Le 17 octobre, un pacte pour l’avenir

Jean Tonglet

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Jean Tonglet, « Le 17 octobre, un pacte pour l’avenir », Revue Quart Monde [En ligne], 183 | 2002/3, mis en ligne le 05 février 2003, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2403

Il y aura dix ans au mois de décembre prochain, l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies adoptait une résolution proclamant le 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Cette initiative prolongeait et officialisait une journée, célébrée chaque année depuis le 17 octobre 1987, à l’initiative du père Joseph Wresinski. Des milliers de personnes et de groupes de par le monde, entendaient affirmer à cette occasion leur refus du caractère inéluctable et fatal de la misère ; leur refus de s’y résigner ; leur volonté d’honorer ceux qui subissent la misère jusqu’à en mourir et celles et ceux qui se battent jour après jour pour la faire reculer ; leur détermination à rassembler l’humanité pour combattre ce fléau. Parmi les très nombreuses journées internationales qui rythment le calendrier des Nations unies, la Journée mondiale du refus de la misère est ainsi une des seules, sinon la seule, à être née et à avoir été célébrée, d’abord, dans les lieux de misère et par les populations les plus concernées. « Cette journée est notre journée », nous disent-elles avec force, non sans ajouter avec parfois de l’appréhension qu’elle doit le rester.

Pour éviter les récupérations et les détournements toujours possibles - l’Histoire est remplie d’épisodes où une victoire obtenue par le peuple, au prix de sa vie parfois, lui a été volée par la suite - revenir au sens, à la signification profonde de la journée du 17 octobre, est un impératif absolu. Le père Joseph Wresinski le laissait affleurer dès 1972 en évoquant sa hantise que disparaissent, sans laisser aucune trace, les lieux où les plus pauvres avaient tant souffert. Joseph Cardijn, père fondateur de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ne disait pas autre chose au pied du puits de Marcinelle (Belgique) où trois cents mineurs avaient laissé leur vie. Jean Moreno, habitant la cité Bassens à Marseille, évoque, lui, le combat des habitants de ce quartier pour que justice soit rendue aux enfants « victimes de l’incompréhension de la société », ayant payé de leur vie l’absence d’un mur de séparation entre la cité et la voie de chemin de fer Paris-Marseille. Pino Pissicchio, député italien, partage son désarroi devant la provocation que représente le suicide, dans le sud de l’Italie, en avril 2002, d’un jeune adolescent qui ne supportait plus la pauvreté de sa famille. Sans aucun doute « cherchait-il en vain un avenir dans ce monde insens », comme ces jeunes évoqués le 17 octobre 1987 dans les Strophes à la gloire du Quart Monde de tous les temps.

Une telle journée, et au-delà de la journée, l’esprit de résistance qu’elle incarne, l’indignation qu’elle doit réveiller en nous lorsque nous nous accoutumons à l’inacceptable, s’inscrit dans une histoire. C’est ce que nous montre Michèle Grenot en évoquant la figure de Dufourny de Villiers, qui voulut, à la Révolution française, que le quart état, le quatrième ordre, soit lui aussi, lui d’abord, entendu et pris en considération. Et en cette année Victor Hugo, il était bon de relire, le discours sur la destruction de la misère de l’auteur des Misérables à l’Assemblée constituante.

Huguette Redegeld, fut au cœur de l’action qui conduisit à la reconnaissance officielle de la Journée par les Nations unies. Elle nous introduit dans cette histoire, du 17 octobre 1992 au 22 décembre de la même année. La résolution de l’assemblée générale des Nations unies et d’autres textes de référence offrent aux lecteurs désireux d’interpeller leur entourage quelques outils qu’ils complèteront utilement en poursuivant leurs recherches sur les sites internet recensés.

Depuis 1987, et avec un élan supplémentaire depuis 1992, la Journée et son message n’ont cessé de se diffuser dans le monde. Des marches silencieuses organisées au Québec dont nous parlent Yvette Bélanger et Guy Demers aux initiatives multiples des membres du Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde, la célébration de ce rendez-vous annuel du refus de la misère prend des formes diverses. Elle s’adapte aux situations et aux cultures, s’enrichissant du génie de chaque peuple. Il en est ainsi également de la Dalle à l’honneur des victimes de la misère, ce texte fondateur de la Journée, qu’évoque à sa manière Jean-Claude Caillaux. Il en va de même des répliques de cette Dalle, qui des Nations unies à New York au village de Manéga au Burkina Faso, du Parlement européen au Rizal Park de Manille, prennent chaque fois un sens particulier.

Loin d’être un monument du passé, cette Dalle est le signe d’un combat à poursuivre : contre la violence, l’ignorance et la faim. Le combat d’André et Pierrette, dont Christian Berry se fait le témoin. Celui de Marie Ganier-Raymond et des militants du FIAN, un réseau mondial de défense d’un droit fondamental, le droit de se nourrir, qui, comme nous l’a montré le récent sommet mondial de l’Alimentation, est loin d’être assuré aujourd’hui. Celui de Maria Joseph Mahalingam et des « intouchables » de l’Inde, engagés dans une longue marche vers l’égale dignité.

Il n’y a pas de fatalité de la misère, il n’y a pas de fatalité de la faim, il n’y a pas de fatalité de la résignation. Il nous faut résister.

Jean Tonglet

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