Solidarité sans frontières

François Phliponeau

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François Phliponeau, « Solidarité sans frontières », Revue Quart Monde [En ligne], 173 | 2000/1, mis en ligne le 05 septembre 2000, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2137

Les jeunes du Club du savoir et de la solidarité de Noisy-le-Grand ont vécu une belle aventure au Honduras, où ils ont participé à la reconstruction du pays dévasté par le cyclone Mitch. Retour sur une préparation et une réalisation exemplaires qui prouvent que des jeunes souvent rejetés peuvent construire, se construire, et devenir des bâtisseurs de paix.

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Honduras

Quand, au début du mois de novembre 1998, Laurent évoque au Club du savoir et de la solidarité1 de Noisy-le-Grand les terribles images du cyclone Mitch qu'il vient de voir à la télévision, qui se doute alors qu'il est en train de lancer une aventure ? Elle va devenir tout à la fois un projet de chantier, un voyage d'études et un merveilleux échange entre les jeunes de Noisy-le-Grand et ceux de Nueva Suyapa, un des quartiers les plus pauvres de Tegucigalpa, la capitale du Honduras.

Ces images lui rappellent Tono, un des délégués d'Amérique centrale venus au rassemblement mondial organisé en mai 1998 pour le 40e anniversaire d'ATD Quart Monde. Laurent se souvient : « On connaissait Tono, on savait que les jeunes de Cuarto Mundo faisaient des bibliothèques de rue dans des quartiers qui avaient été dévastés par le cyclone Mitch. Il fallait donc aller aider nos amis ». Vanessa avait ajouté :  « On ne sait pas exactement comment on peut les aider, mais quand on est dans le pétrin, c'est important de se sentir soutenus... »

Tous les membres du Club du savoir et de la solidarité ont approuvé Laurent. De plus, le fait que des volontaires d'ATD Quart Monde partent pour le Honduras encourage les jeunes à y croire et on se voyait déjà partis ! Le départ a eu lieu un an plus tard, après des mois de réflexion et d'action pour réunir l'argent nécessaire et nous préparer efficacement à la réussite d'une telle aventure.

Nous avons écrit au président de la République, aux présidents des conseils régional et général, au maire de Noisy-le-Grand. Ces premières lettres nous ont forcés à réfléchir au sens de notre projet : la connaissance de Tono, la présence du Mouvement ATD Quart Monde, l'attente de nos amis de Tegucigalpa, le souhait de construire une école, fidèle à notre souci de privilégier la lecture, le partage des savoirs. Jacques Chirac nous oriente vers le ministère des Affaires étrangères pour obtenir une subvention et il nous encourage à aller au bout de nos idées.

Des subventions, c'est bien mais insuffisant. Les jeunes prennent alors conscience qu'il faut être capables aussi de gagner de l'argent. Première idée : organiser un loto, donc faire des lettres pour expliquer notre projet, les distribuer aux commerçants et repasser quelques jours après pour ramasser des lots. Dans quelle salle ? Les jeunes comprennent vite l'intérêt de contacter la Maison Pour Tous du quartier. C'est le vrai début du projet qui ouvre le dialogue entre les jeunes de la cité et d'autres jeunes et adultes de la ville.

Chaque fois, il faut expliquer ce que l'on veut réussir. « On n'est pas la Croix-Rouge... on ne va pas porter des vêtements ou des médicaments. On est un groupe de jeunes qui vont rencontrer d'autres jeunes, partager avec eux et les aider à reconstruire une maison pour leurs familles » dit, par exemple, René.

Puis c'est un spectacle au grand théâtre de Noisy-le-Grand qui nous est proposé grâce au directeur de l'orchestre des jeunes du conservatoire de musique de la ville. Jeunes et enfants y participent activement.

A la FNAC de Vélizy, nous recueillons une importante partie du financement en faisant des paquets-cadeaux. Les clients, voyant les panneaux expliquant le projet, rajoutaient souvent une pièce, en disant : « C'est super de voir des gens qui bougent et qui pensent à de plus pauvres qu'eux. Bravo les jeunes… ». Les jeunes commençaient à y croire vraiment.

