L’exclusion est une violence

Paul Ricœur

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Paul Ricœur, « L’exclusion est une violence », Revue Quart Monde [En ligne], 147 | 1993/2, mis en ligne le 05 novembre 1993, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3289

Quelle est la place de l’exclusion sociale dans la réflexion philosophique contemporaine sur la justice ?

Travaillant dans des cercles de réflexion sur le problème des inégalités, je me suis posé, en philosophe, en moralise, la question du seuil entre « inégalité » et « exclusion ». Le problème n’est pas seulement théorique puisque, comme on vient de nous le montrer, l’exclusion suscite la violence. J’ai essayé d’identifier les modèles du lien social capables de rendre compte des inégalités, mais incapables de rendre compte de l’exclusion. En effet, les modèles qui rendent compte des inégalités, qui essayent même de leur donner un sens, ont pour effet pervers d’omettre précisément ce seuil d’exclusion, et d’agir de telle façon que tous les mécanismes de la société fonctionnent à l’exclusion.

Ce ne sont pas les systèmes économiques, les systèmes sociaux, les systèmes politiques, qui m’intéressent ici, mais les modèles concernant le lien social et la nature du lien social. Et si je ne m’adresse pas aux exclus eux-mêmes, je fais néanmoins appel à leur coresponsabilité et à leur savoir ; car, s’ils ne pensent pas ce que je vais essayer de dire, ils le vivent comme étant cela même qui est justement omis par la plupart des conceptions du lien social.

On nous a montré la violence des exclus. Je voudrais montrer en quoi l’exclusion est violence. L’exclusion comme violence est un thème qui s’est progressivement imposé, en particulier aux grandes instances sociales, dans la mesure où elle consiste en une violation du droit.

Mon propos n’est pas de savoir « qui sont les exclus », mais de « de quoi les exclus sont exclus ». Ils sont exclus de pratiques dominées par des modèles qui sont des modèles d’inclusion. C’est le rapport inclusion-exclusion qui est à penser. Etre exclu, c’est être fondamentalement non-partenaire de ces modèles d’inclusion qui régissent le partenariat ordinaire du lien social. Je vais présenter quelques-uns de ces modèles qui sont familiers actuellement à la philosophie politique, à la philosophie juridique, à la philosophie sociale.

John Rawls et la théorie de la justice

J’évoque, en premier lieu, le plus théorique de ces modèles, celui de John Rawis, auteur de Théorie de la justice. Cette œuvre considérable commence à être discutée en France, et l’est depuis longtemps dans le monde anglo-saxon, où elle a une grosse influence sur les juges de la Cour suprême, sur les juges fédéraux, sur les avocats d’affaires, etc. Je vais rappeler deux ou trois points qualifiant ce modèle comme un modèle d’inclusion, puis montrer de quelle façon il contribue, au moins par omission, aux effets pervers que constitue l’exclusion.

Cette théorie part d’une conception générale de la société considérée comme un vaste système de distribution ; toute société distribue des biens sociaux fondamentaux, des biens marchands (patrimoines, revenus, services), mais aussi des biens non-marchands (comme la sécurité, la santé, l’éducation, la citoyenneté et la participation au jeu politique). Selon ce modèle, la justice peut-être identifiée à la justice distributive.

Le problème de la justice est relativement simple, du moins en apparence, tant qu’on a affaire au système judiciaire. Théoriquement, on peut la définir par l’égalité de tous devant la loi : c’est le propre d’un bon système judiciaire. Même si, dans la pratique, les gens ne sont pas égaux devant la justice, théoriquement, on peut tendre vers une distribution égale dans l’accès aux tribunaux. Donc, l’inégalité dans le système judiciaire constitue déjà un fait d’exclusion.

