Internet ? Vous avez dit Internet ?

Université populaire Quart Monde de Bretagne

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Université populaire Quart Monde de Bretagne, « Internet ? Vous avez dit Internet ? », Revue Quart Monde [En ligne], 187 | 2003/3, mis en ligne le 05 février 2004, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2041

Débat dans le cadre de l’université populaire Quart Monde de Bretagne.

Index de mots-clés

Société de l'information

Au moment où la communauté internationale et l’ensemble de la société civile s’interrogent sur l’avenir qu’offre à l’humanité l’entrée dans une société de l’information, que peut-on dire de ce que pensent, espèrent ou craignent dans ce domaine les personnes et familles qui vivent aujourd’hui dans la précarité ou la grande pauvreté ? Une longue étude serait nécessaire pour répondre à cette question. Elle devra être conduite sous peine de nous priver de l’avis de ceux qui apparemment sont les plus éloignés de la modernité proposée comme horizon. En attendant, et sans en tirer des généralisations abusives, écoutons, à titre d’entrée en matière, ce que partageaient récemment, dans une rencontre de l’université populaire Quart Monde de Bretagne, quelques-unes de ces personnes et familles.

Qu’évoque pour vous, leur avait-il été demandé d’entrée de jeu, la révolution de l’Internet ? Y voyez-vous une chance ou un danger ? Plusieurs mots-clé furent retenus par les groupes locaux de préparation pour décrire ce que représentait Internet : avenir, échange, communication, révolution, dépenses.

Echange

« Internet, c’est l’échange, dit madame D. Cela permet de briser sa solitude ». Madame J : « C’est intéressant de voir entrer en communication un petit gamin qui se trouve à l’autre bout d’un pays, qui vit une pauvreté pas possible ou dans un pays en guerre comme au Kosovo. Il peut partager, communiquer sur ce qui lui arrive, expliquer, avoir quelqu'un à qui parler, pouvoir dire comment il vit, à un autre gosse qui, lui, vit à l’abri du besoin et de la guerre ».

Communication

Madame B. retient, elle, le mot communication. « Internet permet d’avoir des liens avec d'autres personnes et d’obtenir rapidement des informations régionales et mondiales. Les enfants peuvent découvrir d'autres jeunes de leur âge pour pouvoir communiquer ». « C’est le moyen de communication et de rencontre avec toute personne sur la planète, pour découvrir les nations, les rythmes de vie différents, les coutumes, etc. Parce que c’est un moyen d’accéder au savoir, nous avons aussi retenu le mot : apprentissage. Pour pouvoir accéder à Internet il faudrait avoir des personnes compétentes formées à ce travail, qui enseignent aux anciennes générations. Celles qui n’ont pas eu la possibilité d’apprendre l’informatique, à faire fonctionner l’ordinateur, accéder à Internet et ainsi devenir quelqu’un. D’autres pourraient obtenir leur indépendance dans leur travail. Actuellement ce sont nos enfants qui nous enseignent l’ABC. Si nos moyens nous le permettaient, nous serions ravis d’avoir un ordinateur pour communiquer. Ce désir devrait être accessible à tous ».

Révolution

Un autre groupe parle, lui, de révolution: « Pour ce 21ème siècle, c’est un changement important de communication avec les autres dans le monde. Pour les jeunes générations, cela deviendra quelque chose de pratique qui donnera accès à tout avec une grande rapidité. L’accès au savoir sera facilité pour les pays les plus pauvres. Une question cependant reste posée. Est-ce que cette révolution technique, technologique, ne va pas supprimer le dialogue direct entre les hommes ? »

Dépenses

« Nous, nous avons choisi le mot : dépenses, nous dit le porte-parole d’un dernier groupe. Nos enfants utilisent plus facilement l’ordinateur à l’école que chez nous, parce que c’est trop cher. On a tendance à l’utiliser parce que, chez nous, c’est un objet nouveau, donc on va à la découverte. Nous avons pris des exemples précis avec un couple et des enfants. L’un passe quarante-cinq minutes, l’autre, près d’une heure et demie et le troisième, un quart d’heure. A la fin du mois, cela fait une facture téléphonique assez élevée. Maintenant, il existe des magnétoscopes, des ordinateurs à prix réduits. Est-ce qu'il en serait de même pour Internet ? »

Liens familiaux

Madame C. évoque un autre usage, bien utile pour reconstruire des liens familiaux cassés par les difficultés de la vie : « Internet peut servir à faire des recherches personnelles, comme par exemple rechercher l’adresse du père de mon père, faire des recherches sur nos parents, nos arrière-grands-parents, notre famille. »

Au service de qui ?