Un week-end à l'heure du Honduras

Parallèlement, les contacts se multiplient avec l'Amérique centrale, via le Guatemala, pays voisin du Honduras, où vivent des volontaires, notamment Jaime Perez, que nous connaissons car il a fait partie de l'équipe d'animation du centre international de Jeunesse Quart Monde, à Champeaux2. On regardait également souvent la situation géographique et économique du Honduras sur les sites Internet. Puis nous avons vécu un week-end à l'heure du Honduras, transformant notre maison de Champeaux en annexe de Nueva Suyapa.

Les candidats au voyage ont vécu l'ambiance d'un chantier, avec fondation d'un mur et scellement d'une porte, mangeant tortillas et frijoles et apprenant les rudiments de la langue de Cervantes. Puis Ana, une amie, est venue nous donner des cours d'espagnol à Noisy.

Quand ils en parlent à leurs parents et à leurs amis, les jeunes prennent conscience de l'importance du projet : « C'est loin le Honduras ? J'ai voulu le montrer sur une carte mais je n'ai pas trouvé‚ pourtant on avait regardé ensemble l'autre jour » « Et il faut faire des vaccins ? Et le passeport ? » « Quel avion on va prendre ? »

Coups de marteau sur les doigts...

Pour les jeunes, le plus dur est de partir. Envisager douze heures de vol et toutes les formalités administratives n'est pas une mince affaire. Premier test important, le passeport. Ce n'est pas facile de réunir tous les papiers, quand on est mineur et que ses parents sont séparés, ou que l'on est originaire du Sri Lanka et qu'il faut les visas des Etats-Unis et du Honduras sur le titre de voyage. Ce n'est pas évident d'avoir les 400 F indispensables quand on n'a pas toujours de quoi se payer une cigarette. Le 2 décembre 1999, dix jours avant le départ, tous les passeports étaient prêts.

Nous voilà partis. Pour quoi faire ? Jaime nous a expliqué qu'il ne sera pas possible de construire une école, parce que le chantier prévu est en retard : « Les familles proposent que vous aménagiez une maison pour leur permettre d'y habiter pendant qu'elles construiront leur nouveau quartier ». Aussitôt, les jeunes acquiescent : « On ne va pas là-bas pour faire ce qui nous plaît, on y va pour leur rendre service. C'est bien de faire cette maison, ce sera comme une maison Quart Monde ».

Et on l'a faite cette maison ! Les dix jeunes de Noisy-le-Grand et quatre volontaires, des familles et des jeunes de Nueva Suyapa et de Reparto, ont manié scies, marteaux, pioches et balais, aménageant une briqueterie en ruines afin d'offrir un toit, des lits superposés et des bancs aux futurs habitants de ce quartier de pionniers, à 20 km de la capitale. Cela n'a pas été sans mal, la plupart des jeunes étant peu préparés à de tels efforts quotidiens.

Tous les matins, réveil à 5h30, avant de se laver sommairement, de prendre le petit déjeuner à la manière hondurienne et de partir au chantier à 6h30. Le déplacement lui-même représentait toute une aventure. Il fallait une bonne heure à l'arrière d'un pick-up, avant d'arriver sur le chantier. Ce parcours initiatique nous apprenait les bruits de la ville, avec ses gros camions, ses petits commerçants ambulants, ses embouteillages et sa pollution.

Sur le chantier, nous avons particulièrement apprécié le fait de travailler dans de bonnes conditions, avec les jeunes de Nueva Suyapa et des familles des deux quartiers concernés par le projet. Quelle joie de voir les travaux progresser rapidement, quel bonheur de se sentir reconnus, estimés par des travailleurs expérimentés, louant notre dynamisme et notre efficacité. Les coups de marteau sur les doigts, les scies qui sautent toutes seules et les poussières dans l'œil sont alors bien peu de choses.

Grâce à un album pour nous présenter...

Nous avons beaucoup donné, mais nous avons reçu bien davantage : « Nous, on a aménagé une petite maison, mais eux, ils ont construit un grand bâtiment dans notre cœur" (Clinton et Marie-Claude).

Que retiennent les jeunes d'une telle expédition ?

