«Nous faisons connaître nos engagements»

Forum du refus de la misère

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Forum du refus de la misère, « «Nous faisons connaître nos engagements» », Revue Quart Monde [Online], 183 | 2002/3, Online since 05 February 2003, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2430

Le « Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde », est un réseau de personnes agissant contre la misère et l’exclusion, seules ou au sein de petites associations. Depuis 1988, ses membres s’associent, selon leur mode et leur propre culture, à la célébration de la Journée du 17 octobre. Grâce à leur dynamisme, cette Journée avait donc déjà pris racine dans les zones les plus reculées, avant sa reconnaissance par les Nations unies. Voici des exemples d’engagement, à travers quelques extraits de « La lettre aux amis du monde », bulletin de liaison de ce Forum.

Algérie

Chaque année, autour du 17 octobre, je fais tout mon possible pour sensibiliser un grand nombre de libraires afin que des centaines d’élèves, qui risquent de quitter les bancs d’école, puissent continuer leurs études grâce à leur soutien. Cette année, cela a été plus difficile, car la vie est encore plus dure. Ce que nous avons gagné, c’est de pouvoir rencontrer la plus haute personnalité de notre ville et de lui expliquer que c’est possible que des gens aisés se rapprochent et soient sensibilisés à la vie des familles démunies. (Djamel A.)

Angola

Nous avons célébré cette Journée avec des enfants qui, pour vivre, vendent de l’essence dans des bouteilles. Nous avons réfléchi ensemble sur l’avenir des enfants en Angola après la guerre. Ce sont des enfants qui se demandent : « Est-ce que nous sommes aussi des enfants de ce monde ? » (André Justino F.)

Burkina Faso

Pour lutter contre la pauvreté, il faut être exigeant envers soi-même, et dire la vérité. Personnellement, je lutte d’abord contre moi-même, afin de ne pas tomber dans la mendicité. J’ai beaucoup prié pour que mon épouse cesse de mendier. A présent, elle passe de famille en famille pour demander à faire la lessive. Nous avons fait de l’éducation de nos enfants une priorité. Chacun veille à tout point de vue à cela car nos enfants sont nos pieds et nos mains.

Je fais de la mécanique « deux roues » pour avoir notre subsistance, afin que les enfants ne restent pas affamés et pour éviter de mendier pour les nourrir. Mendier est honteux. Mais il y a des personnes qui n’ont pas le choix. Comme nous vivons dans la maison d’autrui et compte tenu de notre situation de pauvres, les gens nous manquent de respect. Mais nous, nous leur expliquons simplement notre situation. Nous acceptons les conseils. C’est une façon aussi de nous libérer de cette charge morale au lieu de la comprimer dans nos cœurs. Il y a des situations où le pauvre doit pouvoir sauvegarder sa dignité.

Nous avons formé un groupe qui se propose d’inviter des enfants handicapés et d’autres vivant dans la rue pour tenter de leur apprendre ce que nous savons faire, notamment le tissage, afin de les aider à se prendre en charge pour l’avenir.

En ce qui concerne les handicapés, nous prenons contact avec leurs parents en vue de leur expliquer le but de notre action. Ainsi, nous lisons parfois la joie des parents de voir que leurs enfants, qui restaient à la maison sans activité, vont enfin pouvoir sortir et apprendre à faire quelque chose d’utile à leur survie.

Quant aux enfants venant de la rue, nous usons parfois de ruse pour les approcher parce qu’ils sont méfiants. Par exemple, nous les invitons à nous aider à tendre les fils de tissage. Chaque fois que nous nous retrouvons ensemble, ils nous disent que ce qui les préoccupe c’est d’avoir de l’argent et que cela tarde à venir. Nous leur avons toujours fait comprendre que c’est à partir d’idées, de conseils, du soutien moral qu’on peut réaliser quelque chose pour avoir de l’argent. Tout ce que nous faisons, nous le faisons par humanisme, parce que nous avons, nous aussi, des enfants.

Dans la « Cour aux cent métier »1, nous nous réunissons régulièrement. Lors de ces rencontres, chacun est considéré sur un même pied d’égalité, sans distinction de race ou de religion. Autour de thèmes variés, c’est l’occasion d’exposer ses problèmes et/ou de témoigner de quelque chose, de recueillir des idées qui se révèlent comme « remèdes » pouvant améliorer nos conditions de vie.

Ces rencontres ne sont pas l’affaire des pauvres uniquement. Toute personne peut avoir des problèmes dont la solution ne nécessite pas une intervention pécuniaire. Certains membres de nos familles sont des aveugles. Mais être aveugle n’est pas être mentalement handicapé et ils disent des choses importantes. C’est pourquoi nous invitons tout le monde à prendre part à nos rencontres les 17 de chaque mois à la « Cour ». (Jean-Marie D.)