La grande question est finalement celle que formule monsieur L. : « Comment développer Internet pour que ce soit un outil qui soit vraiment au service de l’humanité et un outil pour rendre les gens vraiment heureux ? Ce qui me préoccupe, c’est de savoir qui est derrière tout cela, pour quels intérêts et au service de quelle cause ? Et est-ce que les pauvres pourront suivre ? »

L’invité à cette réunion était ce soir-là un élu. Il a répondu : « Internet, c’est en même temps des intérêts commerciaux, ceux des plus puissants et aussi un lien citoyen solidaire. C'est un peu à chacun d’entre nous de faire que cela devienne ce que nous avons envie que cela devienne. Il faut faire l’effort pour se former et dépasser la peur que nous pouvons avoir à utiliser cet outil »

Madame D. exprime une autre crainte : « Ce dont j’ai peur, c’est qu’à l’avenir, avec tout cela, on sera tous à faire nos commandes par Internet. Plus personne ne sortira de chez soi. Je me demande si on ne risque pas d’être complètement enfermés, et un jour on ne saura même plus si notre voisine est morte ou en vie ».

Et les enfants ?

Tous se soucient des enfants et certains ont interrogé les leurs.

« J’ai passé presque deux heures avec mes deux garçons pour en parler », nous dit madame L.H. Kevin a dit : “ C’est un ordinateur avec lequel on peut envoyer des messages partout dans le monde, se faire plein d’amis. Si Wilfried est en Angleterre, je peux envoyer un message de la France pour prendre de ses nouvelles et on peut jouer ”. Wilfried complète : “ Avec Internet, on peut envoyer des lettres d’anniversaire, faire la connaissance de petits copains pour qu’on puisse s’inviter entre nous. Prendre des nouvelles des autres pays et on peut rendre les gens heureux ”. Il parlait notamment du Kosovo en pensant à la guerre. Ils voient les informations comme tout le monde. Cela les touche. »

Monsieur L.H. : « On pourrait faire beaucoup de choses. Il faudrait qu’Internet soit présent dans les hôpitaux, pour que les malades puissent prendre contact avec d’autres. Cela joue sur le moral et cela peut même permettre une guérison. Moi, par contre, ce que je voudrais dire sur Internet, c’est que c’est bien, mais on voit beaucoup de choses qui se passent mal aussi. Je pense, par exemple, à la pédophilie. C’est interdit, mais pas encore assez. Il faudrait peut-être faire quelque chose, là aussi. Les enfants ont une vie assez dure dans la société où on vit. Si c’est pour leur faire voir des choses comme ça, moi je ne suis pas d’accord. »

Madame G. évoque, elle, un autre obstacle : « Sur Internet, je trouve qu’il y a beaucoup trop d’anglais. On est souvent arrêté par la barrière de la langue. »

Madame B. : « Internet est un moyen de communication entre différentes personnes. Les adultes peuvent penser qu’Internet c’est bien pour leurs enfants : cela leur permet de découvrir d’autres jeunes de leur âge et de pouvoir communiquer avec eux. Les enfants découvrent des choses qu’ils ne savaient pas auparavant. »

Madame L. : « Dans le groupe de Maurepas 3 Fontaines, une personne nous a parlé d’un enfant dont l’institutrice donne du travail scolaire à faire à la maison à l’aide d’un ordinateur. Cela a suscité beaucoup de réactions ».

Madame S. : « On lui a dit que ce n’était pas possible d’agir ainsi. Si, pour faire un travail scolaire à la maison, il faut avoir accès à Internet, cela va diviser la classe en deux : ceux qui peuvent utiliser Internet et ceux qui ne peuvent pas. C’est vraiment une séparation très nette qui est dommageable. »

CC BY-NC-ND