La Convention des droits de l'Enfant : un instrument au service de tous

Brigitte Muller

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Brigitte Muller, « La Convention des droits de l'Enfant : un instrument au service de tous », Revue Quart Monde [En ligne], 167 | 1998/3, mis en ligne le 05 janvier 1999, consulté le 23 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2786

Le récent changement de regard sur l'enfant a donné naissance à des textes définissant ses droits, souvent encore loin d'être respectés. L'application de ces textes relève des États et de la communauté internationale, mais aussi des simples citoyens et des enfants eux-mêmes...

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Droits de l'enfant

Les droits de l'Enfant appartiennent à la famille des droits de l'Homme qui sont eux-mêmes l'expression au niveau international et dans le domaine juridique d'une avancée de l'humanité vers plus de liberté, de justice, de fraternité et vers la paix.

Sans entrer dans les détails, il est important de connaître les diverses sources des droits de l'Homme et donc celles des droits de l'Enfant dans l'histoire de l'humanité, pour en sentir toute la dynamique. Sources philosophiques : ce sont les idées de l'homme sur l'Homme, ainsi que sa place dans la société qui seront peu à peu retranscrites en règles juridiques. Sources religieuses : la dignité humaine a toujours été affirmée par les grands courants religieux du monde dont beaucoup mettent en valeur la fraternité universelle, l'attention au plus petit, au plus faible. Sources « militantes » : les luttes et les engagements personnels ou collectifs qui, à travers les mouvements sociaux et les grands témoins, parsèment l'histoire et qui ont joué un rôle de ferment, de provocation permettant, souvent après du sang versé, que la société s'organise. Sources juridiques enfin : depuis le premier droit écrit qui fut un frein à l’arbitraire, en passant par le droit naturel des gens qui est, au-delà des lois d'un pays, un droit fondamental (Antigone) ; et bien sûr les textes anglais comme la Grande Charte, les Déclarations et Constitutions américaines des droits de l'Homme, la Déclaration française de 1789.

Le courant des droits de l'Homme : quelle histoire et quels enjeux ?

Dans toutes les civilisations, on trouve des étapes qui ont contribué à enrichir la construction de ce qui deviendra les droits de l'Homme, et partout cela peut être enseigné aux enfants. Cela introduit leurs gestes quotidiens, leur pensée dans quelque chose de plus grand. Il en est bien sûr de même pour les adultes.

Cette avancée connaît une étape fondamentale en 1948 avec la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, celle de leur universalité. Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, on sait ce qu'est la barbarie. Il n'est pas étonnant que le Préambule de la Déclaration rappelle que c'est le non respect des droits de l'Homme qui a conduit à la barbarie et précise que l'enjeu de ces droits, c'est aussi « un monde libéré de la terreur et de la misère ».

Comme toutes les Déclarations, celle-ci a une autorité politique puisque les Etats la signent et une autorité morale en raison des principes qu'elle affirme, mais non une autorité juridique puisqu'il n'est pas prévu dans les déclarations de modalité de contrôle ou de sanction... C'est pourquoi dix-huit ans plus tard, - ce qui signifie que cela a demandé encore beaucoup d'efforts pour se mettre d'accord - en 1966, les Pactes relatifs aux droits civils et politiques d'une part et aux droits économiques et sociaux d'autre part, seront signés. Ils prévoient des modalités de contrôle et des comités devant lesquels les Etats signataires rendent compte de ce qu'ils font pour réaliser ces droits. Ces deux textes forment la Charte des droits de l'Homme, textes de base qu'en la matière, aucun autre texte ne peut contredire. La Charte des droits de l'Enfant s'y référera donc.

En 1959, est adoptée la Déclaration des droits de l'Enfant qui donne un premier cadre de référence moral et politique dans ce domaine. C'est une profession de foi à partir de laquelle plus d'efforts pouvait être demandé aux Etats, vers une mise en œuvre.

