Pour son propre bien et celui des autres

Alwine A. de Vos van Steenwijk

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Alwine A. de Vos van Steenwijk, « Pour son propre bien et celui des autres », Revue Quart Monde [En ligne], 173 | 2000/1, mis en ligne le 05 septembre 2000, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2110

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Solidarité

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Honduras

Pendant une année, sensibilisés par la détresse des victimes de l’ouragan Mitch au Honduras, quelques jeunes de la cité de promotion familiale de Noisy-le-Grand France) se sont préparés personnellement et collectivement pour aller offrir leurs bras, leur énergie, leur solidarité à la population locale. Rien d’exceptionnel, me direz-vous, à l’époque de l’intervention humanitaire professionnalisée, à l’échelle quasi industrielle.

Et pourtant, en y regardant de plus près, ce que nous découvrons sort de l’ordinaire. Dans nos sociétés, en effet, la possibilité de s’engager librement au service d’autrui, de faire don de soi pour un temps plus ou moins long, le droit à « faire de l’humanitaire », sont aussi mal répartis que le droit au travail, à la culture, à la formation permanente ou à l’éducation. Les jeunes qui ont déjà beaucoup reçu en formation, en années d’études, en capital de relations ne sont-ils pas souvent aussi ceux-là même qui se voient offrir comme un privilège additionnel la possibilité d’interrompre un moment le cours de leur carrière ordinaire pour rejoindre les zones dévastées par la guerre ou les catastrophes naturelles ? Il est bon, certes, qu’ils puissent le faire. Un tel droit a été explicitement reconnu par les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Copenhague en 1995 lors du sommet mondial pour le développement social. Ils déclaraient leur volonté d’agir « pour permettre à chaque être humain de contribuer à l’avenir de sa famille, de sa communauté et de l’humanité » (§ 9 de la Déclaration finale). Pourquoi donc ce droit est-il encore si souvent interdit d’accès aux plus pauvres, aux allocataires sociaux, aux chômeurs ? Pourquoi, sous prétexte de la nécessité de rester disponibles sur le marché du travail, les engagements volontaires leurs sont-ils interdits ou autorisés du bout des lèvres, au terme de contrôles administratifs kafkaïens ? Pareils comportement ne révèlent-ils pas la méfiance et le mépris dans lesquels les tient l’opinion, bien plus que les fonctionnaires chargés d’appliquer les lois et règlements ?

Ces jeunes de Noisy-le-Grand ont osé : ils ont affirmé qu’ils avaient le droit de se mettre au service du Honduras, bien qu’ils ne soient pas des « french doctors ». Ils se sont affirmés citoyens du monde. Au Honduras, ils ont trouvé Nahum. Ce Nahum, pauvre parmi les pauvres, qui nous dit qu’au retour de sa région natale où il a trouvé à s’embaucher pour reconstruire maisons et écoles détruites par le cyclone, il reviendra à Tegucigalpa et reprendra la bibliothèque de rue avec les jeunes de Quarto Mundo : c’est tellement important pour l’avenir des enfants ! Il sait, Nahum, sans l’avoir lu, ce poème de Marie Mauron : « Après nous – je le vois venir – on travaillera encore et davantage à force de machines, on produira, on gagnera. Qui chantera ? Et la vie sans chanson… » ! (…) Le pain tient compagnie un moment, un autre les bêtes , les chansons occupent le reste, surtout les nuits d’été où le troupeau mange aux étoiles ». (cf. « Le sel des Pierres »)

Ces jeunes de Noisy-le-Grand, Nahum du Honduras et tous les autres nous redisent avec force ce que les options de base du Mouvement ATD Quart Monde affirment d’emblée : « Tout homme porte en lui une valeur fondamentale inaliénable qui fait sa dignité d’homme… Elle donne à chacun le même droit d’agir pour son propre bien et celui des autres. »

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