Des parents : «Rien n’est jamais dit sur les bonnes choses»

Beatriz Monje Baron

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Beatriz Monje Baron, « Des parents : «Rien n’est jamais dit sur les bonnes choses» », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 05 août 2009, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3104

L’accompagnement et l’écoute de parents très pauvres permet à l’auteur de montrer qu’ils veulent être soutenus dans leurs efforts pour élever et protéger leurs enfants, et non stigmatisés, humiliés et déresponsabilisés par les intervenants sociaux, comme c’est trop souvent le cas.

Index de mots-clés

Enfance, Famille, Placement

Au Royaume-Uni, comme dans beaucoup d’autres pays industrialisés, les familles qui vivent dans la pauvreté depuis longtemps sont victimes du retrait de leurs enfants d’une façon disproportionnée comparée aux familles avec des revenus plus élevés et ce au nom de la protection des enfants. Un nombre croissant de ces enfants sont par la suite adoptés contre la volonté de leurs parents.

Une maman de deux enfants nous raconte son histoire :

« Les services sociaux ont dit que j’étais incapable de m’occuper d’Helen et de Sarah. Elles m’ont été enlevées lorsqu’elles avaient six ans et quatre ans. Elles ont été prises de l’école et de la nourrice. Une note était sur ma porte (…)

A présent, Helen va avoir onze ans et la petite Sarah a huit ans ; ils viennent de leur trouver des parents adoptifs. Il a fallu quatre ans aux services sociaux pour leur trouver quelqu’un. Comme ils ont décidé qu’elles allaient être adoptées et afin de faciliter leur intégration dans la nouvelle famille, ils ont arrêté tout contact avec les cousins, tantes, oncles et grands-parents. Avant, elles n’étaient autorisées à me voir qu’une fois tous les trois mois, et maintenant deux fois par an. Mes enfants ont été entre deux familles pendant quatre ans, privées de lien avec leur propre famille et ce sans être adoptées par ailleurs.

Après qu’on m’ait retiré mes enfants, je n’ai eu aucune aide des services sociaux. Je n’ai aucune information sur l’évolution des filles. Je ne reçois que la photo de l’école chaque année. Je leur écris mais elles n’ont pas le droit de me répondre. Je n’ai pas mon mot à dire pour quoi que ce soit. Ces nouveaux parents adoptifs les auront pendant un an. Si cela se passe bien, elles seront officiellement adoptées. Sinon, elles retourneront en foyer d’accueil et à nouveau, je ne les verrai que deux fois par an ».

Helen et Sarah n’ont jamais été adoptées, mais sont restées dans des foyers d’accueil. Helen a dix-huit ans à présent. Malgré toutes ces années de séparation d’avec sa famille, Helen veut retrouver sa mère dès la fin de son séjour en foyer. Placée par les services sociaux, elle n’a pas eu la force de sortir de la pauvreté. Elle n’a ni formation, ni endroit pour vivre en autonomie, ni moyen de gagner sa vie mais le pire est la mauvaise opinion qu’elle a d’elle-même, une identité brisée et beaucoup de colère par rapport à ses expériences en tant qu’enfant.

D’un autre côté, le fait d’avoir ses enfants placés par les services sociaux  a empêché la mère d’Helen de progresser dans sa capacité à s’occuper de ses enfants ou d’améliorer leur éducation. Au contraire, elle a eu le cœur brisé, elle a été humiliée et déresponsabilisée. Comme c’est le cas pour beaucoup d’autres, aucune aide ou aucun projet pour l’avenir ne lui ont été proposés.

La pauvreté complique le rôle des parents

Cette mère n’a jamais abusé mentalement, physiquement ou sexuellement de l’un de ses enfants ; avec les moyens qu’elle avait, elle a fait de son mieux pour ses enfants, mais les autorités ont dit qu’elle les négligeait et ne pouvait pas leur apporter les soins appropriés. Ses enfants et elle étaient pauvres. L’éducation des enfants est plus difficile si vous êtes pauvre,  comme le décrit la campagne « End Child Poverty » au Royaume-Uni : il y a des barrières concrètes - logement en mauvais état, transport inadapté, mauvaise alimentation - et des barrières personnelles -manque de confiance en soi, faible accompagnement éducatif, faibles aspirations -. De ce fait, davantage d’enfants pauvres ont des difficultés émotionnelles et de comportement, ont une santé plus fragile et réussissent moins bien à l’école que les enfants de familles plus riches.

