Assurer l’honneur pour garantir la paix

Alwine A. de Vos van Steenwijk

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Alwine A. de Vos van Steenwijk, « Assurer l’honneur pour garantir la paix », Revue Quart Monde [En ligne], 150 | 1994/1 et 2, mis en ligne le 05 octobre 1994, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3137

« Jusqu’ici, j’ai toujours trouvé le moyen de faire mes gâteaux et de les vendre à l’entrée de la ville. J’achetais le soir de quoi en cuire pour le lendemain. Maintenant, c’est fini. Je n’ai plus qu’à mendier à droite et à gauche, et mes enfants le savent. Je ne peux plus leur apprendre qu’il faut savoir s’en sortir par soi-même. Je ne peux plus leur apprendre l’honneur ».

La mère de famille qui parle ainsi a tenu debout à travers bien des tribulations politiques et économiques de son pays. Le dernier bouleversement politique, suivi d’un embargo international qui a paralysé le commerce, a mis fin à son combat pour maintenir sa famille dans l’indépendance et l’honneur. Et elle sait d’expérience de femme née dans la grande pauvreté que pour des enfants privés de ce dernier rempart, il ne restera plus que cette alternative : défendre l’honneur par la violence, ou s’en remettre aux expédients peu honorables, aux petits larcins, à la mendicité. Sans doute, la vie vacillera-t-elle désormais entre les deux ?

C’est au nom de cette mère, de ces enfants, der ces millions de familles privées des moyens de se maintenir dans l’honneur que le Mouvement ATD Quart Monde a décidé de conduire une délégation de familles de tous les continents auprès de l’Assemblée générale et du Secrétaire général de l’ONU. Pourquoi vers les plus hautes instances politique ? Pourquoi pas plus directement vers les organes subsidiaires d’action contre la pauvreté et pour le développement ? Le Mouvement se tromperait-il d’adresse ?

La Charte de l’ONU affirme sa double vocation de maintenir la paix et de combattre la misère. L’un ne va pas sans l’autre, de cela nous acceptons volontiers l’idée. Pourtant, la communauté internationale ne se laisse t-elle pas beaucoup plus facilement inquiéter par les conflits armés que par la grande pauvreté, tant que celle-ci se tient silencieuse ? C’est cependant dans le silence où se terre le déshonneur, que se prépare la violence. Une violence aveugle et désorganisée, certes, mais qui se laisse aisément enrôler par quelque fauteur de guerre. Non pas que les très pauvres se laisseraient entraîner ainsi par le seul goût du gain matériel ; penser cela, c’est les offenser. Les plus pauvres peuvent être poussés à prendre les armes, quand ils sont abreuvés de dépendance, d’humiliation, de déshonneur.

« La misère est là où commence la honte », nous rappelait le père Joseph Wresinski. Et il disait encore : « Un homme ne peut pas vivre ainsi humilié sans réagir. Et l’homme dans la misère réagit aujourd’hui comme hier de la même manière violente ». Lui aussi savait d’expérience que le premier et dernier rempart contre cette honte et la violence qu’elle engendre est la famille, espace où les enfants peuvent encore apprendre l’honneur que le monde environnant leur interdit.

Ainsi ne fut-ce pas au nom d’une idée sur la famille que le père Joseph fit de l’ATD Quart Monde un mouvement familial contre la pauvreté et pour les Droits de l’homme. Ce fut parce que la famille est, par nécessité, le premier et dernier bastion de l’honneur des personnes, le lieu où les enfants peuvent se préparer à devenir des hommes d’honneur, désireux et capables d’être des hommes de paix.

Si l’ONU doit apprendre à mieux garantir la paix dans le monde, à défaut de pouvoir se faire entendre par le Conseil de sécurité, c’est bien à l’Assemblée générale de l’ONU que doit s’adresser la délégation des familles réunies dans le Mouvement ATD Quart Monde.

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