Pour les écoliers, l’ordinateur ne se fâche pas

Pascale Vincendon

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Pascale Vincendon, « Pour les écoliers, l’ordinateur ne se fâche pas », Revue Quart Monde [Online], 187 | 2003/3, Online since 05 February 2004, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2049

Comment l’ordinateur peut-il aider les enfants en difficulté à apprendre à lire et à écrire ?

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Société de l'information

L’ordinateur

Joseph, dix ans et demi, aime beaucoup l’informatique parce qu’il a ce sentiment de jouer tout en apprenant ou en révisant avec les exercices proposés. Les couleurs, les logos, les images, l’environnement sonore sont autant d’atouts appréciés. La synthèse vocale favorise la conscience phonologique par l’écoute des mots et du vocabulaire. La consigne de l’exercice peut, sur la plupart des logiciels de lecture/écriture, être entendue par l’enfant. Celui-ci a donc la possibilité d’entrer dans l’exercice en sachant ce qu’il doit faire. Il ne restera pas bloqué devant un mot à déchiffrer ou une phrase incompréhensible.

Apprendre à lire et à écrire est en effet un des apprentissages premiers les plus complexes qui entraîne, pour un certain nombre d’enfants, une situation scolaire d’échec partiel ou global. Parfois, dès le cours préparatoire, l’élève présente des difficultés qui peuvent perdurer jusqu’au collège. L’enfant se trouve peu motivé pour accéder à l’écrit, car il est trop souvent découragé par des efforts non aboutis. Le cursus scolaire devient rapidement chaotique malgré les différentes médiations mises en place par les enseignants et les prises en charge des réseaux d’aide. Quelles méthodes et quels outils d’aide permettraient de susciter l’envie de lire, d’écrire et de communiquer qui pousserait les élèves à vouloir vraiment entrer dans cet apprentissage et surmonter leurs difficultés ?

L’ordinateur donne d’apprendre autrement

En 1997, l’Etat a défini les actions en matière de technologie de l’information et de la communication. Depuis, ces nouvelles technologies ont connu en France, surtout en 2000, un développement particulièrement accru pour répondre aux besoins. L’utilisation de l’informatique à l’école est réelle, une fois réunies certaines conditions (formation des enseignants, investissement humain, possibilité d’accès à des logiciels pédagogiques de qualité... ). Les professeurs disposent de logiciels reconnus d’intérêt pédagogique (RIP). Ces supports offrent la possibilité d’aborder autrement le travail d’apprentissage ou de re-médiation sur la lecture /écriture et suscitent une pédagogie nouvelle. L’ordinateur favorise la lecture et l’écriture, deux apprentissages étroitement liés.

Le travail sur logiciel stimule l’élève en difficulté. Les compétences indispensables en lecture peuvent être systématisées et reprises autant de fois que nécessaire, sans pour autant provoquer la lassitude qu’entraînerait la même tâche fastidieuse sur un support papier. Des logiciels, tels que Lectra, Lecthème ou Moi, je sais lire... permettent à l’élève de reprendre ces compétences (reconnaissances de phonèmes, discrimination visuelle, association de lettres et de leur son, accès au sens de la phrase et du texte...) L’enfant qui éprouve de réels problèmes en lecture, n’est pas arrivé à se familiariser avec toutes ces stratégies nécessaires à un bon lecteur. Et comme personne ne lit pour lire, il est impératif que l’élève éprouve l’envie de travailler avec tel ou tel logiciel offrant une présentation très attractive, presque ludique, des exercices. La motivation est un facteur essentiel pour tout apprenant. De plus, les exercices doivent être suffisamment répétitifs pour stimuler sa mémoire.