En 1979, année internationale de l'Enfant, les organisations non-gouvernementales (ONG) font un état accablant de la situation des enfants dans le monde. On avait pensé que l'avancée de la mise en œuvre des droits de l'Homme contribuerait dans une grande mesure à améliorer la situation des enfants. Cela n'a pas été suffisant et la nécessité d'assurer une protection spéciale aux enfants, déjà énoncée dans les textes fondamentaux, devient évidente et urgente. Il faudra néanmoins dix ans à un groupe de travail pour surmonter des divergences, et élaborer la Charte des droits de l'Enfant, avec la contribution des ONG, dont ATD Quart Monde.

Le 20 novembre 1989, l'assemblée générale des Nations unies adopte la Charte des droits de l'Enfant. Fait exceptionnel, une soixantaine de pays en sont déjà signataires.

En 1990, le sommet mondial de l'Enfant réunit 70 chefs d'État ou de gouvernement et aboutit à une déclaration et surtout à un plan d'action. Les droits de l'Enfant sont mobilisateurs et entraînent peu après la création du comité, prévu par la Charte, pour interpeller les Etats sur leurs engagements et donner l'interprétation officielle de cette Charte. Il est composé de dix experts indépendants venant de différentes régions du monde et il se réunit plusieurs fois par an à Genève.

L'UNICEF a pris comme référence pour son action la Charte.

Ces textes internationaux font-ils changer les choses ?

L'enfant doit être maintenant considéré comme une personne à part entière. C'est la consécration d'un changement de regard sur lui.

N'oublions pas la manière dont l'enfant a longtemps été considéré. Exposition des enfants à Rome ; petite enfance ainsi définie au XVIlè siècle par un cardinal : « L'état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après la mort. » ; un « être en pointillé » jusqu'à ce qu'il sache marcher et parler. Autorité paternelle quasi absolue, etc.

Le développement des connaissances sur les capacités du bébé et de l'enfant ont permis de développer une autre attitude envers eux. Mais bien des adultes responsables restent influencés plus ou moins fortement par ce regard longtemps porté sur l'enfant et par les attitudes habituelles qui en ont découlé, en Europe comme ailleurs. L'enfant n'est pas un adulte en devenir mais une personne à part entière avec des besoins spécifiques et des droits correspondants.

Lorsqu'une personne est sujette de droits, elle n'est plus objet d'assistance ; l'attitude envers elle change. Se situer clairement au niveau des droits de l'homme permet d'engager les gens dans une relation d'égal à égal en dignité, y compris en ce qui concerne la relation adulte-enfant.

Tous les enfants ont les mêmes droits : ce principe implique que tant qu'il existe un enfant pour qui ces droits ne sont pas réalisés, l'Etat ou une instance internationale puisse être interpellé à ce sujet. Par exemple, l'Unicef ne peut plus se contenter du constat que 20 % des enfants ne sont souvent pas atteints par ses programmes mais doit tout mettre en œuvre pour ne laisser aucun enfant à l'écart, maintenant que son mandat officiel est placé sous la réalisation des droits de l'Enfant.

La Convention des droits de l'Enfant a l'avantage de ne pas opérer de séparation entre les différents droits, comme le font les Pactes. Cela ouvre la porte à la mise en œuvre de politiques globales, notamment quant aux politiques familiales.

Les Etats peuvent être interpellés à partir des engagements qu'ils ont pris en signant la Convention. En certains pays, celle-ci fait directement partie du droit applicable, c'est-à-dire qu'on peut aller en justice en évoquant le non-respect de ce texte. D'autres Etats vont être amenés à élaborer une législation nouvelle pour être en accord avec la Convention.

Chaque citoyen, regroupé ou non en association ou ONG, doit être attentif à la construction juridique nationale des droits de l'Enfant et de ceux de l'Homme, et à leur respect concret, sans aucune exclusion.