Les parents pauvres, comme tous les autres, veulent protéger leurs enfants de tout danger. Ils se donnent énormément de mal tous les jours pour protéger leurs enfants de la violence des rues ; même s’ils habitent dans des quartiers difficiles, ils s’assurent que leurs enfants vont bien à l’école même s’ils n’ont pas d’amis et ont du mal à apprendre. Ils leur donnent les vêtements qu’il faut, une alimentation convenable même avec peu d’argent, les protègent de tout danger ou maladie même lorsque les conditions de logement sont mauvaises, les réconfortent lorsqu’ils sont persécutés, les assurent qu’ils sont aimables et aimés. Mais ils doivent remplir leur rôle et assumer leurs responsabilités dans des circonstances qui sont bien plus difficiles que celles de la plupart des parents.

Cependant, les parents qui connaissent la pauvreté et la privation sont souvent considérés par les officiels comme une menace dont les enfants doivent être protégés. Non seulement leurs nombreux efforts ne sont pas reconnus, mais pire encore, il leur est souvent reproché les mauvaises conditions dans lesquelles les enfants doivent grandir.

Aujourd’hui, douze ans après qu’Helen ait été placée pour la première fois par les services sociaux, Helen et sa mère sont ensemble, mais seules face à l’énorme travail de reconstruction de leur relation, seules face aux conséquences psychologiques du système de placement des enfants,  seules enfin à se confronter au problème de vaincre les effets de la pauvreté.

Parents et enfants face aux mêmes défis

Helen, Sarah et leur expérience familiale est l’expérience de nombreuses autres familles au Royaume-Uni et dans d’autres pays industrialisés. Cela souligne les conséquences d’une protection de l’enfance qui ne tient pas compte des notions de groupes familiaux ou de dynamiques familiales, comme si la pauvreté des enfants pouvait être séparée de la pauvreté de leur famille. Il est donc nécessaire que la lutte contre la pauvreté enfantine montre le désir des parents qui vivent dans la pauvreté de faire de leur mieux  et qu’ils restent des partenaires-clés en contribuant au bien-être futur de leurs enfants.

Face à la pauvreté, des parents peuvent montrer une résistance et un courage sans faille au nom de leurs enfants, en faisant d’énormes efforts pour sauver des relations, garder l’unité familiale et construire un meilleur avenir. Cependant, l’expérience d’ATD Quart Monde montre que bien souvent les politiques et les initiatives qui luttent contre la pauvreté des enfants se concentrent sur la vulnérabilité et les faiblesses des parents, familles et communautés.

« Vous ne valez rien »

L’exemple des Centres d’Evaluation est dramatique. Des parents avec des nouveau-nés y sont de plus en plus envoyés au Royaume-Uni. Ces centres doivent décider après une courte période (souvent douze semaines), si ces parents - pauvres pour la plupart -, ont le potentiel pour être de bons parents. Une fois encore, la plupart de ces parents n’ont pas abusé de leurs enfants, ni physiquement, ni sexuellement, ils n’ont pas non plus abandonné leurs enfants. Ce sont des parents qui ont souffert d’un manque d’opportunités, qui sont sans logement ou ont un logement insalubre, et souvent  n’ont pas accès à un travail ; de même, ils ont eu très peu de chances d’apprendre comment stimuler un bébé, ils ont pu vivre des expériences traumatisantes par le passé et ont même été dans des maisons pour enfants durant leur propre enfance. En d’autres mots, ce sont des parents qui souffrent des effets de la pauvreté qui dure depuis longtemps et est souvent intergénérationnelle. Si le résultat de l’évaluation est négatif, les bébés sont - dans la plupart des cas - proposés pour l’adoption contre la volonté des parents. Comme il a été expliqué précédemment, une fois les bébés adoptés, aucun soutien n’est proposé aux parents et tous les enfants nés ensuite sont eux aussi susceptibles d’être adoptés, à nouveau sans le consentement des parents.

Quelques parents décrivent leur expérience : « Lorsque vous arrivez au Centre d’Evaluation, vous êtes traité comme un criminel. Vous vous sentez stigmatisé, comme si vous aviez déjà échoué. Là-bas, vous ne valez rien, comme si vous ne méritiez pas l’aide dont vous avez besoin.

Vous êtes jugé à cause de votre milieu social, ils lisent tous vos dossiers avant votre arrivée. Ils vous jugent d’après toutes les choses que vous n’avez pas, toutes les choses que vous ne pouvez pas faire, mais rien n’est jamais dit sur les bonnes choses… Très vite votre propre estime est réduite à néant. Ils pensent que vous ne pouvez pas aimer votre enfant parce que vous avez été abusé étant enfant, mais ils ne vous aident pas à avoir une aide psychologique, ils vous jugent seulement pour ça.

