Artisans de la Convention internationale sur les droits de l'enfant

Huguette Redegeld

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Huguette Redegeld, « Artisans de la Convention internationale sur les droits de l'enfant », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 05 août 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3099

L’inquiétude liée à la crise économique et financière actuelle pourrait nous faire oublier qu’au cours de l’histoire, les plus démunis ont toujours été les plus gravement atteints par les catastrophes de tous ordres. Et pourtant, partout dans le monde, avec peu de moyens et de reconnaissance, mais avec la volonté de s’unir contre l’intolérable, des artisans des droits de l’homme font preuve d’une vigilance sans faille. Ils se sont saisis de la Convention sur les droits de l’enfant comme d’un outil pour faire respecter les droits de tous les enfants sans exception.

Index de mots-clés

Enfance, Droits humains, Nations Unies

« Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l'ignorance, laissé à l'écart du festin. Cet enfant porte en lui l'avenir de notre race humaine. » (Jean-Marie Gustave Le Clézio, Lauréat du Prix Nobel de Littérature 2008, extrait de son discours devant l'Académie Nobel, le 7 novembre 2008).

Les conséquences de la crise économique et financière qui secoue le monde pèseront le plus lourdement sur celles et ceux vivant déjà des situations de vulnérabilité, de grande pauvreté, d'exclusion, c’est ce que nous entendons et lisons bien souvent ces derniers mois. Cette inquiétude sincère et relayée aux quatre coins du monde sur différents registres reflète aussi un sentiment d'insécurité ressenti par une majorité de personnes ne vivant pas nécessairement de telles situations, tant il est vrai que l'énormité des dégâts causés génère un sentiment d'impuissance et de frustration largement répandu.

Les historiens pourraient sans doute nous dire que l’histoire de l'humanité est jonchée de ces moments où la conscience collective sait et reconnaît d'instinct que les plus gravement atteints par les catastrophes (guerres, tremblements de terre, inondations, effondrement de système financier, etc.) seront les plus démunis. Cependant, cette conscience enracinée dans l'histoire humaine a-t-elle pour autant transformé de façon radicale les liens des êtres humains entre eux ? L'on pourrait par exemple se demander si dans les années de turbulence à venir, des adultes et des jeunes connaissant un sous-emploi et une non-formation chroniques trouveront à leurs côtés davantage qu'auparavant des adultes et jeunes mieux préparés et prêts à partager et à innover avec eux des formations et des emplois ?

Malgré tout, ne pas reconnaître que des avancées dans tous les domaines aient été réalisées serait ajouter à un pessimisme déjà prégnant. En même temps, considérer que ces avancées soient suffisantes et suffisamment partagées à travers le monde serait ignorer les graves atteintes au respect de la dignité humaine qui ont cours sur tous les continents.

Une Convention qui s’adresse à tous les enfants sans exception

Le vingtième anniversaire de la Convention internationale sur les droits de l'enfant offre l'occasion de s'arrêter sur l'avancée que représente l'adoption de cet instrument juridique ainsi que sur les défis que continue à poser sa mise en œuvre. Dans cet article, je voudrais mettre l'accent sur des personnes et des associations qui à travers leur engagement quotidien avec des enfants et des familles démunis mettent le doigt sur les changements fondamentaux que doit entraîner l'application de la Convention pour tous les enfants, sans exception.

Ces artisans de la Convention sont nombreux à travers le monde, agissant parfois seuls mais le plus souvent au sein de groupements et petites associations. Leurs  moyens financiers et humains sont limités. Leurs actions et leurs engagements ne bénéficient pas non plus de beaucoup de reconnaissance. Ceux dont il est plus précisément question ici sont liés entre eux dans le cadre d’un réseau, le Forum permanent sur l'extrême pauvreté dans le monde1. Là où ils sont enracinés, avec les possibilités qui leur sont propres, animés de la conviction que la misère n’est pas fatale, ils se mettent eux-mêmes en route et mobilisent d’autres, pour l’éliminer. Car c’est bien d’élimination  de la misère dont il s’agit à leurs yeux, et non de soulagement ou de réduction. C’est certainement une des raisons pour laquelle les correspondants du Forum permanent sont chaque année plus nombreux à se saisir du rendez-vous du 17 octobre2, donnant corps à l’appel de Joseph Wresinski lancé le 17 octobre 1987 à s'unir pour faire respecter les droits de l'homme pour tous.

