Entre violence et confiance

Xavier Godinot

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Xavier Godinot, « Entre violence et confiance », Revue Quart Monde [En ligne], 173 | 2000/1, mis en ligne le 05 septembre 2000, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2111

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Violence

Entre violence et confiance. C'est bien entre ces deux pôles que se situe la lutte contre l'exclusion, mais aussi le cheminement de toute vie humaine.

Au fond d'une prison d'Amérique latine, pendant une séance de torture, s'impose à Miguel Angel Estrella la nécessité de créer Musique Espérance, pour partager la passion de la musique « qui fait vivre et qui rend meilleur »

Passer de la violence à la confiance, c'est découvrir la violence de l'autre, mais aussi la sienne, la reconnaître pour ne pas se laisser envahir et dominer par elle. Et décider non seulement de « lutter contre », mais aussi d'« agir pour », et ce faisant, ouvrir un nouvel espace pour agir avec d'autres.

Face à la détresse des personnes atteintes d'un handicap mental, qui à force d'être rejetées se croient sources de malheur, Jean Vanier crée les communautés de l'Arche, pour partager le bonheur d'être ensemble.

Face à la solitude des personnes à la rue, qui restent parfois des semaines entières sans échanger un mot avec quiconque, des cinéastes organisent des séances régulières de « rendez-vous au cinéma ». Espaces de rencontre, de respiration et de dialogue.

Rassemblés au palais des Nations unies, à Genève, en novembre 1999, des enfants du monde entier disent non à la violence de la guerre et de la misère, et demandent aux adultes de les aider à bâtir un monde meilleur.

Au cours des siècles, l'humanité a expérimenté que certaines formes d'organisation ou de fonctionnement social secrètent la violence, et d'autres la confiance. Pour conjurer le risque de la violence généralisée et instaurer la paix, nos sociétés ont mis par écrit leurs idéaux, leurs conceptions de la personne, dans des textes comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, ou la Convention des droits de l'enfant. Il faut connaître et faire connaître ces textes, et en gagner l'application.

Mais le passage de la violence - que l'on subit, que l'on exerce, et qui nous habite -  à la confiance en soi et dans les autres, est un véritable défi. Il demande à chacun un important travail sur soi et suppose plusieurs conditions. La première est d'apprendre à percevoir et respecter le « monde vécu » de l'autre, ce monde « si souvent occulté par les sciences sociales », nous dit Bernard Eme, fait de sentiments, d'épreuves, d'amour, de haine, d'aspirations. Rentrer en dialogue avec l'autre, si différent soit-il, requiert de reconnaître pour s'en libérer nos propres peurs, nos préjugés, notre indifférence ou notre mépris. Alors, l'aventure commune du croisement des savoirs devient possible : personne n'y perd, et chacun y gagne de « se libérer », « d'enlever ses chaînes », « d'arriver à l'humain ». Mais si l'être humain est depuis longtemps rejeté et humilié, la transmutation de sa violence en confiance exige la présence durable, à ses côtés, de personnes qui lui révèlent sa propre valeur. Aucune technique, aucun programme, aucun financement, si nécessaire soit-il, ne peut remplacer cette présence, ce compagnonnage qui demande temps et fidélité.

Comment durer dans cette fidélité, résister à l'usure, se renouveler ? Une meilleure connaissance de soi-même, en ses forces et faiblesses, est nécessaire pour avancer sur le chemin personnel du "deviens ce que tu es". L'interpellation et le soutien de l'entourage, et des plus défavorisés eux-mêmes, sont aussi indispensables pour devenir et demeurer fidèles à nos valeurs. Ces réflexions se situent dans le droit fil d'une précédente revue Quart Monde intitulée : « Risquer l'empreinte de l'autre ». Donner le meilleur de soi, éveiller le meilleur de l'autre, pour ne pas trahir le rêve de nos vingt ans : telle est notre recherche commune.

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