Dans le Centre d’Evaluation, vous n’avez aucun droit. Vous arrivez dans un endroit où vous êtes observé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, quelquefois avec des caméras dans votre chambre ! Vous ne pouvez pas sortir sans être accompagné, vous n’êtes pas autorisé à voir des amis ou de la famille, vous n’avez pas d’intimité, même pas d’intimité pour pleurer ! Si vous êtes parent pour la première fois, c’est encore pire, vous ne savez pas quoi faire, la pression d’être observé vous donne l’impression de faire des erreurs tout le temps. Le centre d’évaluation ne vous propose aucune aide ou conseil sur les choses que vous pourriez améliorer, seulement de la surveillance tout le temps. Ils vous réprimandent tout le temps, ils vous punissent comme un enfant. Depuis le début, vous êtes considéré comme un échec ».

Des séjours de répit familial

Les enfants, les parents, les familles et les communautés qui connaissent la pauvreté nous répètent toujours qu’ils ont besoin d’une approche centrée sur les solutions et qui montre que toutes les familles ont des forces et des capacités.

Depuis plus de quarante ans, la Maison Familiale Frimhurst - dirigée par ATD Quart Monde au Royaume-Uni - organise des séjours de « répit familial » où les parents et les enfants défavorisés peuvent travailler aux côtés de personnes de différentes origines pour trouver des solutions et surmonter ainsi la pauvreté. Nous faisons tous les efforts possibles pour créer les bonnes conditions pour que les familles puissent développer amour-propre, confiance en soi et se reconstruire.

Une mère de trois enfants raconte son expérience à Frimhurst :

« Dans nos vies peu sûres et instables, c’est une zone protégée, une sécurité pour nous, un lieu d’espoir où nous n’avons pas besoin de faire semblant ou d’avoir honte. Nous savons que si nous avons davantage de difficultés, nous ne sommes pas vus comme des échecs, nous pouvons revenir si les choses tournent mal. Nous sommes acceptés où nous en sommes dans nos vies et nos efforts pour changer sont reconnus et encouragés par des personnes qui s’intéressent vraiment à nous. Nous avons une chance d’être normaux, d’être des gens parmi d’autres gens, des parents parmi des parents et d’être amis avec des personnes que nous n’aurions pas rencontrées autrement, et d’égal à égal. Nous apprenons ensemble et de chacun d’entre nous.

La stabilité et l’amitié sont vitales si les familles les plus pauvres doivent s’investir, être aidées et devenir capables de lutter contre la pauvreté. Cette maison est le lieu où nous trouvons stabilité et amitié avec des personnes qui passent du temps à nos côtés, et ce sur un plan purement humain. Cela n’est pas la solution à notre pauvreté, mais venir ici nous aide à comprendre ce qui nous est imposé et ce que nous pouvons essayer de changer. Etre ici signifie que nous ne sommes plus seuls et isolés, nous pouvons oser espérer un avenir meilleur pour notre famille et pour les autres aussi. Nous avons les autres qui nous aident à lutter pour notre droit de vivre en tant que famille, et puis nous avons des occasions d’aider de nouvelles familles dans leurs combats. Un parent m’a dit : ‘ Lorsque vous ne pouvez pas vous aider vous-même, vous existez seulement, mais lorsque vous commencez à aider les autres, vous recommencez à vivre vraiment’. Frimhurst est l’endroit où j’ai recommencé à vivre vraiment ».

Une force pour un changement positif

La vie quotidienne à la Maison Familiale Frimhurst s’organise autour d’activités créatives, sportives basées sur des compétences, des ateliers et des sorties. Bien que les effets de ce type d’activités puissent être positifs ou négatifs, c’est la façon dont elles sont conçues, organisées et mises en place qui en fera une force pour un changement positif. L’essentiel est que le travail de Frimhurst soit basé sur un environnement où l’on ne juge pas et qui donne la possibilité aux familles d’identifier leurs forces et leurs capacités,  de les consolider, de développer une image positive de chacun d’entre eux, de renforcer les liens familiaux, de créer des amitiés, d’apprendre de nouvelles compétences et de se créer de bons souvenirs.

Notre expérience est qu’à travers ce partenariat, nous responsabilisons les parents qui vivent dans la pauvreté dans leur désir d’assurer le bien-être de leurs enfants, et nous assurons de meilleurs résultats pour les enfants. A plusieurs reprises, les familles pauvres demandent des services d’aide qui peuvent apporter leur contribution professionnelle à leurs propres efforts pour un meilleur avenir. Il est essentiel de créer les conditions à travers lesquelles les familles pauvres accompliront leurs propres développement et bien-être, si nous prenons réellement au sérieux le défi posé par la pauvreté des enfants.

Beatriz Monje Baron

Volontaire permanente d’ATD Quart-Monde depuis 1997, Beatriz Monje Baron a développé les bibliothèques de rue dans les bidonvilles de Madrid, encouragé les projets éducatifs et aidé des familles à accéder au droit au logement. Depuis sept ans en Grande-Bretagne, elle coordonne les programmes d’aide familiale du Mouvement, en étroite relation avec les jeunes parents vivant dans la pauvreté. Elle est mariée et a trois enfants.

CC BY-NC-ND