Faire émerger une indignation collective

Les réalités que des correspondants3 du Forum Permanent révèlent sont celles d'enfants sans existence légale, d'enfants vivant dans la rue, d'enfants non scolarisés, d'enfants travailleurs, d'enfants appelés « sorciers », d'enfants exploités, d'enfants mendiants, d'enfants en prison, d'enfants exclus pour toutes sortes de raisons. En témoignant et en agissant (souvent très modestement), ces correspondants ont contribué à faire émerger une indignation collective des citoyens comme des gouvernements pour faire reconnaître l'atrocité de ces réalités et faire adopter en 1989, à  la suite de la Déclaration des droits de l'enfant (1959), un outil juridique contraignant, la Convention internationale sur les droits de l'enfant.

« Dans son engagement à appuyer la population exclue et défavorisée dans la régularisation de leur état civil, l'équipe a remis en main propre plus de mille cinq cents actes de naissance au sein de plusieurs villages au sud de Tuléar. Ces actes permettent à ces personnes - en grande majorité des enfants - d'avoir la possibilité de s'inscrire aux examens scolaires, d'accéder aux soins. Les remises ont vu la présence de nombreuses autorités ».

« J'ai pris conscience de la pauvreté dès l'âge de sept ans. A cette époque j'ai découvert que ma mère, un soir, n'a pas pu allumer le feu pour préparer le repas. Ce jour-là j'ai su qu'il se passait quelque chose. Elle était triste en me regardant, et elle avait laissé couler des larmes. De l'enfant heureux et inconscient que j'étais, ma vie a basculé tout de suite dans la tristesse et dans les soucis car j'avais peur lorsque j'étais à l'école de rentrer à la maison et ne rien manger. Ce n'est donc pas un hasard si je suis fermement engagé dans cette association de lutte contre la pauvreté. Je me réjouis de savoir que des gens de par le monde sont aussi engagés pour la même cause. Je pensais que nous prêchions dans le désert ».

« Dans une petite ville pas loin de Bukavu, plus de quatre mille enfants (de six à seize ans) ne vont pas à l'école. Ils sont utilisés pour chercher de l'or dans les mines d'or afin de survivre. Plusieurs d'entre eux vivent là leur vie, en silence. Tous ces enfants n'ont pas d'espoir pour le futur. Notre ONG fait de la sensibilisation auprès des adultes, des autorités locales et des enfants afin de les aider à abandonner le travail des enfants et d'envoyer ceux-ci à l'école ».

Résister au sein de réalités complexes et multiples

Ce qui frappe dans les témoignages et les actions menées par les correspondants du Forum Permanent est leur prise en compte de la globalité de la vie des enfants. Ils ne les dissocient pas de leurs parents ni de leur communauté.  Ils ne voient pas simplement «des enfants vivant dans la rue», ou «des enfants au travail». Ils rendent visibles les réalités complexes et multiples des enfants et de leur famille et en font le point de départ de leur action. Ils mettent en évidence les potentiels et les actes de résistance d'enfants et d'adultes même dans l'exclusion la plus totale. En un sens, ils expriment à leur manière ce dont témoigne le psychologue Jean Garneau dans un article intitulé «La résilience, un reflet de notre époque»4 : « L'idée d'être mieux équipé pour avoir des chances de rebondir au lieu d'être détruit est d'une grande pertinence ».

« Les guerres à répétition  ont contribué à l'accentuation de la misère dans bon nombre de familles. Dans un camp, suite à la situation sociale précaire du pays la malnutrition s'annonçait chez plusieurs enfants. Cela a causé aussi de nombreux décès. Les mamans et leurs enfants au sein dudit camp, face à cette tragédie macabre, se sont organisées pour pallier tant soit peu cette situation. Ils ont commencé à entreprendre la culture de légumes dans les jardins sur une terre acquise avec l'autorisation du commandant du camp. Ils plantent et récoltent tomates, amarantes, choux et oignons qu'ils vendent et consomment en famille. Le peu d'argent récolté leur permet de payer la farine, l'huile de palme et quelquefois la prime scolaire pour leurs enfants. Profitant de cette union, ils ont créé leur association. Les mamans sont au nombre de cinquante. Très souvent les enfants s'occupent de l'arrosage et de la vente des produits récoltés après l'école, pour ceux qui étudient. La plupart d'entre eux font partie des groupes Tapori5 ».

