Le croisement des savoirs fait redécouvrir l'université

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Le croisement des savoirs fait redécouvrir l'université », Revue Quart Monde [En ligne], 170 | 1999/2, mis en ligne le 01 décembre 1999, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2613

« Ce qui me fait peur, c'est quand les universitaires se taisent ! » confiait un militant Quart Monde participant au programme Quart Monde-Université. Ils ne se sont pas tus. Au-delà de remarques méthodologiques sur le déroulement de ce programme, les suites à donner à cette démarche furent au cœur du débat en séance plénière. Voici quelques extraits d'interventions. (Extrait d’un débat)

Ceasar McDowell : cocréer la connaissance

J'enseigne à l'université MIT. J'aurais envie de dire au Mouvement ATD Quart Monde : soyez prudents lorsque vous envisagez d'aller au large. Aujourd'hui j'ai beaucoup entendu cette phrase que plusieurs ont citée, que je ne connaissais pas, qui recommande d'aller au large. Dans mon pays, il y a un dicton, issu du mouvement des droits civiques, qui dit : « Jette ton seau là où tu es », car l'endroit où l'on est présente toujours une telle profondeur de défis qu'on n'est pas obligé d'aller la chercher au large. Et je vous inviterais à réfléchir, non pas à la question d'étendre, mais plutôt à celle d'approfondir ce qui se passe. La question de la réplication du projet s'adresse à chacun de vous. A l'université, comment vais-je m'apprendre à parler de ce projet avec mes collègues et à les y impliquer ? Comment allons-nous nous apprendre à introduire les nombreuses sortes de militants dans ce projet ? Il Y a beaucoup d'activités que vous pouvez inventer autour de ce projet, l'essentiel étant que vous ne voulez pas dévier de la question la plus fondamentale : il s'agit de la cocréation de la connaissance. Et si votre but est de cocréer le monde avec d'autres, alors il s'agira toujours de mettre le temps qu'il faut pour bâtir ces relations profondes, ce qui signifie que cela n'avancera pas vite. Cela avance lentement et c'est ce que vous avez fait. Je voudrais vous encourager : continuez sans cesse de travailler aussi longtemps et aussi lentement qu'il faut et ceux d'entre nous qui y puisons de l'inspiration vous rejoindront, et c'est ainsi que cela s'étendra. Vous n'êtes pas obligés d'aller au devant de nous : nous vous trouverons. (Professeur associé, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, Etats-Unis)

Jona Rosenfeld : la difficulté d'être partenaires

Comment peut-on aider les trois groupes de participants à ne pas être ce qu'ils ont tendance à être ? C'est l'une des difficultés principales que je remarque. Je sais bien qu'il est très difficile aux universitaires dont je suis d'être des élèves. Ils sont formés à être des maîtres. Le changement nécessaire pour passer à l'attitude de l'élève représente un parcours ardu. Je suis parfois inquiet à l'idée que la tendance à être des maîtres ne prenne le pas et que des publics divers soient plus disposés à être des élèves plutôt que des partenaires dans le processus de l'apprentissage.

Par rapport aux familles dans la misère, la question reste posée : comment s'assurer qu'à cause du respect que l'on ressent face à leur apport, on ne se laisse pas subjuguer par ce qu'elles disent ? Il faut que le dialogue avec elles se poursuive. D'une part, elles ne sont pas seulement des maîtres ; d'autre part, elles ne sont pas seulement des élèves. Il y un tiraillement entre l'enseignement et l'apprentissage.

Et enfin, par rapport aux volontaires du Mouvement A ID Quart Monde qui ont été les instigateurs de cette tentative, il s'agit de savoir s'ils auront le courage et parfois, l'impertinence, de porter plus loin cet engagement et d'en devenir vraiment les meneurs. J'espère qu'il y aura une possibilité de continuer à apprendre de sorte que d'autres, ailleurs dans le monde, puissent aussi apprendre. (Conseiller scientifique du JDC Brookdale Institute, Jérusalem, Israël).

Christian Scribot : pour pouvoir communiquer

Si l'on pense qu'on peut amasser des capitaux, on oublie l'être humain et bien souvent on oublie les plus faibles qui ont du mal à s'adapter par rapport à la vie économique. n y a une valeur importante à se dire : qu'est-ce qu'on fait de celui qu'on a oublié en route, qu'est-ce qu'on fait pour qu'il puisse comprendre dans quel monde il se situe ? Et qu'a-t-on fait pour tout détruire autour de lui ? Est-ce qu'on est responsable, et à quel niveau ? Je pense à toutes les institutions qu'on a créées pour vivre ensemble et on est toujours en train de cataloguer. Le respect de l'être humain me paraît essentiel pour pouvoir communiquer. (Militant Quart Monde, Lille, France).

René Barbier : nourrir le désir de recherche

Quelque chose sera réellement changé si dans cette université, la Sorbonne, le semestre prochain il y a un enseignement consacré à cette recherche. Tous les universitaires qui sont là peuvent, en fonction de leur degré d'autonomie, s'engager à transformer leur enseignement en partie au moins pour que cette recherche prenne sens et soit connue des universités. On peut aussi en discuter entre les différents groupes de recherche qui appartiennent, par exemple, au même département. Ou encore à travers des revues. Et puis dans des lieux plus médiatiques.

