Une nouvelle alliance avec l’Université

Eugen Brand

Traduction(s) :
Ein neues Bündnis mit der Universität

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Eugen Brand, « Une nouvelle alliance avec l’Université », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 05 août 2009, consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3097

Index de mots-clés

Université, Croisement des savoirs

Deux événements ont marqué la fin de l’année 2008 et le début de l’année 2009, dans le domaine de la collaboration, toujours à construire, entre la science et le combat contre la misère. Deux événements qui n’ont pas eu le même retentissement, qui se sont suivis sans encore se rencontrer vraiment, mais qui marquent l’un comme l’autre, des prises de conscience qui suscitent un grand espoir, même si l’espoir est toujours mêlé d’une part d’inquiétude.

Le premier d’entre eux, du 17 au 20 décembre 2008, dans les locaux de Sciences Po à Paris, puis au Centre international Joseph Wresinski à Baillet-en-France, a été le Colloque « La démocratie à l’épreuve de l’exclusion. Quelle est l’actualité de la pensée politique de Joseph Wresinski ? ». Plus de 400 participants, dont l’immense majorité était encore présente et assidue le vendredi soir, à 18 heures 30, dans l’Amphithéâtre Emile Boutmy à Sciences Po, ont pris part à ce Colloque. Des chercheurs de toutes les générations, les uns accompagnant les efforts du Mouvement depuis des décennies, d’autres le découvrant ou presque à cette occasion, se sont confrontés à la pensée de Joseph Wresinski, ont dialogué avec des acteurs de terrain, membres ou non du Mouvement, avec des représentants de diverses institutions politiques, culturelles et sociales. La pertinence de cette volonté du Mouvement de faire se croiser les savoirs de vie, d’expérience, d’action et les savoirs académiques a été éprouvée. Science et service, pour reprendre la formule qui fut jadis le nom même du Mouvement ATD Quart Monde, science et combat contre la misère se sont alliés, l’espace d’un Colloque pour bâtir ensemble une nouvelle vision du monde. L’essai a été réussi, sans aucun doute, mais il dépend de nous, de tous les participants, de tous les lecteurs de cette Revue, qu’il soit transformé. Que cette alliance ne reste pas événementielle, qu’elle ne dure pas le temps d’un colloque, dont l’actualité sera vite chassée par un autre. Qu’elle devienne une pratique quotidienne, un impératif éthique. Le père Joseph Wresinski en fixait les enjeux, en juin 1983, dans une allocution devant l’Académie des Sciences morales et politiques : « C’est une affaire de rigueur scientifique mais aussi de droits de l’homme. Le droit de connaître une condition est d’abord celui des hommes qui la vivent. Tant que ce droit ne leur est pas reconnu, comment espérer qu’ils concourent à cette connaissance, qu’ils s’en nourrissent et qu’ils la nourrissent ? Si leur contribution en est absente, cette connaissance, que vaut-elle ? Comment croiront-ils à l’utilité et même à la vérité d’une connaissance dans laquelle ils ne peuvent rien livrer d’eux-mêmes, par laquelle ils sont le plus souvent condamnés à croire qu’ils n’ont ni expérience, ni pensée ? ».

Le second événement a été l’inauguration, le 8 janvier, au sein du prestigieux Collège de France, d’une Chaire « Savoirs contre pauvreté », confiée cette année à une jeune et brillante économiste, Mme Esther Duflo. Dans sa leçon inaugurale, celle-ci affirmait notamment que « nous ne détenons pas la clé de la fin de la pauvreté. Mais il est possible de lutter mieux contre les maux qu'elle engendre. Le savoir a sa place dans cet effort : il doit nous aider à proposer des solutions et à en évaluer la pertinence ». Et d’ajouter que « science et lutte contre la pauvreté se renforcent ainsi mutuellement ». Science et service, là encore, pour mettre la misère en échec ! La création de cette Chaire est un événement considérable. Elle extrait la question de la misère de la gangue étroite des questions sociales pour la situer, sous l’égide du Collège de France, comme une question de société, touchant aux disciplines les plus variées, et notamment à l’économie et aux sciences politiques. Mais ici aussi, l’essai devra être transformé, tôt ou tard. Et il ne le sera vraiment, le croyons-nous, que si dans le savoir contre la pauvreté, avec un grand S, s’ouvre un espace pour l’ensemble des savoirs qui le constituent et le construisent : le savoir académique, le savoir d’expérience, le savoir issu de l’action, le savoir de vie. L’intitulé de la chaire, « Savoirs contre pauvreté », au pluriel, semble vouloir l’indiquer, au moins implicitement. Aurait-il fallu être plus explicite encore ? Peut-être. L’avenir nous le dira.

Pour notre part, avec le Centre international Joseph Wresinski, avec les ateliers du Croisement des savoirs et des pratiques, avec toute notre histoire d’alliance entre le monde universitaire et les militants du combat contre la misère, nous sommes résolus à créer les conditions d’une nouvelle alliance, d’une nouvelle étape dans ce combat pour un monde d’où personne ne se sentirait plus exclu, considéré comme indigne, incapable de penser et d’apporter une contribution personnelle à la solution des défis qui sont adressés à toute l’humanité.

Plus que jamais, la Revue Quart Monde, dans laquelle nous avons voulu investir de nouvelles forces, doit être un des vecteurs de cette alliance. A chacun de nous de s’en saisir, de la faire connaître, de la diffuser, de lui donner un rayonnement toujours plus large.

Eugen Brand

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