Le statut de l’erreur n’est plus le même

Dès qu’ils sont familiarisés avec les premières manipulations d’ouverture et de mise en route du logiciel, les élèves se sentent rapidement autonomes et volontaires pour tenter d’arriver à un résultat. Même en cas d’erreur, Joseph ne se sent pas sanctionné comme il l’est en classe, lors d’un travail sur papier. Le statut de l’erreur n’est plus le même. Celle-ci n’est plus considérée comme une faute soulignée et sanctionnée. Doria, onze ans, reconnaît que l’ordinateur ne se fâche pas et qu’elle peut lire autant de fois qu’elle le souhaite la consigne quand elle a du mal à la comprendre. C’est mieux que dans la classe. Elle aussi aime lire et travailler sur des images, des gravures et des tableaux, parce que ce n’est pas « comme d’habitude ». L’élève peut ainsi se tromper, s’autoriser à essayer, sans risque. De ce fait, il se met en état de recherche qui, même sans aboutir d’emblée à un bon résultat, lui permet de progresser dans ses raisonnements et dans ses méthodes de travail. Il arrive ainsi petit à petit à se corriger lui-même avec l’aide de l’enseignant ou du voisin. Il n’y a pas de jugement de valeur quant à ses erreurs.

Très souvent, un système d’aide propre au logiciel permet à l’enfant de recommencer plusieurs fois et ainsi de poursuivre la réalisation de l’exercice en lecture, grammaire ou conjugaison. En général, les exercices bien réussis offrent la possibilité de gagner une récompense virtuelle (découvrir un trésor, un puzzle, obtenir un objet...) La réussite, gratifiée, valorise l’élève. L’évaluation en lecture est facilitée dans la plupart des logiciels qui offrent la possibilité d’imprimer les résultats. Bien suivie et interprétée, elle permet de vérifier la progression de l’élève et d’organiser le travail de la séance suivante. Elle fait prendre conscience à l’enfant de ses progrès et de ses erreurs et lui permet de se situer et d’organiser petit à petit la gestion des ses exercices.

La nécessaire médiation du professeur

Un tutorat peut être mis en place par l’enseignant, permettant aux enfants en difficulté dans leurs apprentissages de s’ouvrir aux autres. Il favorise la communication entre pairs et offre à ces élèves la possibilité de se faire comprendre et de s’exprimer sans appréhension. L’enseignant ne pouvant être devant tous les ordinateurs en même temps, il est important que les élèves puissent s’entraider. Grâce à cette entraide, chacun est mieux reconnu avec ses facilités ou ses difficultés.

La plupart des logiciels en lecture/écriture sont programmables. Le travail peut être ainsi ciblé en fonction des besoins spécifiques de chacun. L’élève avance à son rythme, en intégrant de nouvelles compétences qu’il systématise.

S’il est vraiment en « panne de réussite », l’enseignant est là pour le guider, le rassurer et réfléchir avec lui sur l’erreur commise. Le retour sur son travail va aider l’élève à acquérir de nouvelles compétences qui lui font défaut. A ce moment-là, le professeur a un rôle de médiateur entre l’apprenant et l’outil informatique.

Le traitement de texte est aussi en général apprécié des enfants. Cependant, dans un premier temps, sa pratique est souvent difficile à installer avec des élèves qui présentent de gros retards dans l’acquisition du langage écrit. Sonia (onze ans), Alain (huit ans) et Anna (onze ans et demi) n’aiment pas beaucoup se servir du traitement de texte, surtout au début de l’année, « quand c’est encore difficile de trouver rapidement toutes les lettres sur le clavier sans se tromper ». Ils n’apprécient pas du tout que les fautes soient soulignées en rouge, comme en classe dans le cahier. « Même là, quand on fait des fautes, c’est tout rouge », dit Doria.

Le découragement peut vite reprendre le dessus si l’enseignant, ou le camarade, n’intervient pas pour aider à corriger. Les élèves en grande difficulté d’apprentissage du langage oral et écrit ne peuvent utiliser d’emblée le correcteur orthographique. Ils ont trop de mal à lire. En outre, ils doivent être aidés à comprendre leur erreur, pourquoi ils l’ont faite et comment la corriger.

Rien ne vaut un livre, pour les histoires !

Ils n’ont pas encore acquis toutes les notions de grammaire, d’orthographe et de syntaxe qui pourraient leur permettre d’avancer. Cependant après un entraînement régulier, semaine après semaine, les réticences cèdent peu à peu. Les enfants apprennent à utiliser les différentes possibilités du traitement de texte. Ils reconnaissent que le produit final est beau et bien écrit. Ce logiciel gomme les grandes difficultés de graphisme de certains ou les soucis d’écriture des autres (organisation spatiale de la page, régularité d’écriture, suivi de la ligne).