Mais l'idée-clé de cette recherche est d'en tirer l'alimentation d'un désir de recherche. Sans lui, il n'y a pas de recherche. Si ce désir est fondé sur cette méthodologie, cette nouvelle façon de connaître et d'être en relation avec différents acteurs de la recherche, on peut négocier. (Directeur du département sciences de /' éducation, université de Paris 8, France).

Fran Bennet : une adaptation à effectuer

Si nous voulons adapter cette expérience au Royaume-Uni, nous devrions effectuer cette adaptation dans le cadre de nos traditions. Par exemple, il y a une longue tradition d'histoire orale au sein des chaires universitaires d'histoire et ailleurs, au sein du mouvement ouvrier. Il y a aussi une longue histoire de formation d'adultes qui comporte une tradition de bien plus grande participation que la tradition de l'enseignement universitaire habituel. (Conseiller politique, OXFAM, Royaume-Uni-Etats-Unis questions de pauvreté, Oxford, Grande-Bretagne).

Jean-Maurice Verdier : libérer les savoirs

Il ne faut pas rêver, nous sommes dans des sociétés où les experts prennent de plus en plus d'importance. Il y a là un problème énorme qu'il faut aborder en sachant qu'existe tout un mouvement qui va constamment vers une technicisation croissante des formations. On est en train de transformer les activités de proximité en activités très techniques qui vont exiger une formation de plus en plus technique et on légitimera cela en disant que les bénéficiaires ont droit à l'intervention d'experts... Ce qui a été fait ici pourrait être transposé. Mais il faudrait former beaucoup de professionnels non seulement à connaître les situations de misère mais à savoir eux-mêmes libérer les savoirs. (Professeur émérite, président honoraire de l'université Paris 10, France).

Joseph Wronka : faire entendre la voix des pauvres

Je pense qu'à cause de l'augmentation la globalisation de l'économie mondiale, la mauvaise répartition de la richesse à travers le monde empire n est tout à fait essentiel que cette expérience trouve des partisans et que nous introduisions les points de vue des pauvres dans nos débats sur la politique. Je proposerais d'ajouter un quatrième groupe à ce triumvirat : celui des décideurs de la politique gouvernementale. Je voudrais dépasser cela et parler des décideurs de la politique internationale. Sur le plan global, il est des organisations qui ne représentent à mes yeux qu'une farce, fonctionnant fondamentalement au profit d'élites et de bénéfices. Il en est de même pour la plupart des accords bilatéraux qui se négocient sans tenir compte de la voix des pauvres. J'ignore quels accords bilatéraux vous avez en Europe mais, aux Etats-Unis, nous venons d'adopter, par exemple, un Traité de commerce libre avec l'Afrique [« Africa Free Trade Act »], sans qu'aucun représentant africain de ces nombreux pays pauvres n'ait été représenté lorsque ce texte fut approuvé. Je crois qu'il nous incombe de dire au monde que les points de vue des pauvres sont importants et que nous devons dépasser les limites de nos propres frontières pour questionner ces organisations internationales qui n'introduisent pas en leur sein les vues des plus pauvres. (Professeur associé de travail social, Springfield College, Etats-Unis)

Bruno Tardieu : obligé de ne plus tricher

L'université est toujours frustrée de ne pas être suivie par les politiques. On est sans cesse en train de chercher une plénitude de tour de table. Quand on va voir des institutions, elles nous renvoient à des experts en disant : un tel a déclaré... On peut toujours renvoyer la balle à l'autre. Quand les partenaires, y compris les plus défavorisés, acceptent de travailler ensemble, on est obligé de ne plus tricher et les choses avancent vraiment. Choisir des institutions qui ont des valeurs nous semblant universelles pour les faire grandir, avancer plus loin, c'est certainement un savoir qui vient de l'action. (Volontaire d'ATD Quart Monde, chargé de cours au Massachusetts lnstitute of Technology, Boston, Etats-Unis).

Maurice Errera : savoir ce que font les autres

N'importe quel professeur peut introduire dans son cours une participation ponctuelle d'un représentant d'un organisme ou de quelqu'un venant directement du tiers monde, du quart monde... etc. Il faut aussi savoir ce que font les autres universités, on l'ignore faute de communication. Si l'on veut changer les choses, il faut impliquer les jeunes. Il faut charger les étudiants d'informer les communautés universitaires sur ce que l'on fait en ce qui concerne le développement du monde et du quart monde en particulier, c'est une démarche essentielle. Actuellement, on juge les étudiants sur des critères académiques. Il y a aussi les critères humains. Si l'on arrivait à valoriser les caractères humains des étudiants, on arriverait peut-être à changer quelque chose. On n'arrivera pas à changer l'université intelligemment sans la participation des jeunes (Professeur émérite, biophysique et radiologie, Université libre de Bruxelles, Belgique).

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