D'abord que l'on peut aller au bout de ses idées : « Oui, ça nous montre que, quand on croit à quelque chose, il faut foncer et on peut y arriver » (Clinton).

Ce chantier au Honduras a été particulièrement formateur pour les jeunes parce qu'il a été bien préparé en France et aussi en Amérique centrale par Jaime, Tono, les familles et les jeunes de Nueva Suyapa. Cette préparation, étalée sur plus d'un an, a trouvé sa justification à de multiples reprises. L'élément le plus important est sans doute un aspect que l'on ne soupçonnait pas, mais qui a modifié le regard des Honduriens sur notre groupe, fournissant un décodeur à ceux qui nous accueillaient. Cet élément capital, c'est l'album que nous avions préparé et qui rendait compte (avec des photos et des textes en français et en espagnol) de tout ce que nous avions fait depuis novembre 1998 pour que ce voyage fut possible. Quelqu'un nous l'a dit, alors que nous étions reçus et fêtés par les familles à Reparto : « Au début, les gens ici vous considéraient comme des riches. Ils se disaient que ces jeunes Français étaient bien sympathiques mais qu'ils devaient être financés par l'ONU ou la Croix-Rouge, qu'ils n'avaient pas de problèmes d'argent. Quand ils ont vu votre album, quand ils ont réalisé tout ce que vous avez fait pour boucler le budget, ils ont été très touchés et ils ont insisté pour que l'on organise quelque chose pour vous remercier. Comme on avait reçu une dotation de draps de lits, on a eu l'idée de les vendre sur le marché et c'est avec la recette de cette vente que l'on a pu payer les repas et les petits cadeaux qui vous sont offerts aujourd'hui... »

Après cette déclaration, les jeunes ne s'étonnaient plus d'être traités de gringos, de riches par ceux qui ne nous connaissaient pas.

Ce qui nous a le plus impressionnés, c'est le courage des Honduriens : « Que ce soit dans leur quartier ou sur le chantier, ils ont plus de courage que nous » (Aurélie). « Toute la famille travaille, du bébé de 3 ans à la grand-mère » (Dinesha).

Ce courage, les promotrices de santé que nous avons rencontrées à l'école FANIA l'illustrent parfaitement. Leur premier combat a été de faire déplacer la décharge municipale qui était dans le quartier et qui était synonyme de tant de maladies.

Ce courage, c'est aussi la motivation supplémentaire qu'ils ont trouvée dans cette catastrophe, utilisant comme un slogan le nom donné par les météorologues au cyclone : MITCH = Mission pour Transformer le Cœur des Honduriens !

Autre exemple de leur courage et de leur solidarité : les familles travaillent à la construction des maisons sans savoir laquelle elles habiteront, puisqu'elles seront tirées au sort au dernier moment.

Les Noiséens ont aussi appris que l'on peut garder le moral malgré d'immenses problèmes : « Ils cachent bien leur misère. Tu les vois sortir d'un taudis « nickel », bien maquillées, les souliers cirés. Nous, dès qu'il y a un petit problème, on ne se maquille plus » (Noria).

Les jeunes ont aussi découvert des situations qui les ont choqués : « Quand ils achètent quelque chose, c'est à l'unité. Ils demandent un œuf, une cigarette, un fruit. Les enfants ne mangent parfois que du sucre (mais pas de bonbons) ». (Dinesha).

« Le plus dur, c'est de voir des enfants sans chaussures, ou avec des chaussures et des habits pas à leur taille » (Laurent).

« Voir tous ces enfants qui se détruisent à la colle et ne pas savoir quoi faire… » (Clinton). « L'hygiène, c'est difficile, y'a même pas d'eau courante » (Laurent).

Ce problème de l'eau a permis aux jeunes de progresser, en s'adaptant à des conditions de vie assez difficiles : « On éclatait de joie quand l'eau arrivait (Céline). « On a même fait les you you comme pour un jour de mariage en Algérie » (Noria). « Maintenant, on va économiser l'eau ».(Céline et Dinesha).

« On revient moins bête. On s'est enrichi… » (Marie-Claude).

« Avant, on ne savait rien. Maintenant, on connaît un peu… » (Noria).