Pour Anna, Joseph, Stéphanie... l’écriture est plus facile sur informatique : « ça ne fait pas brouillon, on peut choisir les couleurs et c’est propre. Pour lire, c’est mieux parce qu’on prend le temps et on peut parler entre nous. »

Doria préfère cependant écrire d’abord sur le papier. Elle a besoin de rayer, raturer, revenir en arrière dans sa production d’écrit. Mais tous préfèrent le livre en papier plus que l’histoire qu’ils peuvent découvrir par épisode sur ordinateur. Ils peuvent le manipuler à volonté, tourner les pages : la lecture y est plus aisée qu’à l’écran.

L’ordinateur, outil d’intégration

L’enseignant a une place très importante à tenir : programmation qui suit l’évaluation, détermination des besoins des élèves en difficulté, gestion du temps passé en travail sur informatique, organisation du travail en groupe ou en tutorat, choix des logiciels ou exercices à proposer. Il intervient aussi de façon primordiale pour vérifier si l’élève comprend la démarche qu’il a mise en jeu pour arriver à la solution. L’intérêt n’est pas toujours et uniquement de favoriser chez l’apprenant l’accès à des mécanismes de réussite pour obtenir un bon résultat, mais aussi de lui ouvrir les moyens de savoir, de comprendre, d’expliciter pourquoi et comment il y est parvenu et quelles stratégies il a utilisées.

Le travail d’aide à la lecture ou à l’écriture sur informatique nécessite une organisation qui doit être intégrée dans le projet de classe. L’informatique est un incontestable outil, tant dans les possibilités qu’il offre pour l’apprentissage que pour l’intégration scolaire et sociale des élèves en grande difficulté. Elle aide ces derniers à se structurer, à s’organiser, les amenant doucement à être autonomes. Elle permet une mise en relation et un transfert des connaissances acquises en classe. L’outil informatique est un support de travail au même titre que le papier. Il ne le remplace pas. Il offre aux élèves une conception différente du travail scolaire et des actions qu’ils ont à mener. Ceci doit, par la suite, favoriser une ouverture sur le monde. Cette autre possibilité d’intégration et de socialisation offre aux enfants, surtout ceux en difficulté, d’accéder différemment aux apprentissages.

L’outil est interactif, la machine réagissant à l’intervention de l’élève lorsqu’il utilise le clavier, la souris. Il favorise aussi la coordination main-œil par une maîtrise visuelle et spatiale.

L’investissement en matériel informatique et humain est indispensable à une bonne mise en place d’un tel projet de classe. Le travail, pour être constructif et efficace, doit être régulier et fréquent, relayé par un suivi et une adaptation des exercices et l’organisation des actions par petits groupes. La présence d’un aide-éducateur facilite grandement ces actions d’aide et de re-médiation, à tous les niveaux du cursus scolaire, pour tous les élèves et en particulier pour ceux qui en ont le plus besoin.

Besançon équipe les familles des élèves de CE2 d’un ordinateur. Les ordinateurs sont fournis par le Crédit agricole de Franche Comté et le coût de la mise en œuvre est assuré par la municipalité et une subvention du ministère de l’Education nationale. La dotation est annuelle. Pour trois ans, les quelque mille élèves de CE2 sont pourvus d’un ordinateur, d’un forfait Internet de cinq heures par mois, des mêmes logiciels éducatifs qu’à l’école, avec formation gratuite et assistance des parents. Cela fait suite à l’équipement en 1999 des écoles primaires de la ville. Ces opérations sont placées sous le signe de « l’égalité d’accès aux nouvelles technologies d’information ».(La lettre de l’éducation, n°412 du 28/04/03, cité par le bulletin Atd Quart Monde/France, conjoncture « Ecole », n°49).

Pascale Vincendon

Professeur des écoles spécialisé, Pascale Vincendon travaille dans une classe d’intégration scolaire pour les enfants présentant un handicap. Elle est mère de trois enfants

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