Des enfants otages de Neuilly-sur-Seine et d'ailleurs...

Jacqueline Chabaud

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Jacqueline Chabaud, « Des enfants otages de Neuilly-sur-Seine et d'ailleurs... », Revue Quart Monde [Online], 147 | 1993/2, Online since 05 November 1993, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3283

Des enfants d'une classe maternelle, retenus en otages pendant trois jours de mai, à la lisière de Paris, ont fait trembler l'opinion, bien au-delà des frontières du pays. Aussitôt, le preneur d'otages a été déchu de son humanité et qualifié de monstre. Quant à Laurence Dreyfus, l'institutrice qui a choisi de rester dans sa classe avec les enfants, elle devenait la Maîtresse-Courage.

Et voilà que dans une interview donnée à Paris Match (27 mai), cette femme brise elle-même ce sempiternel cliché de la belle et de la bête ! Elle dit : « Je ne supporte pas d'entendre dire que l'homme qui a mené cette prise d'otages est un monstre... Pour moi, c'était un être humain, et il le demeure, même si je n'ai jamais vu son visage. » Elle écrit, avec son mari, chef de publicité pour l'hebdomadaire cité, une remarquable mise au point qui commence ainsi : « Qui peut sérieusement se targuer d'accomplir un exploit en n'abandonnant pas à leur sort des bébés de trois ans ? »

Si chacun reprenait pareille interrogation pour l'étendre à tous les enfants du monde, otages permanents de la violence et de la folie de nos économies, de nos politiques, de nos conflits et même de nos plaisirs, sérieusement, serait-ce un exploit ?

Deux simples exemples, pour en rester au domaine de l'école.

Si les parents, les enseignants et les écoliers eux-mêmes refusaient d'abandonner à son sort le dernier de la classe, otage des préjugés, de l'indifférence et de l'égoïsme des ambitions, sérieusement, serait-ce un exploit ?

Et ne faut-il pas être aveugle pour prétendre, comme beaucoup, qu'à l'école de Neuilly-sur-Seine, le seul domaine demeuré sacré avait été violé ? Si tel était le cas, il n'y aurait pas d'enfants enlevés à l'école pour être placés, otages de la loi du plus fort comme de l'impuissance du fort à respecter le droit du plus faible.

« Avec des si, on mettrait Paris dans une bouteille ! » Certes ! Mais que seraient nos vies sans pari ?

Jacqueline Chabaud

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