Mais le grand problème de la justice apparaît avec la distribution inégale des autres biens. Quelles sont les inégalités tolérables ? Là, le modèle atteint ses limites, à savoir l’incapacité de rendre compte de l’exclusion parce que, justement, il est un modèle d’inclusion. Les partages inégaux caractérisent absolument toutes les sociétés ; nous ne savons pas faire fonctionner des sociétés à distribution égale. Et d’ailleurs, peut-être seraient-elles des sociétés non productrices… Toutes les sociétés sont inégalitaires, non seulement au plan de la distribution des revenus (échelle des salaires) et des patrimoines (personne ne commence dans la vie avec le même capital), mais aussi à celui de l’éducation et du savoir (tout le monde ne va pas dans les grandes écoles). Et les plus redoutables, peut-être les plus inexpugnables des inégalités ne concernent pas l’argent, mais les positions d’autorité, de responsabilité (tout le monde n’a pas charge d’un grand service, ne commande pas). A tous les échelons hiérarchiques, l’administration, l’entreprise fonctionnent à l’inégalité (tout le monde n’est pas patron…)

Par conséquent, le problème central pour tous ceux qui ont le souci du bien commun, du lien social, qu’ils soient théoriciens, praticiens, juristes, se résume en ces termes : Quelles sont les inégalités justes – c’est un concept monstrueux ! – et surtout acceptables ? Acceptables par les bénéficiaires et aussi par les victimes de la distribution inégale. C’est là que Rawls a introduit un théorème qui constitue le principe de justice par excellence. Ce théorème, discuté dans le monde entier, est en somme la loi sous laquelle fonctionnent les social-démocraties en général. Ce second principe de justice par excellence - le premier étant l’égalité devant la loi – considère une inégalité comme acceptable lorsqu’on peut dire d’elle que tout accroissement de l’avantage des plus favorisés est compensé par la diminution du désavantage des plus défavorisés. Ce principe porte aussi le nom de minimax, parce qu’il consiste à maximiser la part minimale. (John Rawls s’appuie sur la théorie des jeux à somme non nulle, où tout le monde gagne d’une certaine façon : les uns en augmentant leur avantage, les autres en diminuant leur désavantage.)

Ce principe n’est acceptable que si ceux qui sont placés au bas de l’échelle comprennent que dans un tel système la productivité augmente et qu’ils en sont directement avantagés : les miettes de la table des riches sont plus grosses… En fait, schématiquement, le système de distribution des social-démocraties est une sorte de gestion d’inégalités comprises et acceptées. Ceci explique pourquoi des gens défavorisés arrivent à voter pour les systèmes libéraux en économie : ils pensent que ces systèmes créeront davantage de richesse et redistribueront plus et mieux que ceux d’apparence plus égalitaire, mais qui finalement créent moins de richesse. Certains systèmes sociaux-démocrates sont peut-être en fin de course pour n’avoir pas su à la fois créer des richesses et appliquer le principe de maximisation de la part minimale.

C’est un modèle d’inclusion très remarquable, le seul qu’on sache faire fonctionner, mais dont le vice caché est de dissimuler le fait qu’il ne fonctionne que si quelques-uns ne sont pas inclus. Il s’agit de ceux qui en raison de leur pauvreté extrême ne rentrent pas dans cette espèce de calcul du minimax. Nous avons par là même une sorte de critère négatif de l’exclusion. On peut dire que ce dont les gens sont exclus, c’est d ‘abord de la conception de la société comme système de distribution. Ce système de distribution présuppose, idéalement, la possibilité pour chacun d’occuper toutes les places. Il repose sur une sorte de fable dans laquelle on suppose que les membres d’une société sont rassemblés sous un voile d’ignorance et on distribue des parts inégales, et personne ne sait la part qu’il a. Mais cela implique justement que tous puissent être participants de ce grand contrat. C’est faire fi de l’exclusion.

Michael Walzer et les sphères de justice

A l’inverse de Rawls qui englobe tous les biens sociaux, biens marchands et non-marchands, dans un modèle unitaire de la justice, Walzer distingue une pluralité de « sphères de justice ». Les différents biens distribués obéissent chacun à des logiques différentes, parce qu'ils font l'objet d'une symbolique sociale reposant elle-même sur une « compréhension partagée », qui n’est pas la même de sphère en sphère.

La sphère de citoyenneté constitue le premier cercle. Or, des quantités de gens dans le monde n’appartiennent pas à un corps politique : les Palestiniens, les Kurdes, et tous les gens privés d’Etat. « N’être pas membre de », « n’avoir pas d’appartenance », est primordial pour Walzer. Il y a de fait des règles très précises régissant l’appartenance à un corps politique (par le sol, par le sang…). On peut aussi être exclu du corps politique : le régime soviétique « privait de nationalité » ses opposants.