Ce regard aiguisé, cette capacité d'adaptation, ce sens de la relativité ont aidé les jeunes dans leur vie d'équipe : « On a réussi à rester tous ensemble, à vivre en équipe, et non en petits groupes. Et puis on arrive à s'exprimer, même quand on ne parle pas la même langue » (Céline). « Maintenant, on se connaît mieux entre nous » (Marie-Claude et Céline).

Devenus partenaires d'un grand projet...

Les jeunes de Noisy-le-Grand ont participé avec les jeunes de Cuarto Mundo au « Festival del saber » (Festival du savoir), animant avec eux des bibliotecas de calle (bibliothèques de rue). Quelle découverte ! Clinton résume bien l'impression ressentie par les jeunes Noiséens : « Quand on est arrivé dans la cité d'urgence, il y avait beaucoup d'enfants. J'ai pris un livre, je me suis assis et je me suis mis à lire une histoire aux deux enfants qui étaient à côté de moi. Je ne comprenais pas ce que je lisais mais je faisais bien attention de prononcer correctement chaque mot. Au bout de quelques minutes, j'ai levé les yeux. Il y avait cinquante gamins autour de moi ! Ils sont attentifs, ils sont plus gentils que chez nous. Ils sont tellement contents que l'on vienne, qu'on apporte des livres et qu'on raconte de belles histoires, qu'ils ne veulent pas faire quelque chose qui arrête ces moments, c'est magique ».

Cette situation, Clinton et les jeunes de Noisy l'ont vécue dans des quartiers différents de Tegucigalpa, dans des cités d'urgence où s'entassent des centaines de familles, mais aussi au bord du Rio, où ne survivent que quelques familles très pauvres, dans le plus grand dénuement.

Rentrés à Noisy, les jeunes ont découvert les conséquences de la bourrasque qui a traversé l'Europe, le 26 décembre (avec les arbres déracinés et les toitures arrachées), mais aussi d'autres formes de tempête qui envahissent leur cité, avec des voitures incendiées, des bagarres, des enfants placés, des familles qui souffrent tant des conséquences de l'alcool...

En quoi un tel voyage peut-il désormais changer leur vie ?

Que veulent-ils faire maintenant ?

« D'abord, on veut rester en contact avec nos amis du Honduras. Il faut poursuivre cette amitié avec les jeunes et les familles qui nous ont accueillis » (Aurélie).

« Ensuite, ce que l'on a appris ici, il faut le faire en France. Ce que l'on a découvert, comme la force de ce courage, de cette détermination pour vaincre les obstacles, il faut s'en servir aussi chez nous » (Etienne).

« Il faut que, eux aussi, ils aient la possibilité de faire quelque chose chez nous » (Vanessa).

Enfin les jeunes sont décidés à établir un parrainage, un partenariat, avec FANIA, l'école où nous avons été accueillis, mais aussi plus largement l'appellation d'un vaste projet de développement, de programme nutritionnel, d'éducation des plus pauvres de Nueva Suyapa. Grâce à Tono et aux promotrices de santé, les jeunes ont dépassé leur désir d'aider « tel enfant si mignon » ou « telle famille si sympathique » pour désirer poursuivre, dans la durée, une action de promotion de l'ensemble du projet FANIA (avec FA comme FAmilias, NI comme NInos, A comme Adelantados, ce qui signifie Familles et enfants mis en avant, au plus haut).

1 Ces Clubs du savoir et de la solidarité, créés et animés par ATD Quart Monde, ouvrent des espaces où les jeunes de tous milieux peuvent se découvrir
2 Situé dans la région parisienne
1 Ces Clubs du savoir et de la solidarité, créés et animés par ATD Quart Monde, ouvrent des espaces où les jeunes de tous milieux peuvent se découvrir et bâtir des projets communs.
2 Situé dans la région parisienne

François Phliponeau

François Phliponeau a découvert ATD Quart Monde et la nécessité de lutter contre la pauvreté grâce à la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre 1993. Il était alors journaliste à Marseille. Devenu allié de ce Mouvement, il s'engage dans l'animation des bibliothèques de rue, avant d'en devenir volontaire en 1997.

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