Laurent Cantet, Entre les murs ;Karim Dridi, Khamsa 

Film français, 2008Film français, 2008

Marie-Hélène Dacos-Burgues

p. 47-49

Référence(s) :

Laurent Cantet, Entre les murs, France, 2008

Karim Dridi, Khamsa, France 2008

Citer cet article

Référence papier

Marie-Hélène Dacos-Burgues, « Laurent Cantet, Entre les murs ;Karim Dridi, Khamsa  », Revue Quart Monde, 209 | 2009/1, 47-49.

Référence électronique

Marie-Hélène Dacos-Burgues, « Laurent Cantet, Entre les murs ;Karim Dridi, Khamsa  », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 01 août 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3126

Deux films récents évoquent la place faite aux enfants par nos sociétés. L’auteur les met en parallèle et s’interroge sur les conditions nécessaires à la structuration d’un enfant en devenir, tant du point de vue des responsabilités individuelles que publiques.

À peu d’intervalle on a pu voir deux films français : « Entre les murs » et « Khamsa »1qui chacun à leur façon nous présentent des enfants attachants, le cœur sur la main, mais aussi, en toile de fond, les conséquences sur ces enfants des difficultés pour notre société à leur faire une place. C’est sur les conséquences de cet oubli de quartiers entiers qu’il nous faut réfléchir au-delà de l’émotion première. Dans les deux cas on nous présente un enfant allégorique qui est certes libre, sympathique, un sujet autonome, mais qui étant peu protégé, peu guidé perd son temps dans des errances qui seront dramatiques au final et le condamneront. L’un des films a pour décors un collège de Paris, l’autre la rue et des caravanes stationnées en désordre sous un pont d’autoroute à Marseille.

Carences éducatives

« Khamsa » est l’histoire d’un enfant d’un quartier de Marseille confié par l’aide sociale à l’enfance à un foyer et qui fugue pour retrouver sa grand-mère mourante à laquelle il promet de ne jamais la quitter. Sa mère algérienne est décédée, son père gitan a d’autres préoccupations. Ses deux familles, ses diverses tantes ne veulent pas de cet enfant qui a fait quelques bêtises par le passé mais toute la famille le cache quand les travailleurs sociaux viennent pour le rechercher. Seul un cousin nain s’occupe un peu de lui. Son prénom, pour l’état-civil, est Marco mais ses copains algériens le nommeront au cours de leurs aventures « Khamsa » comme pour mieux définir son appartenance à leur bande. La rivalité entre deux milieux qui ne s’aiment guère est en permanence visible. À douze ans, Marco-Khamsa est livré à lui-même. À partir de là il devient la proie des bandes de garçons guère plus âgés que lui, petits voyous qui lui apprendront la loi de la rue, la débrouille pour satisfaire à ce besoin incessant : consommer. Ils lui inculqueront l’amour de l’argent facile et la technique du vol à la portière, à l’arraché et d’autres. Il est évident qu’il ne pourra pas s’en sortir. C’est un film dur qui montre une société violente, des groupes humains en marge où personne ne se parle vraiment, une délinquance qui ne s’analyse pas comme telle par leurs acteurs. Il y a chez ces jeunes quelque chose comme une volonté de réappropriation des biens qui devraient leur revenir et une carence éducative de l’école qui est absente. Les parents, bien qu’on les voit réagir brutalement contre les interventions des travailleurs sociaux, semblent tout ignorer des agissements délictueux de leurs enfants.

« Entre les murs » met en scène un groupe classe et son professeur de français. S’il montre plusieurs élèves d’une classe de quatrième qui aurait pu avoir Marco (plus tard) comme élève, il a le mérite de montrer les limites d’un certain type de relations du professeur aux élèves qui est la négation même de celle nécessaire à la structuration d’un enfant en devenir. On voit un professeur qui, avec la meilleure volonté du monde, cède sur tout. Il cède, pour avoir la paix, sur les téléphones portables que les élèves utilisent pendant la classe. Il laisse s’installer un droit à la parole spontanée et désordonnée, sur n’importe quel sujet, parole non encadrée par une règle de conduite admise par tous et définie à l’avance comme cela peut se pratiquer dans certaines classes avec bénéfice pour les élèves. Ce faisant il laisse une grande violence s’exercer sur les plus faibles par certains élèves dont l’ego occupe tout l’espace. Les autres se taisent et n’apprennent rien. Ce professeur qui cherche une proximité d’humanité se trouve piégé par une proximité de langage et par un détournement de l’attention de la classe vers des problèmes tout à fait connexes à l’enseignement qu’il est censé délivrer. Il en ignore à la fois les exigences d’élévation de la pensée des élèves au delà des contingences de tous les jours, il en oublie les exigences de contenu dans son rôle et dans la méthodologie et les exigences de la participation de tous les élèves à la classe. Notons enfin la mise en évidence d’un nécessaire questionnement des structures démocratiques mises en place au collège qui manifestement ne fonctionnent pas. La représentation des élèves dans les organes de décision (spécialement au niveau du conseil d’administration) aboutit à des malentendus graves et à des conflits autour de mots utilisés par les professeurs, « enfant limité » et « pétasse » par exemple, mais aussi autour du devenir d’un élève menacé d’exclusion pour son comportement sans que ses camarades, repliés sur une affectivité de l’immédiat, ne semblent comprendre la nécessité d’une sanction. Il faut se demander pourquoi et surtout chercher à savoir quelles personnes auraient dû leur expliciter les règles et les enjeux bien avant que l’adolescent ne franchisse les dernières lignes rouges. Seule la réunion parents - professeurs joue son rôle.

