Contre la faim, violation des droits de l’homme

Marie Ganier-Raymond

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Marie Ganier-Raymond, « Contre la faim, violation des droits de l’homme », Revue Quart Monde [En ligne], 183 | 2002/3, mis en ligne le 05 février 2003, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2416

Que valent les droits fondamentaux si leur effectivité n’est pas continuellement recherchée par tous et progressivement assurée pour chacun ? C’est par l’engagement de la société civile et tout particulièrement des organisations non gouvernementales que cette effectivité peut progresser.

On produit actuellement au moins trois mille deux cents calories par jour et par être humain vivant. Pourtant, on compte environ plus de huit cents millions de personnes souffrant encore quotidiennement de la faim et de la malnutrition, dont une trentaine de millions dans les pays les plus riches du globe. Il arrive même qu’une partie importante de la population n’accède pas à une nourriture suffisante dans un pays qui accumule des devises en exportant les produits de son agriculture. Le premier constat qui s’impose est donc que la faim dans le monde n’est pas une fatalité.

On entend encore trop souvent dire que la faim et la malnutrition sont dues à une mauvaise distribution de la nourriture au sein d’un même pays ou d’une même région. Cette explication n’est pas pertinente : pratiquement partout dans le monde, les familles et les communautés privées actuellement d’accès à la nourriture, pourraient être en mesure de se nourrir si leurs droits fondamentaux n’étaient pas violés.

Le droit à se nourrir quotidiennement violé

En milieu rural, des millions de paysans sans terres doivent vivre dans la misère aux abords de grandes propriétés agricoles laissées en friches alors qu’ils pourraient aisément les cultiver. Des petits exploitants se voient expulsés de leurs terres du jour au lendemain par l’Etat ou des entreprises privées, sans dédommagement financier ni terre de remplacement. Des terres traditionnelles de communautés indigènes sont détruites par des intérêts économiques. Les ressources de communautés côtières et de pêcheurs artisanaux sont pillées par les flottes de pêcherie internationales. Des terrains de populations rurales sont anéantis par l’exploitation souterraine de minerais.

En milieu urbain, les violations majeures du droit à se nourrir sont intimement liées au travail salarié. En effet, le non-respect du salaire minimum, voire des conditions de travail proches de l’esclavage, y sont des causes fréquentes de faim et de malnutrition.

Ajoutons que, partout dans le monde, en milieu rural comme en milieu urbain, les femmes sont plus souvent encore touchées que les hommes.

Dans ces situations évoquées, non exhaustives, tous les groupes vulnérables qui les vivent seraient en mesure de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille si seulement on leur en laissait la possibilité. Comme ces groupes, dans la plupart des cas, ne sont pas en mesure de se faire entendre des autorités politiques de leur pays ou même auprès de la communauté internationale, FIAN s’est fait leur porte-parole auprès des Etats, qui sont responsables des violations du droit à se nourrir.

Les piliers de l’engagement

C’est au vu de ces violations auxquelles aucun remède n’était apporté que FIAN s’est créé. Son but est d’arriver un jour à la mise en place effective du droit à se nourrir :

Par l’information. Dans bien des cas, les groupes et les communautés auxquels FIAN s’adresse entendent pour la première fois parler de leurs droits. Ce faisant, le combat des groupes les plus démunis est renforcé. FIAN informe aussi le grand public. Ce travail de sensibilisation est particulièrement nécessaire pour faire comprendre qu’il s’agit bien d’une question de droits de l’être humain et non de simples revendications effrontées. Quand les Etats présentent aux Nations unies les progrès faits chez eux dans la mise en place des droits économiques, sociaux et culturels, FIAN peut, grâce à son statut d’observateur, fournir des informations sur des cas concrets de violation qui seront utiles au comité des Nations unies dans son dialogue avec le pays qui fait l’objet d’un examen.

Par l’action. Quand des violations du droit à se nourrir ont lieu, et si les victimes ou leur groupe de soutien en font la demande expresse, FIAN lance une action internationale de protestation demandant aux autorités gouvernementales de prendre les mesures nécessaires pour rétablir le droit des victimes. Selon ses estimations, ces interventions ont un impact positif dans plus de la moitié des cas, même si parfois il faut s’investir longtemps pour obtenir l’amélioration espérée.

Par des campagnes. Certaines violations du droit à se nourrir sont de nature plus structurelle, aussi FIAN et ses partenaires s’investissent conjointement pour en venir à bout. La campagne actuelle demande la mise en place effective d’une réforme agraire là où des milliers de familles paysannes pourraient vivre décemment si elles avaient accès à la ressource productive que constitue la terre.

Par le lobby. Un dernier pilier des activités de FIAN consiste à faire avancer la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels et plus spécifiquement du droit à se nourrir. Ainsi, FIAN s’investit pour que ces droits soient dotés des mêmes mécanismes que le sont les droits civils et politiques. Il propose son expertise, que ce soit dans le cadre de la clarification juridique du droit à se nourrir ou quand il s’agit de démontrer que ce droit doit être pris en considération par des organisations internationales telles que l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture (FAO). Dans le cadre d’organisations intergouvernementales telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou la Banque mondiale, FIAN s’efforce de prouver l’importance d’une reconnaissance des droits économiques pour que leurs programmes parviennent à éradiquer la pauvreté.

