«A cause de l’amour qu’on a des enfants...»

Maguette Ndour

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Maguette Ndour, « «A cause de l’amour qu’on a des enfants...» », Revue Quart Monde [En ligne], 174 | 2000/2, mis en ligne le 05 décembre 2000, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2165

Sans la volonté des citoyens et l'engagement des personnes, les objectifs d’une éducation pour tous n’atteignent pas vraiment les plus pauvres. Le cheminement de Maguette Ndour en témoigne. Il rappelle aussi que de nombreux jeunes musulmans, en Afrique comme dans d'autres continents, sont animés d'un esprit de service civique et acteurs du propre développement de leur communauté. Ils réussiront à cause de leur détermination et des soutiens, humains et matériels, qu'on saura leur apporter.

Index de mots-clés

Ecole, Education, Enseignement, Enfance

Index géographique

Sénégal

Nous sommes prêts à nous sacrifier pour donner savoir et éducation aux enfants afin qu'ils puissent devenir des adultes responsables, aptes à sortir leur communauté de la misère ».

Pikine a été créée en 1958 pour décongestionner la ville de Dakar, victime d’une urbanisation rapide et d’un fort exode rural. La population de l'agglomération s’élève à 2 500 000 habitants, avec une densité de 32 258 habitants/km². Elle est essentiellement jeune : 58% ont moins de 20 ans. Le taux moyen de fécondité est élevé et se situe aux environs de 6 enfants/femme. Beaucoup de ces enfants sont issus de familles démunies, pauvres, vivant dans un environnement précaire, exposées à de multiples problèmes sociaux, économiques, culturels et éducatifs.

La ville de Pikine compte 46 établissements scolaires mais la plupart des jeunes abandonnent le cycle primaire avant les examens d’entrée au secondaire. Les jeunes ont peu d’espace pour s’épanouir du fait du surpeuplement. Mais avec la politique de décentralisation initiée par le gouvernement et les autorités, la population essaie de participer au processus de développement de la ville.

L'histoire de mon engagement.

J’ai fait mes premiers pas avec le mouvement national des pionniers du Sénégal en participant à des chantiers de jeunes (reboisement, réfection d’une école, activités socio-éducatives, camps de formation d’animateurs...). Ensuite, je me suis engagée à la Croix-Rouge, avec une formation sanctionnée par un diplôme de secouriste et une participation pendant presque une année à des activités dans différentes écoles de la banlieue.

Puis j’ai adhéré au club Yaakaar, un club d’enfants dirigé par des animateurs bénévoles et assidus, parce que les enfants m’intéressaient de plus en plus. J'en suis devenue membre actif et j’ai participé à l’une de leurs colonies au Daara de Malika (école coranique à 20 km de Pikine). Ce fut une expérience enrichissante. Deux années plus tard, une ONG me coopta pour suivre une formation de relais communautaire "I.E.C." (informer - éduquer - communiquer). Le travail consistait à choisir un thème relatif aux maladies sexuellement transmissibles et au sida et à être capable d'en parler à la population. J’ai donc été affectée avec d’autres dans les zones les plus pauvres (à Pikine, Gounas, Guédiawaye). Mes premières séances furent dures. J’avais le trac bien qu’étant formée aux techniques de communication. Mais, après plusieurs séances, tout se passa bien. Je me sentais en fusion avec ces jeunes, ces femmes, ces vieux qui parfois étaient dans l’ignorance. Avec notre démarche, malgré les tabous et la religion, on arrivait toujours à une conclusion positive. Mais ce travail ne dura que deux ans. Devais-je attendre que l’ONG nous informe à nouveau qu’elle voulait encore des relais ? Non. Je devais agir, surtout que je ne suis pas du genre à rester les bras croisés. Alors, pendant plus de deux mois, je me suis mise à chercher du travail et à participer à des activités socio-éducatives dans le centre départemental de la jeunesse (j’étais membre du conseil départemental de la jeunesse de Pikine et de divers mouvements de jeunesse).

Un jour, un ancien ami connu au club Yaakaar, stagiaire à ATD Quart Monde, vint m’informer qu’il y avait un projet d’action communautaire avec de jeunes suisses dans un village, Dindifelo, situé à 790 km de Dakar. Ce fut pour moi une découverte : des activités socio-éducatives qui me plaisaient (animation avec les enfants, veillées villageoises, rencontres), la construction d’un foyer de jeunes dont pourraient bénéficier tous les villages environnants, l’aménagement d’une cascade, l’aide à la culture pour les plus nécessiteux du village. La réalisation de la première tranche du programme ne fut pas facile (problèmes d’adaptation au milieu, maladies, incompréhension qui régnait parfois). La deuxième année, il s'agissait d'assurer le suivi de cette réalisation avec un groupe sénégalais et un autre groupe suisse. Nous devions ensemble faire des activités avec les enfants de Dindifelo et achever la construction du foyer. Après trois semaines, nous sommes partis vers la Gambie, participer à la réfection d’une école, rencontrer les jeunes de YAA (Youth Association for Advancement) pour un partenariat, montrer aussi aux enfants gambiens d’autres méthodes d’encadrement. Puis il fut décidé d’enchaîner à Pikine, dans un patronage avec un autre groupe de JSF-Suisse (Jeunesse sans Frontière).

A la fin de ce projet, nous voulions le plus rapidement possible trouver un local pour une bibliothèque communautaire. Mais cette recherche prit beaucoup de temps. On n’arrivait pas à obtenir ce local. Nous avions surtout des livres de littérature française alors que, vu le milieu, il fallait des œuvres de littérature africaine. Et restait aussi à trouver un bibliothécaire... Bref, il fallait encore attendre.

L'ouverture d'une garderie.

Le projet d’ouverture d’une garderie a été alors proposé aux membres du centre d’animation socio-éducative, après une étude de terrain. Nous sommes allés voir toutes les familles du quartier pour les informer qu’on allait ouvrir une garderie durant le mois de novembre 1998 ouvertes à tous les enfants âgés de 2 à 6 ans. A l’issue d’une réunion, on me proposa d’être la responsable de la garderie, du fait de ma formation de monitrice préscolaire dans une institution maternelle publique. Je devais travailler avec deux autres monitrices.

Nous avons pris tout le mois d’octobre pour préparer le programme pédagogique et éducatif. Je n’avais pas assez de bagage. Tous les jours, j’allais voir mes amis engagés dans le préscolaire pour travailler avec eux sur le programme de la zone. C'était un quartier où les parents sont obligés d’aller travailler très tôt le matin, pour assurer la survie de la famille et l’éducation des enfants et de rentrer très tard le soir, après une dure journée de labeur.

La garderie Keur Xaleyi répondait donc aux besoins des enfants et des parents : surveillance, éducation, savoir. Les tarifs d’inscriptions et les mensualités étaient abordables. Bien sûr, certains parents et des collègues d'autres garderies qui s’étaient implantées en même temps que nous, nous disaient que nos tarifs mensuels étaient très faibles. Mais nous sommes restés sur notre décision parce que notre slogan était : « Une éducation préscolaire pour tous les enfants de la zone de Pikine Darou ».

Il nous fallait innover, et non pas seulement faire chanter et danser comme dans la plupart des garderies. Nous avions préparé notre programme pédagogique annuel qu’on réévaluait tous les trimestres. La première année, il nous a fallu insister sur le langage et pendant deux mois, sur les bonnes attitudes et les bonnes manières. Nous voulions que les enfants puissent capter cela et y pensent avant de parler et d’agir. Mais des fois, c’était dur. Les enfants s’insultaient en pleine classe, disaient des choses vulgaires probablement entendues des adultes. Il fallait alors revenir au langage, en parler aux parents, leur faire comprendre qu’ils doivent faire attention aux enfants et soutenir notre action : éduquer de la manière la plus douce, discuter avec les enfants d'un thème, leur demander de faire un sketch, élire le plus sage de la classe, imiter les monitrices... Malgré tout, les enfants ont fait des progrès.

