Professions et pauvreté : le défi de la formation

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « Professions et pauvreté : le défi de la formation », Revue Quart Monde [En ligne], 182 | 2002/2, mis en ligne le 05 novembre 2002, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2319

De nombreux professionnels confrontés à des situations de grande pauvreté sont souvent mis en échec dans leur approche de ces réalités. Leurs prestations et leurs interventions en direction de ceux qui les vivent ne produisent pas toujours les effets escomptés, quand bien même elles s’inscrivent dans le droit fil des enseignements reçus, des dispositions législatives et institutionnelles, voire des plans d’action mis en œuvre avec le concours d’autres partenaires.

De leurs côtés, de nombreuses personnes en situation difficile demeurent insatisfaites des relations avec ces professionnels. Elles ont souvent le sentiment de n’être pas comprises dans leurs attentes, voire même pas respectées.

Comment sortir de ce dilemme ?

A vrai dire, on s’en doute, il n’est pas nouveau !

Mais depuis quelques années, ici ou là, dans les milieux associatifs comme chez certains professionnels ou responsables institutionnels, se fait jour une volonté de rompre avec ce fatalisme qui laisserait penser que, si on peut améliorer les relations avec les « usagers » ou les « clients » - beaucoup d’institutions s’y emploient - il demeurerait une frange irréductible, une population difficile à atteindre, voire allergique à toute démarche participative.

Ceux qui ont acquis un capital de base forgé par une insertion sociale préalable seraient-ils les seuls à pouvoir jouer le jeu des comportements sociaux attendus par ceux qui assurent une fonction de régulation et d’accès aux droits (agents des services de l’Etat et des collectivités locales, bailleurs, éducateurs, enseignants, entrepreneurs, formateurs, magistrats, personnels de santé, policiers, travailleurs sociaux)…et donc à pouvoir en tirer profit ?

La pérennité de cette forme d’exclusion passive (sorte de « péché d’omission » civique) est de plus en plus jugée indigne. Innover en ce domaine est bien à l’ordre du jour.

D’ailleurs les tentatives ne manquent pas, individuelles ou associatives, informelles ou formelles, pour expérimenter de nouvelles manières de procéder. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celles-ci sont très diverses, dans leur méthodologie comme dans leurs résultats.

Peut-être ont-elles cependant un dénominateur commun ?

Ne traduisent-elles pas, de la part de ceux et celles qui les mettent en œuvre, un triple refus : ne pas prendre son parti de l’échec, ne pas agir sans concertation avec les personnes concernées, ne pas s’enfermer dans une relation d’aide ?

Et ne manifestent-elles pas la poursuite des mêmes objectifs : soutenir l’appartenance à un groupe de pairs, renouer des liens de dialogue avec des partenaires, atteindre une connaissance partagée des situations vécues, une compréhension commune des priorités, une détermination solidaire pour les faire réussir ?

A partir de ce fond commun, les expérimentations divergent en raison de la compétence plus ou moins appropriée des protagonistes, de la profondeur et de la durée de leur engagement, des moyens humains et matériels qu’ils ont pu mobiliser, des soutiens institutionnels sur lesquels ils peuvent compter. Si certains en sont seulement à des essais, d’autres ont su mettre en œuvre des démarches innovantes. Quelques-unes d’entre elles ont atteint le stade d’une validation telle qu’elles sont en mesure de constituer des références pour d’autres.

Le lecteur départagera aisément entre ces diverses expérimentations et ne manquera pas de s’interroger sur les leçons qu’il peut en tirer.

Un aspect mérite ici d’être souligné.

Une des causes du handicap des professionnels pour œuvrer efficacement dans la lutte contre la grande pauvreté et l’exclusion sociale, c’est qu’ils l’abordent tels qu’ils ont été façonnés eux-mêmes par leur histoire personnelle (le plus souvent étrangère au monde de la misère) et par le cursus de leur formation scolaire et universitaire.

Or les écoles, fussent-elles grandes, et les universités transmettent rarement un savoir éprouvé sur la grande pauvreté et encore moins le savoir acquis par les très pauvres eux-mêmes. Comment dès lors les professionnels ainsi formés pourraient-ils réussir à « coopérer » avec ces derniers, même avec la meilleure volonté du monde ?

C’est justement là que le bât blesse !

Rares sont ceux qui imaginent que les plus pauvres ont quelque chose à leur apprendre sur la pratique de leur métier.

L’horizon actuel de la lutte contre la pauvreté est peut-être celui qui est ouvert par cette nouvelle étape à franchir : une co-formation où, moyennant un certain nombre de conditions et d’exigences, des personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté, soutenues par une association, des professionnels et des futurs professionnels, tous volontaires, auraient le courage de prendre le temps (et le risque ?) de quitter leurs sécurités habituelles pour aller croiser leurs savoirs et leurs pratiques.

Reconstruire une réciprocité citoyenne en pratiquant une formation mutuelle pour relever ensemble le défi de l’exclusion, voilà un chemin apte à préparer une société plus démocratique fondée sur les droits de l’homme.

Daniel Fayard

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