Le soutien aux plus vulnérables

Après une quinzaine d’années, FIAN a réussi qu’un grand nombre de communautés qui faisaient face à des violations de leurs droits recouvrent ces derniers. En divers pays, le gouvernement est à l’écoute de ses revendications. Ceci donne une grande force à ceux qui s’engagent au niveau local pour leurs droits. En outre, les activités de FIAN ont permis d’entrer en dialogue critique avec certains gouvernements et avec certaines organisations intergouvernementales telles que la Banque mondiale : la présentation de cas concrets de violation, résultant de leurs politiques, démontre le besoin d’améliorer ces programmes. Certains organes des Nations unies font actuellement appel à l’expertise de FIAN quant à l’avancement du droit à se nourrir : ce fait prouve qu’une organisation qui se veut tournée vers les groupes vulnérables peut atteindre les sphères du droit international.

Réforme agraire et code de conduite

Deux exemples d’action parmi d’autres : une campagne globale pour la réforme agraire et un code de conduite pour le droit à une nourriture adéquate.

En 1997, FIAN et le mouvement mondial d’organisations paysannes, Via Campesina, ont lancé conjointement cette campagne. Elle a pour but de rappeler aux dirigeants de certains pays qu’en mettant en place une réforme agraire, ils répondraient à leur obligation de garantir le droit à se nourrir à tous les paysans sans terre de leur pays. Cette campagne montre aussi à la Banque mondiale que son modèle d’accès à la terre par l’achat et la vente dérégulée, comme alternative forcée aux pays endettés, n’aboutit qu’à une augmentation de l’exclusion parmi les populations déjà les plus vulnérables. Depuis le début de la campagne, on assiste à une grande sensibilisation autour de ce thème auprès des ONG et surtout à une meilleure compréhension de l’accès aux ressources productives comme une revendication au titre des droits de l’être humain. Dans les pays affectés par un manque de réforme agraire, l’écho international qui émane de la campagne stimule les organisations locales dans leur combat quotidien et renforce les rangs de ceux qui les soutiennent.

Lors du sommet mondial de l’Alimentation de 1996, force fut de constater que près d’un milliard de personnes souffrent quotidiennement de la faim. Au vu de cette injustice persistante, des ONG se sont concertées pour lancer l’initiative d’un code de conduite sur le droit à une alimentation adéquate : il s’agit de préciser le contenu normatif de ce droit et d’aboutir à une mise en place effective du droit à se nourrir en rappelant toutes les obligations qu’ont les Etats, les organisations internationales, les organisations intergouvernementales, les acteurs du secteur privé ainsi que ceux de la société civile. L’ébauche de ce code de conduite a reçu un très grand nombre d’adhésions de la part d’ONG de pays du Nord comme du Sud. Cette large approbation a tout d’abord servi à légitimer cette initiative. Elle s’est ensuite manifestée par la reprise d’articles du code de conduite dans des directives d’organisations d’aide au développement. En 1998, l’observation générale des Nations unies sur le droit à une alimentation adéquate (General Comment n°12) a été publiée. Elle contient de larges parties issues de ce code de conduite. Le travail de FIAN pour la clarification du droit à se nourrir a même été souligné par le haut-commissaire aux Droits de l’homme, Mary Robinson, dans l’une de ses communications.

Ce travail doit en premier lieu permettre à ceux qui au quotidien souffrent de la faim et de la malnutrition, d’avoir un accès direct aux moyens de se nourrir et de se faire entendre quand ce droit n’est pas respecté. Par son approche à plusieurs niveaux, partant des victimes elles-mêmes, soutenues dans leur lutte journalière quand elles le demandent, et en allant jusqu´aux plus hautes instances internationales, FIAN montre que cette combinaison offre des chances de réaliser des droits de l’être humain, ici comme ailleurs.

  • Le droit de se nourrir

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation... » (Article 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 1948).

« Les Etats parties (au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur en 1976), reconnaissant le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets... » (article 11).

  • Le droit à la terre

Plus de sept mille personnes de Puerto Casado sont actuellement menacées d'être expulsées des terres sur lesquelles elles ont toujours vécu. Depuis des générations, les habitants travaillaient pour une entreprise de tannin. Après un siècle d'existence elle a fermé définitivement ses portes en 1996. Bien avant cette fermeture, l'entreprise avait commencé à parcelliser et à vendre son immense domaine. Les travailleurs avaient commencé à se battre pour avoir le droit de posséder et de cultiver la terre. Le 11 novembre 2000, la population fut informée sans préavis que les quatre cent mille hectares de l'entreprise, y compris les cultures et le bétail, avaient été vendus à une entreprise appartenant à la secte Moon. Aussitôt, les habitants ont porté plainte auprès du Sénat et demandé l'expropriation en leur faveur de quelques cent cinquante mille hectares.

Le FIAN voit dans cette insécurité d'accès à la terre et ces menaces d'expulsion un risque de violations des droits, plus spécifiquement du droit à se nourrir. Or, le Paraguay a adhéré au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il est donc obligé de protéger le droit à se nourrir des habitants de Puero Casado. Dans le cas présent, il s'agit de garantir la sécurité d'accès à la terre de sorte que les familles puissent y demeurer à :long terme. Elles pourraient y développer des activités agricoles qui leur permettraient de vivre dignement.

En rappelant ces données dans une lettre type, le FIAN a lancé une campagne de signatures (mai à juillet 2002) destinée au président du Sénat, avec copie au président de la République et au comité de l'Eglise paraguayenne.

1 FIAN International secretariat : http:www.fian.org
1 FIAN International secretariat : http:www.fian.org

Marie Ganier-Raymond

Marie Ganier-Raymond est directrice de l’information à FIAN international (Food First Information and Action Network1, organisation non gouvernementale pour le droit à se nourrir créée en 1986 et dont le siège est en Allemagne.

CC BY-NC-ND