La Convention des droits de l'Enfant et ses points. d'appui

Dans la lecture de la Convention, comme de tous les textes fondamentaux, on ne doit pas oublier de lire le Préambule qui donne la direction, le sens dans lequel les articles de la Convention doivent être interprétés.

Deux remarques. D'une part, il comporte deux alinéas sur l'importance du rôle de la famille « unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants » ; d'autre part, il offre un alinéa (introduit grâce à la demande d'ATD Quart Monde relayée par la délégation de l'Italie) reconnaissant « qu'il y a dans tous les pays du monde des enfants qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles, et qu'il est nécessaire d'accorder à ces enfants une attention particulière ».

Avec cet alinéa, les enfants vivant dans l'extrême pauvreté ne devaient plus être oubliés des projets ni de leur évaluation. En effet, à l'époque de la rédaction de la Convention, le lien entre l'extrême pauvreté et les droits de l'Homme n'était pas encore admis aux Nations unies, comme il l'est maintenant à la suite de l'étude « Droit de l'homme et extrême pauvreté » demandée en 1987 par le père Wresinski et réalisée de 1990 à 1996. L'origine de cet alinéa, actuellement méconnue, est à rendre aux familles du Quart Monde et permet de veiller a ce que les enfants très pauvres soient effectivement atteints par la mise en œuvre des droits énoncés dans la Convention.

Le principe de non-discrimination et la lutte contre l'exclusion figurent l'un et l'autre à l'article 2.

Les États-parties s'engagent à respecter les droits et à les garantir à tout enfant relevant de sa juridiction sans aucune distinction.

Ce principe fondamental des droits de l'Homme est un moyen de lutte contre l'exclusion. Le Comité des droits de l'Enfant s'en est souvent servi pour se préoccuper de la situation des enfants les plus pauvres : une taxe pour entrer à l'école, ou la non-gratuité du matériel scolaire, n'entraîne-t-elle pas l'exclusion des enfants les plus pauvres ? De même pour le coût des papiers d'identité, ou encore les délais trop courts pour les démarches, l'éloignement, le manque d'information qui pénaliseraient les très pauvres, etc.

Dans le texte de la Convention, malgré ce que beaucoup de gens en ont dit, la famille n'est ni affaiblie, ni diminuée dans ses droits et responsabilités envers ses enfants. Bien au contraire. Deux alinéas du Préambule affirment d'emblée l'importance du rôle de la famille. L'article 5, placé en-tête de la Convention, stipule : « Les Etats-parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu'ont les parents ou le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté comme prévu par la coutume locale... » En outre, une lecture attentive de la Convention montre comment ce souci de la famille apparaît tout au long de la rédaction du texte et finit donc par renforcer encore le rôle des parents dans l'éducation des enfants. Ainsi, l'article 18 reconnaît aux « deux parents... une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement. La responsabilité d'élever l'enfant et d'assurer son développement incombe en premier chef aux parents ».

Pour l'exercice de leurs droits et responsabilités à l'égard des enfants, les parents doivent pouvoir compter sur le soutien de l'État. Si selon l'article 27, les parents ont la responsabilité « dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers » d'assurer un niveau de vie suffisant, l'Etat doit apporter l'aide appropriée aux parents et « offrir en cas de besoin une assistance matérielle et des programmes d'appui... », lui aussi, dans la mesure de ses moyens (art. 18).

Le droit à la protection et l'assistance de la part de l'Etat est, en général, le seul droit véritablement reconnu à la famille, pour son rôle dans la réalisation des droits de l'Homme et de ceux de l'Enfant. Le Comité des droits de l'Enfant n'a eu de cesse de rappeler, lorsqu'il était questionné à ce sujet notamment par des pays d'Afrique, qu'il n'y avait, en aucun cas, opposition entre les droits de l'Enfant et le rôle de la famille.

Le texte de la Convention ainsi que l'interprétation indiquée par le Comité peuvent vraiment être un instrument pour donner à la famille, aux parents, les moyens d'élever leurs enfants.

