Elèves aujourd’hui, citoyens demain

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Elèves aujourd’hui, citoyens demain », Revue Quart Monde [En ligne], 155 | 1995/3, mis en ligne le 05 mars 1996, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2944

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Ecole, Enfance

La misère réduit des hommes à un statut d'inutile : celui de ne contribuer en rien au bien des autres hommes et insuffisamment à son propre bien.

Une des options de base du Mouvement ATD Quart Monde est issue de cette situation injuste et destructrice : « Tout homme a le droit fondamental d'agir pour son propre bien et pour le bien d'autrui ». Tout homme, précisait le père Joseph Wresinski, à commencer par le plus défavorisé.

Il ne s'agit pas là d'une simple revendication. L'humanisation de chacun suppose que les autres lui apportent une vraie reconnaissance et qu'ils reçoivent la sienne. C'est cette reconnaissance qui relie les uns aux autres, et les réseaux qui en résultent maintiennent ces espaces de paix, de collaboration, de culture, de spiritualité et d'amour, dans lesquels des hommes peuvent vivre libres et égaux en dignité et en droit.

Voilà ce qui est menacé par ce qu'on appelle la crise du « lien social », cet ensemble de transformations majeures de l'économie, du travail, de la famille, de l'urbanisation qui obligent à repenser ce lien social.

L'école est confrontée en profondeur à cette question. Elle doit résister à une société qui, certes, s'accommode trop facilement du manque d'instruction d'une part des enfants. Mais plus encore à cette société de consommation et de communication de masse qui prend pour points d'appui de l'avenir le virtuel et la fiction, des marchés financiers aux télévisions commerciales, voire aux réseaux multimédias. Société qui, à bien des égards, dévalorise son expérience passée et néglige celle qui s'élabore sans tapage, quotidiennement, dans le monde réel.

L'école peut-elle faire découvrir aux enfants que, sur le plan de l'intelligence, l'accomplissement et même la performance individuelle peuvent prendre place dans une coopération et pas seulement dans une rivalité ?

L'école en tant qu'institution défend cet esprit. Mais cela n'oblige t-il pas les acteurs – maîtres, parents et élèves – à mieux se comprendre pour reconsidérer les moyens qu'ils peuvent donner à la communauté scolaire ? Cela ne renouvelle-t-il pas les liens sociaux dans l'esprit du partage du savoir ? Une chose est sûre, le monde à venir sera dangereux si les techniciens, les experts, les diplômés continuent à ignorer l'intelligence du monde qui vient « d'en bas ».

La Terre est ronde ; aucun point de vue particulier ne permet de la voir dans sa totalité. La connaissance est d'abord un échange. Le point de vue des plus faibles sur les faits sociaux, vécus différemment par d'autres personnes, est indispensable pour résister à la violence.

Voilà pourquoi ce dossier débute avec la réflexion de parents d'élèves de milieux très défavorisés. Certes, le malentendu est grand entre eux et des professionnels de l'école, mais ils savent bien que l'école ambitionne, dans son principe, de faire réussir tous les enfants. Ils partagent cette ambition et, dans un colloque de l'académie de Lille, auquel ils ont pris part activement , ils disent combien leur fierté et leurs aspirations pour leurs enfants peuvent être un point d'appui pour les enseignants.

Dans l'entreprise comme dans l'école, la plupart des acteurs raisonnent pareillement : "Avoir parmi les collègues des travailleurs en difficulté, c'est prendre un risque que mon travail soit dévalorisé. Avoir dans la classe de mon enfant des élèves en difficulté, c'est risquer son avenir". Enseignante depuis plus de vingt ans, Colette Utzmann se confronte à cette question. Elle dit comment et pourquoi elle a évolué, dans son article sur la contribution mutuelle entre enfants en difficulté sociale et scolaire et enfants en réussite.

En appui, nous avons traduit deux articles de Frank Riessmann sur des expériences d'entraide entre élèves, faites aux Etats-Unis, et les réflexions qui en sont tirées.

Et dès qu'on approfondit l'idée selon laquelle l'école ne doit pas compromettre l'avenir des enfants, on peut se demander si cet avenir est davantage lié au volume des savoirs et des disciplines scolaires qu'à la capacité de vivre en bonne intelligence avec autrui. « Ne pas se frapper d'abord », dit en substance, dans un autre article, le Professeur Philippe Meirieu qui s'interroge sur le rôle de l'école dans la création du lien social et la préparation des citoyens d'aujourd'hui et de demain.

Louis Join-Lambert

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