Autre sphère évidente : la sphère marchande. Walzer montre que les lois du marché ne gèrent qu’un type de biens, ceux qu’on peut acheter ou vendre. D’où la question : qu’est-ce qu’on ne peut pas acheter ou vendre ? On ne peut pas acheter le corps humain ; encore qu’il y ait des cas limites : certains organes, le sang… L’éducation est-elle un bien marchand ? Nous avons un système mixte : la liberté d’enseignement fait que l’éducation est à cheval entre bien marchand et bien non-marchand. La santé ? Jusqu’à quel point la santé doit-elle être traitée comme constituant une sphère de santé publique ? Les individus privés y contribuent même dans un système “socialiste” comme en Angleterre, dès lors qu’il existe des assurances complémentaires.

Une autre sphère de justice concerne l’accès à des positions d’autorité. Notre système de concours, depuis le primaire jusqu’aux titres universitaires, donne droit à des positions d’autorité et de commandement. D’après Walzer, certains systèmes ont fonctionné uniquement sur cette base. Les vieux systèmes chinois d’autrefois reposaient sur les concours de mandarins. Mais l’autorité peut être distribuée de multiples façons qui chacune pose à nouveau une question de justice.

La sphère civique concerne l’exercice du pouvoir entre citoyens d’un même Etat. Se pose ainsi la question des droits et des devoirs d’un élu, d’un parlementaire, d’un ministre. Lorsque nous discutons pour savoir de quels tribunaux sont justiciables les ministres, nous nous demandons comment la sphère civique interfère avec la sphère judiciaire.

Ce modèle, beaucoup plus souple par son caractère pluraliste que le système de Rawls, nous permet de repérer une série de facteurs d’exclusion.

Du point de vue de la citoyenneté, même s’ils ont théoriquement une nationalité, les victimes de la pauvreté extrême ne se sentent pas « appartenir ». Surtout si, de par leur situation d’assistés, ils sont exclus du marché et, par conséquent, aussi des positions d’autorité et des positions de responsabilité. Ainsi, le fait de ne pas appartenir à chacune de ces sphères de justice prises une à une entraîne une sorte d’exclusion en chaîne. Par référence aux textes du père Wresinski, on pourrait là, justement, parler du caractère indivisible des droits. Pour les exclus, le modèle de Walzer n’est plus pertinent.

Il faut, il est vrai, accorder à Walzer que sa théorie invite à une vigilance particulière, pour empêcher que la sphère marchande ne dévore la sphère politique ou que la sphère politique, dans un régime totalitaire, ne dévore toutes les autres. Néanmoins, les critères d’appartenance s’inversent en critères d’exclusion, la première exclusion concernant ce que Walzer appelle la « compréhension partagée », qui donne sens à chacune de ces sphères, et qui est la première des participations ; la plus grande injustice c’est d’être exclu du jeu de compétition entre sphères. J’ai trouvé d’ailleurs dans les Cahiers du Quart Monde des témoignages tels que : « Je suis hors cité », « Hors cité jusqu’à quand ? », « Nous sommes repoussés de plus en plus loin ». Donc : exclus du jeu entre les « sphères de justice. »

Luc Boltanski et Laurent Thévenot : les économies de la grandeur

Boltanski, économiste, et, Thévenot, sociologue, collègues enseignant tous deux à l’Ecole des hautes études sociales, reprennent mais en les transformant profondément les théories de Michael Walzer. Leur modèle nous touche de très près. Alors que Walzer réfléchit en philosophe politique sur les principes directeurs de chacune des sphères de justice, Boltanski et Thévenot traitent de ce qu’ils appellent la « justification ». Ils se réfèrent aux argumentaires que les hommes et les femmes mettent en jeu dans les situations de conflits. Or, le conflit est une structure fondamentale de la société : on ne sait pas faire fonctionner une société à la paix, au compromis permanent. Nos auteurs se sont donc intéressés aux affrontements, pas tellement entre individus à l’intérieur d’un groupe, mais entre ce qu’ils appellent des « cités », qui ont chacune leur argumentaire ultime.