Pérou

Un groupe d’enfants de Andahuaylas s’est réuni pour dessiner un grand cœur avec, à l’intérieur, d’autres petits cœurs et au centre ils ont écrit un message de solidarité pour les enfants d’Aiquile en Bolivie. En mai 1998, ces enfants boliviens ont subi un tremblement de terre dans lequel beaucoup de familles ont disparu et plusieurs enfants sont devenus orphelins. Pour la Journée mondiale du refus de la misère, avec la délégation de Bolivie, des artistes et le représentant de l’UNESCO, nous avons rendu visite à un camp de réfugiés où plus de quatre-vingt-dix familles vivent avec leurs enfants dans des conditions très précaires. Nous avons réalisé ensemble deux grandes peintures dans lesquelles les enfants pouvaient exprimer leur vie et leurs aspirations. Face à cela, tous se sont sensibilisés en faisant un travail en commun. Nous savons que nous avons réussi à semer un peu de joie et d’espoir dans le cœur de ces enfants afin de rebâtir leur famille et leur peuple. (Alejandro G.)

Sri Lanka

Cette année, pour la première fois, le sens du 17 octobre a été présenté aux familles d’un bidonville, à Colombo. Une invitation a été envoyée à chacune d’elles sous la forme d’une feuille de bétel, un symbole de bienvenue, de tolérance et de respect pour les aînés. Ce geste de reconnaissance de chaque famille leur a permis de se sentir importantes et prises en compte.

Environ cent cinquante personnes se sont réunies autour de la réplique de la Dalle dessinée sur une affiche, avec le texte écrit en cingalais et en tamil. La cérémonie a débuté avec l’allumage de la traditionnelle lampe à huile par une maman et un enfant. Une brève présentation a été donnée du père Joseph et du Mouvement ATD Quart Monde. Un des enfants a lu le texte gravé sur la pierre, qui fut aussi expliqué. Deux minutes de silence ont été observées pour se remémorer et prier pour les plus pauvres, et aussi pour les victimes de la guerre dans différentes parties du monde. Tous se tenaient debout en silence, la tête inclinée. La solennité du moment était impressionnante.

Deux participants ont donné un témoignage de leur vie, dont une mère de 85 ans : « Je ne suis pas allée à l’école. A l’âge de 10 ans, j’ai perdu mes parents. Je devais alors commencer à travailler. La vie était dure. J'étais seule. Je me suis mariée à 20 ans, j’ai travaillé comme manœuvre dans les champs. J’ai élevé huit enfants et je les ai donnés en mariage. Je travaille encore maintenant pour les aider à élever leurs enfants. Je suis heureuse de pouvoir encore travailler. »

La cérémonie, qui a duré environ deux heures, s’est terminée par une danse et un chant de paix, de joie et de liberté. La lecture du texte de la Dalle a été une prise de conscience, pour les participants, de leur dignité et de leurs droits en tant qu’êtres humains. Ils étaient heureux que le père Joseph ait établi une journée dans l’année pour réunir les gens afin de se souvenir de la lutte des très pauvres dans le monde entier. (Joséphine P.)

Togo

Nous avons célébré cette Journée par une émission radiophonique à Lomé sur le thème : « La pauvreté : les pauvres s’engagent », visant à sensibiliser l’opinion publique dans son ensemble au phénomène de la pauvreté. Au cours de l’émission, des auditeurs sont intervenus pour participer au débat. L’association « Ensemble contre la pauvreté » avait réclamé, à l’occasion, que l’éducation de base soit obligatoire et gratuite, et avait appelé l’opinion à plus de solidarité envers les pauvres.(Sylvestre K.Z.)

Uruguay

Pendant cinq mois, vingt personnes ont préparé un événement culturel pour célébrer la Journée mondiale du refus de la misère. Nous avons invité toutes les institutions publiques et privées de la région. Chacune avait reçu une cassette avec la musique de « La chanson de l’amitié » pour que le jour du 17 octobre, tous puissent chanter ensemble.

Le jour même, quatorze chorales de différents lieux avec cent cinquante chanteurs ont participé à la célébration dans le Club de la ville, devant une audience de plus de six cents personnes. Les membres de notre groupe ont représenté « le refus de la misère » par une expression corporelle, de la musique et de la danse. Debout, les gens les applaudissaient. C’était un moment émouvant et plein de gaieté.

Le matin du 17 octobre, j’avais été invitée à un congrès sur « L’économie et l’entreprise ». L’un des forums sur le thème « La marginalité et l’entreprise » a eu lieu dans le cadre de la Journée mondiale du refus de la misère. (Célia P.)

1 Cf La cour aux cent métiers, Michel Aussédat, éd. Quart Monde, 1996
1 Cf La cour aux cent métiers, Michel Aussédat, éd. Quart Monde, 1996

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