Notre manque d’ambition

Ce sont surtout les images des lieux qui sont autant de métaphores pour signifier l’oubli, pour ne pas dire le mépris, dans lequel nous tenons ces enfants : d’abord la classe vide avec ses chaises renversées et en désordre, en fin d’année scolaire. Qui se soucie de ce que feront les enfants pendant le vide de l’été ? Les images du quartier où vit une partie de la famille de Khamsa, sous l’autoroute, cet amoncellement de petites bâtisses et de caravanes, cette avalanche de détritus qui jonchent le sol sont autant d’indications pour nous montrer un environnement peu sécurisant tout à fait en marge de la beauté des paysages marseillais et du « standing » super moderne de la maison cambriolée où dorment de paisibles citoyens. Puis, ce que nous retiendrons de plus significatif encore c’est l’évaluation de l’année scolaire par cette jeune fille sans nom et qui courageusement vient dire au professeur : « Monsieur, vous ne m’avez pas demandé ce que vous avez demandé aux autres mais moi je n’ai rien appris cette année ».

Les cinéastes ont eu un projet : celui de montrer une certaine réalité. Où est la faute ? Inutile de s’effrayer pour se résoudre à ne rien faire. À nous de comprendre qu’en complément à une école qui remplirait ses promesses, pour prévenir la relégation de certains dans les prisons pour enfants, entre protection excessive et autonomie frisant l’abandon il doit y avoir un espace social où la liberté des enfants pourrait s’exercer, s’ancrer dans le réel, se confronter à celle des autres, où s’exercerait le volet éducatif des politiques sociales, un devoir de toute société démocratique.

S’exercer à la vie en commun

Pour favoriser vraiment le respect de soi-même et le respect de ses semblables par les jeunes il ne suffit pas d’en donner l’ordre, ni de prononcer des paroles incantatoires, ni de succomber à un désir de retour au passé, mais sans aucun doute, avant que les dérives n’apparaissent, il faut en promouvoir un apprentissage continu tout au long de la vie, et permettre l’exercice de cette compétence de façon graduée. Cela nécessiterait un sens aigu du devoir d’éducation de la part des adultes que nous sommes et demanderait sans aucun doute une volonté politique de développement des territoires capables d’offrir dans tous les quartiers des lieux de convivialité c’est-à-dire des lieux où les apprentissages de la vie en commun se feraient dans le dialogue, par le partage des expériences comme cela se fait déjà trop rarement : lieux d’accueil de la petite enfance, crèches et jardins d’enfants, mais aussi des lieux de réflexion collective sur la parentalité et enfin lieux de loisirs pour les jeunes, tous ouverts et gratuits dans une dynamique d’accès à la culture et à la citoyenneté pour tous.

1  « Entre les murs », du réalisateur Laurent Cantet, a eu la palme d'or au festival de Cannes 2008. Ses acteurs sont François Bégaudeau, Nassim

1  « Entre les murs », du réalisateur Laurent Cantet, a eu la palme d'or au festival de Cannes 2008. Ses acteurs sont François Bégaudeau, Nassim Amrabt, Laura Baquela, Cherif Bounaïdja Rachedi, Esméralda Quertani, Franck Keïta, Rachel Regulier et Wei Huang. Il est sorti en salle le 24 septembre 2008. « Khamsa » a pour réalisateur Karim Dridi. Ses acteurs sont Marc Cortes, Raymond Adam, Tony Fourmann, Mehdi Laribi, Simon Abkarian, Magali Contreras. Il est sorti en salle le 8 octobre 2008. « Khamsa » ou main de Fatima est le bijou que porte Marco. Symbole du monde arabo-musulman désignant le chiffre 5, il est utilisé comme amulette pour protéger du mauvais œil.

Marie-Hélène Dacos-Burgues

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND