La stratégie de Lisbonne

Maria João Rodrigues

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Maria João Rodrigues, « La stratégie de Lisbonne », Revue Quart Monde [En ligne], 181 | 2002/1, mis en ligne le 05 août 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2286

Le Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, a défini et mis en œuvre la stratégie européenne pour l’économie fondée sur la connaissance. Son histoire mérite d’être racontée.

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Union européenne

Comment actualiser la stratégie européenne de développement pour répondre aux nouveaux défis qui découlent de la mondialisation, du changement technologique et du vieillissement des populations, tout en préservant les valeurs européennes, et en particulier le modèle social européen ?

La réponse à cette question de départ posée par la présidence portugaise a exigé un vaste chantier intellectuel et politique : la révision de l’agenda politique et des principaux documents de politique communautaire à la lumière des derniers développements des sciences sociales, tâche qui a compté sur la coopération d’intellectuels de grande renommée. Il s’agissait d’identifier les innovations institutionnelles qui pouvaient modifier le mode de régulation des sociétés européennes et leur ouvrir une nouvelle trajectoire de développement.

Cette réponse devait être balisée par quelques idées clé :

- L’économie a toujours été fondée sur la connaissance. Ce qui est radicalement nouveau, c’est que, du fait des technologies de l’information, la production, l’accumulation et la diffusion de la connaissance sont en train de s’accélérer de façon exponentielle.

- Pour profiter du potentiel de ce nouveau paradigme et éviter des risques de fracture sociale, il faut innover du point de vue des institutions.

- L’innovation institutionnelle dans les Etats membres doit intérioriser le niveau d’intégration atteint grâce au marché unique et à la monnaie unique. Les réformes institutionnelles doivent avoir un certain niveau de coordination européenne tout en respectant des spécificités nationales. Il est nécessaire de construire un système de gouvernance à plusieurs niveaux qui puissent interagir.

Conduire le changement politique

Il était cependant nécessaire de traduire ces idées clé en décision et action politiques. Le déroulement de la présidence portugaise dans son ensemble a été projeté dans ce sens. Il a tiré parti de deux Conseils européens, quatorze conseils de ministres, sept conférences ministérielles, des sessions du Parlement européen et d’un forum de haut niveau réunissant les principaux acteurs européens et nationaux.

S’agissant de définir une stratégie globale, le rôle central revenait au Conseil européen lui-même. Sa réunion devait être extraordinaire, tenue suffisamment tôt pour encadrer les futurs conseils de ministres, mais suffisamment tard pour permettre la vaste action de persuasion et de création de consensus qu’il fallait entreprendre. Cette action est partie d’un ensemble de paris ambitieux. La Présidence a assumé le risque de les proposer formellement. Cela s’est traduit en de multiples contacts au sein de toutes les instances communautaires et auprès des gouvernements. Un débat public a également permis de recueillir des contributions très diverses de la société civile, de tous les gouvernements et de toutes les instances communautaires.

Les décisions du sommet de Lisbonne ont fixé des objectifs, des calendriers et des méthodes plus précis, définissant des mandats pour tous les conseils de ministres concernés. Tel fut le ressort qui permit de présenter lors du Conseil européen de Feira un ensemble de résultats concrets qui ont déjà commencé à être transposés au niveau national, et qui ont continué à être développés au cours des présidences française, suédoise et belge.

En outre, le sommet a introduit des innovations pour la qualité et l’efficacité de la gouvernance européenne. En même temps qu’il renforçait le rôle de coordination stratégique du Conseil européen, il a défini une méthode ouverte de coordination entre Etats membres dans les domaines où il est nécessaire de gagner une dimension européenne :  société de l’information, recherche et développement, politique d’entreprise, éducation et lutte contre l’exclusion sociale.

La concrétisation effective d’une stratégie requiert un moteur politique :  un centre européen de gouvernance capable de coordonner les différentes politiques et de les adapter au niveau national. Ce rôle de coordination a été confié au Conseil européen qui consacrera dorénavant sa réunion du printemps à l’évaluation de la stratégie arrêtée à Lisbonne.

La méthode ouverte de coordination permet de combiner une plus grande cohérence dans le respect de la diversité des initiatives nationales. Elle n’entend pas se substituer à la méthode communautaire, mais au contraire devenir complémentaire de celle-ci dans les domaines politiques où elle ne peut pas être utilisée. Partant de la définition de lignes directrices européennes pour une politique donnée, elle prévoit l’identification de bonnes pratiques et d’indicateurs de référence, et se traduit dans des plans nationaux avec des objectifs et des mesures concrètes adaptées à chaque cas national. Il s’agit d’organiser un large processus d’innovation, d’apprentissage et d’émulation entre Etats européens, dans lequel la Commission européenne devra jouer un nouveau rôle catalyseur.

Les plans nationaux pour l’inclusion

La lutte contre l’exclusion sociale est devenue le champ d’application par excellence - un véritable laboratoire - de la méthode ouverte de coordination.

Le Conseil européen de Lisbonne a jugé inacceptable le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté dans l’Union. Il a identifié une opportunité de réduire l’exclusion en tirant parti des possibilités ouvertes par la société de la connaissance, mais aussi un risque d’accroissement du fossé entre ceux qui ont accès à ces nouvelles connaissances et ceux qui en sont exclus.

La stratégie européenne pour l’emploi peut donner une contribution essentielle à la promotion de l’inclusion sociale. Ainsi, le Conseil européen a invité les Etats membres à s’engager à porter le taux d'emploi à un niveau aussi proche que possible de 7% d'ici à 2010, à faire en sorte que la proportion de femmes actives dépasse 60% à cette date, à fixer des objectifs nationaux pour un taux d'emploi accru.

L’emploi est sans aucun doute un élément incontournable dans la promotion de la cohésion sociale dans nos sociétés. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement sont allés plus loin, en définissant également des objectifs communs concrets en termes d’inclusion sociale et de lutte contre la pauvreté. Les plans nationaux pour l’inclusion, et la nouvelle méthode ouverte de coordination, sont les instruments privilégiés de cette lutte.

Le Conseil européen a donc invité la Commission à préparer une initiative dans le domaine de l’inclusion sociale afin de mettre en place une méthode ouverte de coordination entre les Etats membres.

À Nice, outre l’adoption de l’agenda social européen, les objectifs de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ont été approuvés et les Etats membres invités à présenter leurs plans nationaux d’action en juin 2001. Le Conseil a défini les objectifs appropriés de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale en octobre 2000 et adopté la décision du Parlement européen et du Conseil qui établit un programme communautaire d’action pour la coopération entre Etats membres en matière de lutte contre l’exclusion sociale.

En juin 2001, tous les Etats membres ont présenté leurs plans nationaux d’action pour l’inclusion pour la période 2001-2003. Ils se sont ainsi engagés à respecter les objectifs quantitatifs et les délais fixés au niveau communautaire. Une évaluation régulière permettra d’apprécier les progrès accomplis. Ses indicateurs communs, soumis au Conseil européen de Laeken en décembre 2001, permettront aux Etats membres de développer leurs propres politiques et à tous les acteurs impliqués d’échanger des bonnes pratiques et de revoir les résultats de leurs politiques de façon comparable et transparente.

Ainsi, le sommet de Lisbonne, en définissant un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir, a permis d’aboutir à un consensus en matière d’équilibre entre d’une part, l’affirmation de l’Europe dans l’économie mondialisée et d’autre part, l’emploi et la cohésion sociale.

Malgré le scepticisme de bon nombre d’analystes, l’Europe sociale est une réalité en plein développement. Les plans nationaux d’action pour l’inclusion sont bien la preuve visible qu’il est possible d’obtenir un consensus même dans un domaine où le niveau national a la primauté sur le niveau européen et de continuer ainsi à mieux affirmer un modèle social européen respectueux des diversités nationales.

Tout ceci a été possible grâce à l’engagement d’un « petit » Etat membre qui a su transmettre au niveau européen les défis que son propre gouvernement s’était fixés. Il n’est pas utopique de construire une société fondée sur la connaissance, à la fois plus compétitive et soucieuse de la préservation de la cohésion sociale.

Maria João Rodrigues

Conseiller spécial auprès du Premier ministre, Maria Joâo Rodrigues a été responsable de la préparation du Conseil européen de Lisbonne dans le cadre de la Ligne d’action « Emploi, réformes économiques et cohésion sociale, pour une Europe de l’innovation et de la connaissance. »

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