A leur livre De la justification, Boltanski et Thévenot ont donné pour sous-titre les Economies de la grandeur – grandeur au sens pascalien -, voulant dire par là qu’on est « grand » ou « petit » selon des échelles différentes. Un sportif est tenu pour grand dans la réputation ; un chanteur, un artiste va être grand dans un autre pays de « cité », la « cité inspirée ». Un chef d’Etat peut être un « grand » politique sans être un grand savant ; ou bien manquer de charme, comme on dit, dans la « cité de l’opinion ». Il faut encore considérer la grandeur « domestique », qui n’a pas seulement trait à la famille, mais à tout système fonctionnant à la reconnaissance mutuelle, à la fidélité, à la révérence, à l’affection, à l’amitié et à l’amour, etc. On est grand dans la « cité marchande » par le profit ; dans la « cité civique », par la participation à la décision publique.

L’intérêt de cette analyse est que les hommes ou les femmes existent à condition d’être situés dans l’une ou l’autre de ces « cités » et reconnus dans un ordre de “grandeur”. Etre “petit” c’est déjà quelque chose, ce n’est pas être rien. Nous avons là paradoxalement un bon critère d’exclusion : est exclu celui que n’est pas « grand » ou “petit” dans aucune des « cités » et ne peut ainsi exercer aucune des fonctions résultant du conflit des « cités ». Nous, nous appartenons à des groupes sociaux très différents, aux différents moments de la journée, de la semaine, de l’année, de notre vie. Ce qui fait que nous pouvons comparer, transposer les caractéristiques d’une cité dans une autre. Au fond, être une personne c’est d’abord appartenir à une « cité », tout en étant ce passe-muraille qui peut habiter successivement des « cités » différentes et exercer ses capacités critiques à l’égard de l’une en fonction des critères de grandeur d’une autre.

L’exclusion consiste ainsi à être mis hors jeu par rapport à ces multiples cités, à leurs problèmes de critique mutuelle, et finalement par rapport à l’exercice du compromis. Le livre de Boltanski et Thévenot se termine en effet par une importante réflexion sur le conflit et le compromis. Le compromis suppose que chaque adversaire apporte l’argumentaire du groupe auquel il appartient. Si l’on n’a aucun argumentaire, on ne participe à aucun compromis. Les compromis vous tombent dessus. On les subit et l’on n'existe plus en tant que personne, capable d’appartenances multiples et porteuse de critiques et de jugements.

Le « contrat social »

C’est le modèle, peut-être le plus familier et le plus connu. Il remonte à Hobbes, Rousseau et Kant. Il est intéressant de voir quel type de contrat nous avons privilégié depuis la Révolution française et dans l’expérience des nations et des socialismes du XIXème siècle.

La théorie du contrat a toujours oscillé entre deux extrêmes. Le premier, observé chez Hobbes, est un contrat de domination ; les gens sont supposés être dans un état sauvage et mus par une passion fondamentale qui est la peur de la mort violente. Ils attendent du contrat social, avant tout, la sécurité. Très souvent nous considérons la société comme devant nous protéger de menaces physiques. Dans le second, l’idéal du pacte social serait que les rapports « horizontaux » du vouloir vivre ensemble prévalent sur les rapports « verticaux » de l’obéissance, de la domination. Force est de constater que nous ne savons pas faire fonctionner des sociétés réalisant cet idéal. En fait, tous nos systèmes politico-sociaux reposent sur une sorte de relation orthogonale, entre un lien vertical de domination-obéissance (nous sommes administrés ; il y a des gouvernants et des gouvernés) et un lien horizontal entre citoyens qui acceptent de vivre ensemble.

Nous découvrons de plus en plus l’importance de vouloir vivre ensemble lorsque ce lien tend à se défaire. Je me rappelle très bien la catastrophe de 1940, d’un pays qui se défait, où tout le monde se trouve sur les routes. J’ai vu la même chose comme prisonnier lors de l’écroulement allemand en 1945. Dans ces moments-là, on voit que le vouloir vivre ensemble ordinairement resté secret, comme tacite, ne devient reconnaissable que lorsqu’il est menacé ou qu’il s’effondre. En Bosnie, des gens qui étaient des voisins, qui vivaient ensemble, ne savaient pas qu’ils avaient en partage un vouloir vivre ensemble.

