Europe : des traitements inhumains et dégradants

Bernadette Robert

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Bernadette Robert, « Europe : des traitements inhumains et dégradants », Revue Quart Monde [En ligne], 165 | 1998/1, mis en ligne le 01 octobre 1998, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2708

1998 est l’année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est l’occasion de relire cette Déclaration et de s’interroger sur le respect des droits et libertés reconnus à tous les êtres humains sans exception : « idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ».

Tous les citoyens sont solidairement responsables des violations, dans leur propre pays, de ces droits et libertés.

Ailleurs, là où sévissent la faim, l’ignorance, la violence, l’esclavage, l’apartheid, la misère, autrement dit là où la dignité de l’homme est en jeu, ils « doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » (article 1).

Les Européens, pour ce qui les concerne, ont du travail à entreprendre sur eux-mêmes pour assumer un héritage de honte (l’eugénisme), pour juguler des pratiques d’un autre âge (l’esclavage), pour mettre fin à l’exclusion des minorités (les Tsiganes), pour négocier autrement leurs rapports avec les demandeurs d’asile. Ces combats continuent à être d’actualité, comme en témoigne cette revue de presse. (Source : Conjoncture européenne, ATD Quart Monde, Pierrelaye, septembre-octobre 1997).

L'eugénisme : quelle repentance ?

L'eugénisme s'inspire des lois de Darwin, du darwinisme social de Spencer, des théories de Malthus et des lois de l'hérédité de Mendel. Cette idéologie, mise au point par des « experts » qui lui ont donné ses lettres de noblesse, dissimule des préjugés de classe, de race et de sexe. Dans l'entre-deux-guerres, elle connut une grande vogue dans le monde occidental ; elle influença les sciences humaines et le monde politique qui légiféra en s'en inspirant. Partout, les victimes de cette idéologie, les « inaptes », ont été principalement des femmes des catégories défavorisées, surtout si elles n'avaient pas la bonne couleur ou étaient handicapées. (Le Soir 30/09/97)

Finlande

Quelques 11.000 stérilisations forcées ont été pratiquées entre 1935 et 1970, selon le quotidien Helsingin Sanomat. Les autorités avaient reconnu 1.400 cas d'eugénisme au cours de la période, en précisant que la stérilisation forcée, autorisée par une loi de 1935, était possible pour les malades mentaux et les personnes « débiles ». Selon un chercheur de l'université de Tampere Markku Mattila, 4.000 femmes ayant demandé un avortement ont été stérilisées à leur insu dans le cadre de cette loi, abrogée en 1970. (Libération 1/09/97).

Suède

Quelques 430 jeunes atteints de déficiences mentales ont servi de « cobayes » entre 1946 et 1951 pour la réalisation d'expériences destinées à permettre aux enfants « sains » d'avoir de bonnes dents, selon le quotidien Dagens Nyheter du 22 septembre 1997. Le ministère des Affaires sociales avait choisi les patients d'un établissement du sud du pays pour étudier l'évolution des caries, en les forçant à consommer en grosse quantité du chocolat et des caramels. Ce projet, qui servit à une vaste campagne d'information contre les caries, fut lancé alors que la Suède pratiquait plusieurs milliers de stérilisations forcées par an, contre d'autres handicapés mentaux, mais aussi des marginaux, des adolescents ayant une mauvaise vue ou des femmes célibataires (au total 62.000 personnes entre 1935 et 1975). Les socio-démocrates souhaitaient ainsi bâtir une « société meilleure » et réduire les dépenses sociales. (Le Monde 25/09/97).

France

Selon Nicole Dietrich, chercheuse à l'INSERM et au CNRS, quelques 15.000 femmes vivant dans des établissements accueillant des handicapés mentaux auraient été stérilisées sous la contrainte. Ces stérilisations auraient été effectuées soit à la demande des familles de ces femmes, soit sur l'initiative de l'équipe médicale de l'établissement. S'il est difficile de situer avec précision l'ampleur et la fréquence de ce phénomène, sa réalité ne fait aucun doute. (Le Monde 11/09/97).

L'esclavage : un fait divers ?

Une jeune Malgache était corvéable à merci dans un appartement du septième arrondissement de Paris. Rentrée en France par l'intermédiaire d'un riche homme d'affaires indo-pakistanais de Madagascar, ne sachant ni lire ni écrire, ne parlant pas le français, ne pouvant pas se débrouiller toute seule dans la ville, Joséphine était incapable de s'enfuir. Depuis trois ans, elle travaillait dix-sept à dix-huit heures par jour sans salaire et n'avait droit qu'à deux heures de liberté le dimanche. (Le Figaro 27/9/97).

Une jeune Marocaine a subi le même sort en Essonne pendant plus de dix ans. (Le Parisien 4/10/97).

Une femme a vécu « recluse » pendant trente-six ans. Handicapée mentale légère et illettrée, elle était rentrée au service de Lucienne H. comme domestique : pour s'occuper du ménage de son pavillon de la banlieue d'Auxerre. Elle a été maltraitée par sa patronne. (La Croix 2/9/97).

L'exclusion des Tsiganes

Des Gitans de Slovaquie et d'Albanie arrivent à Douvres en Grande-Bretagne au rythme de trois à quatre familles par semaine. (The Gardian 21/10/97)

Déplacés et sédentarisés de force sous le régime communiste, les Tsiganes tchèques (environ 30.000 personnes) et slovaques (500.000) sont de plus en plus nombreux à chercher refuge à l'Ouest. Ils justifient leur demande d'asile par la discrimination et les violences racistes dont ils sont victimes. La discrimination s'appuie sur l'intolérance et la xénophobie d'une grande partie de la société. « On ne peut pas s'étonner que les Roms aient peur ; à la peur il n'y a que deux réponses : la violence ou la fuite » affirme Pavel Pekarek. « Les Roms n'ont pas seulement peur pour leur existence physique mais aussi pour l'avenir de leurs enfants »

Le fossé social se creuse entre eux et la population majoritaire qui a globalement profité de la chute du communisme... Sous-qualifiés, ils ont été licenciés massivement de l'industrie lourde et du bâtiment depuis 1991. Ils ne trouvent pas d'emploi car les patrons donnent la priorité aux non-Roms... Les enfants roms représentent 80 % des effectifs des « écoles spéciales ». (Le Monde 28/10/97).

Refoulés d'Angleterre, des Tsiganes attendent à Calais qu'on statue sur leur sort. Dans l'aventure qui les a fait fuir, ils ont tout perdu, leur argent et leurs illusions. Certains ont accepté de reprendre la route de la République tchèque mais d'autres refusent obstinément d'être rapatriés. La famille de Karaùor Szavoski a fui avec quatre enfants pour échapper aux persécutions. « Chez nous à Sokolov, des groupes de skinheads s'attaquent aux Tsiganes, la population est très hostile aux étrangers, nous ne trouvons plus de travail et nous sommes victimes d'agressions, nous n'osons même plus envoyer nos enfants à l'école car ils se font brutaliser ». « Mais maintenant ici, je n'ai plus rien, se désole Jaramir, et là-bas nous n'avons même plus de logement car notre appartement a été attribué à une autre famille ».

En attendant d'être fixée sur son sort, la famille de Jaramir vit de la charité publique. « La France les tolère mais sans leur donner le moindre moyen de subsistance » s'indigne Véronique Désencolles qui aide depuis quatre ans les migrants refoulés de Grande-Bretagne. (La Croix 28/10/97).

L'enfermement des demandeurs d'asile

J'avais connaissance de l'existence de ces centres où l'on « accueille » les étrangers demandeurs d'asile. La « surprise » a commencé dès notre arrivée à Steenokkerzeel : deux rangées de grillages de plusieurs mètres de hauteur, distantes d'environ un mètre et surmontées de fils de fer enroulés ; d'autres grillages entourent le bâtiment dont les vitres bleues ne nous permettent pas de voir. Les « résidents », eux, nous voient, se manifestent en criant leur détresse et en tambourinant sur les fenêtres. Ils ont fui la plupart du temps une situation dramatique et se retrouvent enfermés dès leur arrivée à l'aéroport sans comprendre pourquoi, sans avoir commis le moindre délit. Larmes de honte pour la Belgique ! Cette privation de liberté est contraire à la Convention des droits de l'homme et à la Convention des droits de l'enfant. (Le Ligueur 17/9/97).

La ratification prochaine des accords de Schengen par l'Autriche a des conséquences dramatiques sur la situation des demandeurs d'asile. Les capacités des maisons d'arrêt où sont détenues ces personnes sont insuffisantes. On assiste à des tentatives de suicide et à des automutilations. Les gardiens, débordés, se retrouvent face à des gens désespérés. (Luxemburger Wort 29/10/97).

Des conteneurs en forme de maison, pouvant abriter jusqu'à 150 immigrants illégaux en voie d'expulsion, seront construits à l'aéroport de Vienne, a annoncé le ministre de l'Intérieur Karl Schloegl. Ce centre doit contribuer à alléger les prisons autrichiennes. En 1996, 14.000 étrangers en situation illégale ont été emprisonnés. (Libération 29/9/97).

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