Passions d'apprendre

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « Passions d'apprendre », Revue Quart Monde [En ligne], 174 | 2000/2, mis en ligne le 05 décembre 2000, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2100

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Education, Ecole

Apprendre, nous disent les dictionnaires, c'est tout aussi bien enseigner ou informer, étudier et acquérir la connaissance que devenir capable.

Le refus de la misère ne suppose-t-il pas que nous sachions décliner ce verbe d'action dans toutes ses acceptions ? Il y a fort à faire en ce domaine. Bien qu'il soit forgé dans la conscience universelle de l'égale dignité de tous les êtres humains, cet impératif moral du refus de la misère ne fait encore l'objet comme tel d'aucun apprentissage dans les cursus scolaires et universitaires. Les raisons en sont sans doute multiples mais la plus évidente, la plus simple, est peut-être que les temps n'étaient pas encore mûrs pour que nous saisissions la priorité éthique qu'il recèle, le devoir politique qu'il induit, la fraternité sociale qu'il appelle, voire la méthodologie appropriée pour le mettre en œuvre.

Aujourd'hui, en ce début de XXIème siècle, le refus de la misère se propose à notre esprit comme l’un des défis majeurs que nos sociétés ont à relever. La misère est toujours présente, à notre portée sinon à notre porte, et parfois entretenue par le fait que, face à elle, beaucoup de nos contemporains sont souvent comme des gens encore trop ignorants et impuissants, vaguement informés, insuffisamment formés et peut-être peu résolus à la combattre. Ceux qui se sentent concernés par elle éprouvent de plus en plus la nécessité de se lier à d'autres pour mieux connaître, mieux comprendre, mieux agir. Quant à ceux qui sont engagés corps et âme dans une résistance continue à ses effets destructeurs ou dans une détermination volontariste pour la réduire, ils souffrent de ne pas trouver sur leur chemin les partenaires dont ils auraient besoin pour que l'enseignement de leur expérience fonde sur des bases plus pertinentes tant l'action publique que la mobilisation citoyenne.

Refuser la misère, cela s'apprend donc. Ce numéro en témoigne à sa façon, modeste certes, à travers des apports émanant de plusieurs horizons (Belgique, Etats-Unis, France, Sénégal), de diverses disciplines (anthropologie, communication, histoire, éducation, pédagogie...) et de statuts sociaux différenciés porteurs de savoirs propres (engagement associatif ou professionnel, expérience de vie, recherche universitaire).

Il porte comme titre « Passions d'apprendre » car les auteurs des contributions proposées se livrent avec passion dans ce qu'ils entreprennent. Ils y acquièrent des compétences inédites à cause des confrontations qu'ils risquent avec des personnes d'un autre monde que le leur. Ils y puisent des lumières et des forces pour entrevoir et faire advenir des changements dans l'élaboration de nouveaux savoirs et savoir-faire, de nouvelles manières de concevoir et de pratiquer tant la formation que la vie sociale communautaire. Ils ont en commun de rechercher, chez le plus démuni comme chez d'autres, l'être humain dans ses potentialités cachées, dans sa soif de reconnaissance, dans son désir de communiquer, dans son refus de la misère et de l'exclusion sociale.

Il y aurait beaucoup d'autres « passions d'apprendre » à évoquer. Celles-ci ont été rapportées parce qu'elles nous ont semblé dignes d'être partagées avec nos lecteurs.

Arlette Farge, par sa quête des moindres traces révélées par les archives, nous fait entrevoir ce que fut hier la vie des plus pauvres, ici à travers les écrits qu'ils portaient sur eux et qui leur étaient pourtant le plus souvent illisibles.

Pour beaucoup de nos contemporains, l'enjeu est précisément l'accès à l'écrit, à sa compréhension, à son utilisation. Ce qu'attestent les adultes de milieu très défavorisé qui ont le courage de reprendre une formation, dont nous parle Alicia Astudillo Rojas.

Martine Le Corre et Jean-Marie Lefèvre, deux des auteurs du mémoire « Libérer les savoirs » dans le programme Quart/Monde Université1 sont fiers à juste titre de pouvoir dire ce que leur a appris le fait de se former avec d'autres à travers l'intercommunication des savoirs scolaires, des savoirs de vie et des savoirs d'action. Michelle Perrot évalue cet apport qui renouvelle la connaissance que l'Université peut avoir de la misère. René Barbier nous révèle les transformations opérées chez des étudiants qui ont analysé « Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l'Université pensent ensemble »2  Et, au-delà de cette expérience, Claude Pair nous dit à quoi le monde enseignant est confronté pour que tous les enfants puissent réussir à l'école.

Apprendre c'est aussi entrer en communication avec d'autres, qui sont différents de soi, pour se laisser former par eux. Gilles Le Cardinal tire quelques enseignements de portée générale de sa vie partagée avec une communauté de personnes ayant un handicap mental. Mais apprendre c'est encore intervenir au sein d'une communauté pour proposer des démarches de co-formation, par exemple en s'associant avec des parents de milieu défavorisé pour développer une dynamique d'éducation populaire au bénéfice des enfants et des jeunes. Clare McCarthy l'illustre en retraçant l'histoire d'une implantation dans un quartier pauvre de New York. Dans un tout autre contexte, au Sénégal, Maguette Ndour témoigne de son engagement associatif et professionnel en faveur des petits enfants. Et le fait d'être confronté à des situations difficiles peut inciter à des innovations pédagogiques pourvu qu'on soit « passionné d'apprendre », ce qui est le cas de Jeanne Bamberger.

D'ailleurs la réflexion de Patrick Brun sur la nature de la formation, invitant chacun à se demander « qu'est-ce qui est formateur pour moi ? », appelle tous ceux qui veulent exercer des fonctions de formation à faciliter l'émergence de ce questionnement chez les adultes auxquels ils s'adressent (ou à chercher à le découvrir s'il s'agit de jeunes enfants), pour tenter avec eux des parcours adaptés.

Enfin, Carl Egner, Bruno et Geneviève Tardieu signent un article qui invite à « bâtir des communautés apprenantes » : avec d'autres membres du Mouvement ATD Quart Monde, ils préparent un séminaire qui réunira à New York, en automne 2000, des parents de milieux très défavorisés, des enseignants, des animateurs socio-éducatifs et quelques universitaires pour apprendre à devenir des partenaires solidaires afin que des perspectives d'épanouissement s'ouvrent aux enfants qui, aujourd'hui, en sont encore privés.

1 Cf.Quart Monde n°170.
2 2. Ed. Quart Monde/Ed. de l'Atelier, 1999
1 Cf.Quart Monde n°170.
2 2. Ed. Quart Monde/Ed. de l'Atelier, 1999

Daniel Fayard

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