, voir une pièce de théâtre, lire un poème de Victor Hugo.

C.H. : Pourquoi liez-vous savoir et dignité ?

F.M. : Quand on a accès à ces choses, on est debout, on peut faire des choix, accéder à un travail, dialoguer avec d'autres personnes. On n'est plus petit, inutile et surtout on n'est plus seul. On peut parler d'autre chose que des problèmes. C'est la possibilité d'être vraiment humain, d'ouvrir son esprit et son cœur. On sait tous des choses. On a tous une sensibilité. Il faut échanger, partager. Mais pour cela, le regard des autres est important.

Il y a des regards qui nous dessèchent, qui nous tuent. Le regard nous conditionne, nous met une étiquette, et pour la décoller c'est difficile. Mais un regard positif fait vivre, comme si on buvait de l'eau à une source. Il nous irrigue le cerveau et tout le corps. Il nous donne de la force pour aller de l’avant.

C.H. : Il y a donc un lien entre le regard et les droits fondamentaux...

F.M. : Si vous regardez l'autre comme quelqu'un qui vous ressemble, est-ce que vous allez lui refuser les droits auxquels vous tenez pour vous-même ? Mais si vous ne voyez en l'autre que quelqu'un qui ne sait pas s'exprimer, qui est complètement étranger à ce que vous êtes, alors vous lui réduisez l'accès aux droits et vous ne respectez pas sa liberté et sa dignité. Il faut que les gens se parlent, fassent des choses ensemble, pauvres et riches. C'est alors qu'ils apprennent à se connaître, à se comprendre et le regard change.

C.H. : Est-il difficile de faire comprendre que l'ensemble des droits est indispensable ?

F.M.: Cela demande beaucoup d'énergie. Comme si la seule ambition pour les plus pauvres est qu'ils aient un endroit pour dormir et pour manger ! Parfois on les entend crier, dire qu'ils existent ! Il ne faut jamais accepter une injustice pour que les nouvelles générations ne connaissent pas la même situation que la nôtre. Heureusement, nous ne sommes pas seuls.

Fabrice Matsima

Militant du Quart Monde à Paris, Fabrice Matsima participe à une chorale où il a découvert tout ce que peut apporter la culture. Il s'en explique avec Claire Hédon, journaliste à RFI.

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