Je crois que c’est dans ce vouloir vivre ensemble que consiste la clé du lien social. En ce sens, l'exclusion en est l'extrême contraire : des personnes sont exclues de l’acte silencieux d’adhésion et de ratification du pacte tacite qui nous maintient ensemble.

Extrême pauvreté et droits de l’homme

Dans les phrases très nettes citées dans les Cahiers : « nous ne sommes rien » ; « nous ne sommes pas reconnus », etc., se situe le problème posé par le père Joseph : mettre l’exclusion par l’extrême pauvreté en connexion avec les droits de l’homme. La réflexion que je vous ai proposée nous y conduit. Quels sont les droits fondamentaux ? Des droits juridiques bien entendu, mais d’abord un droit à l’identité. Or, nous n’avons d’identité que reconnue. Nous avons une identité si l’autre nous reconnaît. Il y a un lien éthique fort entre identité pour soi et reconnaissance par l’autre.

Or, l’exclusion hors de toutes les « sphères » de justice, ou des « cités » selon Thévenot – Boltanski, marque en même temps l’exclusion de la sphère où la question même des droits de l’homme se pose. Car il n’y a de droit que là où peut s’exercer la capacité de structurer l’une ou l’autre ou toutes ces cités les unes par rapport aux autres. C’est pourquoi, l’exclusion a un caractère en chaîne qui révèle, selon l’expression du père Joseph Wresinski, le caractère indivisible des droits de l’homme, depuis les droits les plus formels – comme les droits d’expression, de réunion, ou l’égalité devant la loi – jusqu’aux droits sociaux – comme le droit au travail, à la santé, à la famille, au logement. Ces droits ne s’exercent que sous la condition de l’appartenance. Ainsi, l’extrême pauvreté marque l’exclusion des systèmes d’inclusion les plus libéraux. Elle constitue une violence par déni des droits de l’homme, une violation durable de l’ensemble des droits de l’homme.

Il apparaît aussi que ce sont les plus pauvres qui nous enseignent ce que sont ces droits, en nous faisant toucher du doigt les limites d’acceptance, de reconnaissance que comportent les systèmes les plus libéraux d’inclusion. Ce rapport exclusion-inclusion est central : les systèmes qui prônent l’inclusion à l’extrême sont ceux qui hypocritement sont les plus silencieux, par omission, sur le coût à payer, qui est l’exclusion.

En conclusion, je dirai que l’essentiel est d’abord la reconnaissance du seuil entre inégalité et exclusion : le franchissement de ce seuil constitue la violence institutionnelle

L’essentiel est, ensuite, de ne pas céder aux sirènes de l’Etat-minimum. A cet égard, la puissance publique doit être réaffirmée contre les théoriciens de l’économie de marché. (Je qualifie de capitaliste un système dans lequel la sphère des biens marchands recouvre toutes les autres, c’est-à-dire où les critères du pacte social se réduisent aux lois qui régissent ce qui s’achète et ce qui se vend.) Il faut veiller à ne pas laisser la puissance publique être dévorée par le modèle partiel de la société marchande.

Enfin, je pense que rien ne peut être fait sans la participation de ceux qui vivent eux-mêmes l’exclusion, donc sans l’instauration de ce que Joseph Wresinski appelait « le partenariat des populations concernées. »

Paul Ricœur

Paul Ricœur, philosophe et universitaire, a enseigné à l’université de Strasbourg, à la Sorbonne, Louvain, Genève et Montréal. Participant à la création de la faculté des Lettres et sciences humaines de Nanterre, il a quitté cette dernière au lendemain de 1968 pour rejoindre l’université de Chicago. Il a été solidaire du combat lié à la revue « Esprit ». Parmi ses ouvrages : Philosophie de la volonté (Ed. Aubier), Temps et récit ( Le Seuil), Du texte à l’action ( Le Seuil)

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