Dites-le avec des fleurs

Marie-Hélène Boureau

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Marie-Hélène Boureau, « Dites-le avec des fleurs », Revue Quart Monde [Online], 168 | 1998/4, Online since 05 June 1999, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2905

Il est des mains tendues qui ne font pas la une des médias, gestes de fraternité ceux qui n'acceptent pas la fatalité, qui recréent des liens redonnant dignité et espoir.

Parfois cependant un journaliste se fait relais au milieu de toutes les catastrophes, se laisse prendre par ce qui pourrait être un banal fait divers, le met en lumière et puis d'autres personnes démultiplient la portée du geste. C'est ce genre de petit événement du quotidien que j'ai vécu en allant acheter des fleurs chez un producteur de roses.

Une photocopie d’article de journal, affichée au mur du petit bureau ouvert au public, attira mon attention. Le journaliste racontait longuement l'histoire d'un fleuriste en gros de Nantes : il s'était fait voler 800 francs. Un peu plus tard, ayant reconnu son voleur, il téléphone à la police, le jeune voleur est embarqué. Jusque-là, rien qu'un triste banal fait divers.

Mais le fleuriste a demandé à le rencontrer : « Il avait été tellement maladroit, a-t-il confié plus tard, j'ai pensé que c'était un néophyte ». Le fleuriste propose au jeune marché : « Si tu as besoin d'argent, je t'embauche pendant un mois ». Celui-ci accepte et le fleuriste retire sa plainte.

Peu à peu le jeune homme reprend confiance. « J'ai compris que c'était gagné lorsque je l'ai entendu siffloter au milieu des fleurs » ajoute le fleuriste.

« C'est la première fois qu'on me tendait la main comme ça » a dit le jeune.

Le fleuriste et sa femme, bien conscients qu'un mois de travail ne suffisait pas, ont cherché à bâtir un projet avec lui. En lien avec l'assistante sociale, il a eu accès à ses droits, passé son permis... une belle histoire de confiance.

La jeune femme qui me prépare les roses n'a pas mis, évidemment cet article par hasard, aussi j'entame la conversation avec elle là-dessus. « Il faut avoir confiance et pas peur des risques, je ne sais pas si je l'aurais fait » me dit-elle.

Nous parlons de tous ceux qui perdent pied et ne sont plus considérés : le risque est toujours présent dans la confiance, mais ça vaut la peine parfois de prendre des risques.

« Cela commence à l'école, me dit-elle, si vous avez du mal à apprendre, vous n'êtes pas considérés, vous êtes déjà rien du tout ». Cette réflexion lui est venue tellement naturellement, spontanément, que j'ai le sentiment qu'elle parle de sa propre expérience.

Recréer des liens, dans le respect de l'autre, des autres, avoir foi en la personne humaine, une foi « engagée », c'est au fond ce qui unit pour moi les différents protagonistes de cette histoire : le journaliste de « Ouest-France » qui, en mettant en lumière cet acte de la vie quotidienne, lutte à sa manière contre le fatalisme de la « dégringolade », de la déconsidération et les fleuristes. Celui qui a fait le geste bien évidemment, sans lui il n'y aurait pas eu cette sorte de chaîne dont il ne connaît même pas les maillons ; mais aussi celle qui a trouvé, par cet article, un moyen de dire que personne n'est un « rien du tout » et qui a glissé six belles roses supplémentaires dans mon bouquet.

Marie-Hélène Boureau

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