Tant de misères et tant d’ingéniosité

Au-delà des dénonciations, l'engagement au quotidien des correspondants du Forum Permanent  fait appel à la responsabilité de tous, des enfants comme de leur famille, comme des responsables politiques, économiques, culturels. Leur créativité est sans limite, freinée surtout par manque de moyens financiers et humains : favoriser l'expression artistique des enfants (chorales, ateliers de poésie, entre autres) ; développer des activités ludiques : mettre sur pied des apprentissages divers (bois, mécanique, couture, informatique, entre autres) ; provoquer des rencontres entre enfants de milieux différents ; favoriser le retour à l'école (actes de naissance mais aussi soutien à la famille), etc.

« Le monde est si petit et le mal dont sont victimes les enfants est tellement grand que si rien n'est fait pour améliorer leur sort, ils finiront par devenir de véritables obstacles pour l'avenir du monde. Je souhaite que notre travail puisse contribuer à un monde plus juste où le droit de tous les enfants soit enfin au premier rang des préoccupations des dirigeants de ce siècle ».

« Depuis très longtemps déjà les associations du réseau REPER ont réalisé que la meilleure place d'un enfant était au sein de sa famille. Elles ont donc multiplié les efforts pour retrouver les familles, pour faire admettre un retour à la fois par l'enfant et par la famille. Toutefois, depuis deux ans environ, les conditions de vie (de survie) sont telles que beaucoup d'enfants quittent de nouveau leur famille quelques jours après leur retour. Pourquoi ? Parce qu'ils ont faim. Ils évitent ensuite de rencontrer les éducateurs qui les avaient ramenés chez eux. Les associations ont alors compris qu'il ne suffisait pas de ramener les enfants à la maison et qu'il fallait aussi aider les mamans à garder leurs enfants auprès d'elles. (...) Certaines leur versent une sorte d'allocations familiales. D'autres soutiennent par le lancement d'une petite activité économique. D'autres encore s'organisent différemment : les éducateurs, après une formation, se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la rue, vivant dans les rues avec les enfants. Des petites camionnettes transformées en infirmerie ou en école sillonnent la ville selon un itinéraire et des arrêts identiques chaque jour. Du matériel scolaire a été créé et fabriqué pour cette utilisation particulière. Je suis toujours stupéfaite de tant de misères d'une part et de tant d'ingéniosité de l'autre ».

Tout cela n'est pas nouveau, pourrait-on dire. Depuis toujours n'existe-t-il pas des personnes (et plus récemment des associations) qui au sein de leur communauté se sont levées pour s'unir et agir avec les victimes de la faim, de l'ignorance et de la violence ? Sans doute. Ce qui est peut-être nouveau, ou en tout cas porteur d'espoir, est un courant mondial qui émerge et devient plus visible, un courant fait de tout petits ruisseaux prenant leur source dans la reconnaissance du droit de tout être humain à vivre dans la dignité et à être partie intégrante de notre communauté humaine.

1 Pour une présentation du Forum permanent sur l'extrême pauvreté dans le monde, voir www.atd-quartmonde.org et cliquer sur «Echanges d'expériences
2 L’appel de Joseph Wresinski lancé le 17 octobre 1987 est à l’origine de la Journée mondiale du refus de la misère, célébrée depuis chaque 17 octobre
3 Les noms des personnes, associations ou pays ne sont pas mentionnés dans les citations qui suivent.
4 Article paru dans le magazine électronique « La lettre du psy », volume 8, n°9, octobre 2004.
5 Voir l'article consacré à Tapori page 37.
1 Pour une présentation du Forum permanent sur l'extrême pauvreté dans le monde, voir www.atd-quartmonde.org et cliquer sur «Echanges d'expériences dans le monde». Le Forum permanent s'adresse à plusieurs milliers de correspondants dans une centaine de pays. Ils sont reliés par la «Lettre aux amis du monde», bulletin trimestriel en portugais, espagnol, anglais et français.
2 L’appel de Joseph Wresinski lancé le 17 octobre 1987 est à l’origine de la Journée mondiale du refus de la misère, célébrée depuis chaque 17 octobre et  reconnue en 1992 par l’Assemblée générale des Nations Unies comme Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Voir  www.oct17.org.
3 Les noms des personnes, associations ou pays ne sont pas mentionnés dans les citations qui suivent.
4 Article paru dans le magazine électronique « La lettre du psy », volume 8, n°9, octobre 2004.
5 Voir l'article consacré à Tapori page 37.

Huguette Redegeld

Huguette Redegeld, Vice Présidente du Mouvement international ATD Quart Monde, est également responsable du Forum permanent sur l'extrême pauvreté dans le monde.

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