Pourtant, nous manquions de moyens. Les enfants s’asseyaient sur des nattes et nous n’avions pas assez de matériel pédagogique : un tableau récupéré chez moi, des jouets offerts par des membres de JSF, le peu de matériel didactique acheté juste à la rentrée avec l’argent des inscriptions... Mais, malgré ces difficultés, nous avons tenu le coup. Une aide est venue à notre secours en février à travers ATD Quart Monde qui soutenait la scolarisation d’une vingtaine d’enfants dont les parents n’arrivaient pas à payer la mensualité. Ce projet fut accueilli joyeusement par les parents : cette garderie répondait exactement à leurs besoins et ils en étaient reconnaissants. Lors de l’arbre de Noël, ils préparèrent un goûter et achetèrent eux-mêmes des cadeaux pour leurs enfants. Certains d’entre eux ont d’ailleurs avoué qu’ils n’avaient jamais reçu ni donné de cadeaux de leur vie  et dit leur émotion. D’autres fêtes furent organisées, par exemple pour le Mardi gras, en jumelage avec une garderie de la zone nommée Espoir...

A la fin de l’année, j'ai visité les parents des enfants qui étaient en grande section pour les avertir qu’ils devaient les inscrire à l’école II, située non loin de la zone où est implantée la garderie. Nous en avions discuté avec le directeur : cela faciliterait leur entrée en primaire.

En même temps, nous avons fait une petite évaluation avec les parents. A leurs yeux, les enfants avaient beaucoup changé : habitudes, langage, religion. Ils faisaient même la prière le matin avant de venir à l’école, acceptaient de partager leur nourriture avec d’autres, récitaient tout ce qu’ils avaient appris à la garderie et répétaient toujours les recommandations des monitrices sur les bonnes habitudes et les bonnes manières... En guise de suggestion, les parents nous demandèrent d’insister sur l’éducation religieuse.

Le travail n’est pas facile

Au mois de juillet, une partie du groupe de Jeunesse sans Frontière fut invité en Suisse pour participer à une colonie de vacances organisée par JSF-Suisse et sa branche romande. Ce fut pour moi une nouvelle expérience. Il y avait là beaucoup d'enfants réfugiés. Au début, il a été difficile de nous comprendre mais nous avons pu contacter les parents. Puis nous avons participé à une Semaine de l'avenir partagé (1. Dans les lieux défavorisés, autour des enfants, temps de rencontre et de partage des savoirs les plus divers entre parents et personnes de tous âges et milieux) à Neuchâtel, dans un quartier où il y avait beaucoup d'Africains ; nous y avons lu des contes de chez nous. Après être restés à l'écart la première journée, les parents ont ensuite participé activement. Là, je découvris ce que sont le développement et la pauvreté dans les pays dits développés, ainsi que d’autres méthodes éducatives et d’encadrement dans les colonies de vacances et dans ce quartier de Neuchâtel.

Au retour de ce voyage, nous avons entamé la préparation de la nouvelle année. A vrai dire, le travail de monitrice dans une association n’est pas du tout facile. Il faut parfois faire du bénévolat pendant un ou deux mois pour faire fonctionner la garderie et mettre à jour les finances. A cause de l’amour qu’on a des enfants, qui ont soif de savoir malgré le manque de moyens de leurs parents, nous, nous sommes prêtes à nous sacrifier pour donner savoir et éducation à ces enfants afin qu’ils puissent devenir plus tard des adultes responsables qui soient prêts à sortir leur communauté de la misère ou de la pauvreté.

Le peu de parcours que j’ai eu à faire dans les mouvements associatifs et les ONG me permet d’oser dire que l’Afrique devra changer pour entrer dans ce troisième millénaire et être respectée. Jeunes d’Afrique et d’ailleurs, riches ou pauvres, dans les milieux où sévissent la misère et la pauvreté, travaillons, prenons de la peine. La réussite est au bout de l’effort. Mon cœur est avec tous ceux qui vivent dans la misère, la pauvreté. Un jour, on vaincra la misère.

Maguette Ndour

Maguette Ndour a 26 ans. Sénégalaise, elle est monitrice et responsable de la garderie Keur Xaleyi à Pikine

CC BY-NC-ND