Violence de l'exclusion et justice

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Violence de l'exclusion et justice », Revue Quart Monde [En ligne], 147 | 1993/2, mis en ligne le 05 novembre 1993, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3284

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Insécurité, Violence

Le thème de l’insécurité fait politiquement recette. Il désigne dans ce contexte le risque de violence que courent les personnes pour elles-mêmes et pour leurs biens. Qu’on parle des banlieues, qu’on légifère sur la maîtrise des flux migratoires ou de la politique à l’égard des demandeurs d’asile, ou encore à propos du renforcement des moyens de la police pour contrôler les populations dans la rue, il est clair que les populations pauvres passent à bon compte pour créatrices de l’insécurité.

Ne sont-elles pas elles-mêmes les premières à être profondément atteintes par la violence de la condition économique, sociale, politique qui leur est faite ? Si on l’oublie, il n’est pas facile de voir qu’elles aussi aspirent réellement à la paix, y compris dans certains de leurs gestes qui agressent par leur violence et leur apparente incohérence.

Objets de mépris et d’indifférence, sans place à l’école, puis plus tard, au travail, les plus pauvres savent que cette société qui a l’ambition d’être démocratique n’en paye pourtant pas vraiment le prix et qu’elle n’élabore pas un monde commun à tous ses membres. Dans cette optique, la nécessité de laisser les conflits s’exprimer est reconnue. Ainsi évolue la société et se bâtit la paix civile. Pourtant, les sociétés démocratiques ignorent les plus radicaux de ces conflits, ceux qui se traduisent en exclusion de tout.

Faute de pouvoir social, isolés des canaux de représentation des travailleurs, des consommateurs, des administrés locaux, des citoyens nationaux, ceux qui ne peuvent manifester ces conflits intériorisent la violence de la société contre eux-mêmes. Ainsi, regarder du point de vue de la grande pauvreté oblige à réviser les liens implicites ordinairement établis entre exclusion, violence et paix.1

Ce dossier rassemble plusieurs réflexions, dans cette perspectives. Qu’évoque-t-on en parlant de violence ? Comme clef, nous avons repris des extraits d’un texte du père Joseph Wresinski. En pointant d’emblée la violence qui atteint les plus pauvres, il restitue à leur véhémence sa part essentielle dans un combat pour résister et vivre. « La violence que nous trouvons dans les cités n’est pas forcément une rupture de la paix. C’est une autre manière de vivre, d’être (…), conditionnée par des conditions  de vie (…) imposées (…) »

Adil Jazouli, donne en sociologue, une typologie des formes de violences qui, aujourd’hui, expriment le mal de vivre des banlieues où l’espace des relations et de l’existence semble de plus en plus confiné.

La réflexion porte ensuite sur l’exclusion comme violence. En quoi, s’interroge Paul Ricoeur, la notion d’exclusion exprime-t-elle autre chose que celle d’inégalités. De quoi les exclus sont-ils exclus ? Cette exclusion qui va au-delà du manque de biens, comment les modèles philosophiques du lien social en rendent-ils compte ? Dans quelle mesure ne sont-ils pas aveugles à l’exclusion en supposant dès leurs prémisses que tous les citoyens potentiels participent à l’accord qui fonde la société et l’institution de ses règles de justice ?

L’article suivant demande comment remédier à l’exclusion sinon en faisant un monde commun à tous ? Les inclus peuvent-ils y parvenir à eux seuls pour tous ? Un monde commun peut-il émerger autrement que de l’action de tous ? Pour résister aux processus et mettre fin aux situations d’exclusion, ne faut-il pas se mettre en quête de ce qui reste commun aux exclus et aux autres pour le développer ?

Résistance active à l’injustice, à l’oppression et l’agression, la non-violence qu’analyse Jean-Marie Muller vise à joindre la parole des victimes d’une violence cachée, la prise de conscience de l’opinion publique et la pression efficace sur les pouvoirs publics.

Dans cette optique, Théo Kneifel fait part, quant à  lui, d’une forme de « résistance civile » face aux mécanismes de ségrégation et d’oppression, sur les plans économique et social..

Les médias nous relatent une actualité de violence en accréditant souvent notre impuissance. Il est aussi des occasions où ils nous proposent  des gestes pour passer les frontières établies. Fanchette Clément-Fanelli relate ce que des enfants peuvent saisir d’une telle proposition.

Ce dossier reprend, en perspective finale, la conclusion des Cahiers du Quart Monde 1992 : « Oser la paix ! »

1 Et c’est pour contribuer à cette réflexion que le Mouvement ATD Quart Monde, en association avec la Fondation “L’Arche de la Fraternité”, a organisé
1 Et c’est pour contribuer à cette réflexion que le Mouvement ATD Quart Monde, en association avec la Fondation “L’Arche de la Fraternité”, a organisé, à l’occasion de la publication des troisièmes Cahiers du Quart Monde, un colloque sous le titre : “Bâtir la paix avec les plus pauvres.” Le dossier qui suit en est abondamment nourri, bien qu’il n’ait pu en reprendre tous les apports.

Louis Join-Lambert

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