La Convention affirme le droit de l'enfant « de connaître ses parents et d'être élevés par eux », « dans la mesure du possible » (art. 7). Elle énonce aussi le principe selon lequel « l'enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré » (art. 9), « à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant ».

L'affirmation de ces deux principes s'accompagne de restrictions et de garanties dans ces restrictions.

Il est tout à fait compréhensible et nécessaire que les situations où l'enfant ne peut pas être élevé par ses parents soient prévues : lorsqu'il est orphelin bien sûr, mais aussi les situations où l'enfant a besoin de cette protection, même contre sa famille, contre ses parents. Il y a des moments où les personnes qui s'occupent de l'enfant vont trop mal, sont trop en difficulté et ont des comportements qui mettent gravement en danger la santé physique ou psychique, voire la vie de l'enfant.

Cependant, des enfants très pauvres ont été retirés de leur famille au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant (principe existant dans différentes législations nationales), alors que d'autres moyens pour lutter contre la misère de la famille auraient pu éviter ce placement. Le placement devient alors une sanction, forcément injuste tant pour l'enfant que pour ses parents, de la misère.

La Convention permet d'exiger le respect du principe selon lequel l'enfant a le droit de grandir dans sa famille dans de bonnes conditions et pour éviter une séparation due à la misère, l'apport des soutiens nécessaires aux parents. Elle précise aussi les conditions à respecter, lorsqu'un placement ne peut être malgré tout évité.

Partenaires de l'action du Comité des droits de l'Enfant

Comment travaille ce Comité ?

Tous les États signataires doivent lui présenter un rapport initial sur la situation des droits de l'Enfant dans leur pays, puis tous les cinq ans, un nouveau rapport faisant état de l'évolution de la situation.

Le Comité a dès le départ eu pour objectif de ne pas être un tribunal mais un lieu de dialogue avec les Etats. Il rend des conclusions soulignant ce qui est positif, ce qui est à améliorer et fait des recommandations sur les problèmes graves restant à résoudre.

Il invite les Etats à rédiger ce rapport en collaboration avec les ONG nationales, à rendre publiques les conclusions et recommandations qu'il fait. Il est à l'écoute de ce dont les ONG nationales et internationales veulent l'informer avant que l'Etat ne présente son rapport devant lui. Souvent celles-ci sont présentes lors de la présentation du rapport qui est publique.

Une dynamique se crée ainsi entre ci qui se passe sur le terrain et le Comité.

Depuis la naissance de ce Comité, ATD Quart Monde y a été représenté avec l'objectif de faire entendre et prendre en compte les enfants vivant dans l'extrême pauvreté et leurs familles. Une remarque s'est imposée rapidement : le Comité, et chacun de ses membres individuellement, ont spontanément manifesté une préoccupation constante pour les enfants les plus pauvres, ceux qui risquent le plus d'être exclus de la réalisation des droits de l'Enfant. Le mouvement d'enfants Tapori avait vraiment sa place aux côtés du Mouvement international ATD Quart Monde. Ensemble, ils ont fait des interventions écrites ou orales pour partager une connaissance de la situation des enfants vivant dans l'extrême pauvreté et de leurs familles ; de leurs espoirs et de leur lutte quotidienne. Les mini-livres Tapori, qui témoignent de leur vie en divers pays, ont été ainsi donnés aux experts.

« Tapori et les droits de l'homme, c'est la même histoire ».

Comment ne pas la continuer avec tous ceux qui, dans le monde, agissent afin que la Convention des droits de l'Enfant devienne un outil au service de tous ?

Brigitte Muller

Brigitte Muller, juriste de formation, habite avec sa famille en Suisse. Ces dernières années, elle a représenté au Comité des droits de l'Enfant le Mouvement international ATD Quart Monde dont elle a été volontaire, en même temps que son mari.

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