De la quête d'identité à la recherche d'une communauté de foi

Marie-Hélène Boureau

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Marie-Hélène Boureau, « De la quête d'identité à la recherche d'une communauté de foi », Revue Quart Monde [Online], 149 | 1993/4, Online since 05 June 1994, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3358

Edith, Sylvie, Zora : l’une est d’origine juive, l’autre est arménienne libanaise, la troisième est musulmane. Ces trois femmes forgées par un passé de misère et d’exclusion ont trouvé dans le Mouvement ATD Quart Monde le lieu où leur quête d’identité personnelle est reconnue. Identité enracinée au plus profond d’une tradition religieuse, parfois perdue, jamais oubliée. Si Dieu, quel que soit son nom, reste enfoui au cœur des croyants les plus pauvres, ceux-ci cherchent le chemin de leur communauté de foi, au fur et à mesure qu’ils retrouvent celui de la communauté humaine. Cet itinéraire dont témoigne une volontaire, Marie-Hélène Boureau, pose une question à tous les croyants.

Edith

Edith a 40 ans. De son identité juive, il ne lui reste que son nom de famille. Enfant, elle a été placée. Etait-ce avant ou après la mort de son père ? Ses souvenirs sont très flous.

Sa révolte a fait basculer sa vie : « Je n’acceptais pas d’être placée, je me suis révoltée et on m’a mise à l’hôpital psychiatrique. » Elle avait alors 12 ou 13 ans.

Misère. Errance. Quatre années à la rue avec son mari. Puis un taudis avant d’accéder à un petit studio.

A la Maison Quart Monde, Edith trouve peu à peu un identité : celle de quelqu’un qui a à faire reconnaître un passé d’humiliation, de non-existence. Cette identité-là, elle la transmet à son fils placé depuis sa petite enfance.

Est-ce cette première identité qui lui a fait demander un jour : « Je voudrais connaître la religion juive, je suis juive, moi. » ?

Sylvie

« Les arméniens sont solidaires, oui, mais ils sont fiers et à cause de ma misère, j’ai perdu toute relation avec les miens. »

Sylvie, arménienne libanaise, porte en elle une Arménie dont toute l’existence est dans son cœur et son esprit. Ce n’est ni le pays inscrit de nouveau sur la carte du monde, ni la communauté arménienne qui se retrouve à l’église ou dans les fêtes. Son Arménie à elle, c’est un paradis perdu où elle n’est jamais allée, un pays que lui ont transmis ses parents meurtris par le génocide, fuyant la Turquie pour le Liban. Un père mort trop tôt, une mère qui faisait à longueur de journée la lessive des autres. Ce Liban où elle vécut quelques années heureuses quand de nouveau la guerre l’a chassée. Elle est arrivée dans cette terre française méditerranéenne.

Comment rebondir encore après des exodes répétés ?

Ce fut le plongeon dans la grande misère, une vie terrée à quatre (le couple et deux enfants) dans une baraque de 10m2 au fond d’une cour pendant quatre ans, l’avenir des enfants gâchés, la maladie...

Mais allez vous asseoir près de Sylvie et elle vous racontera mille paraboles, histoires merveilleuses de l’Orient où se mélangent les contes traditionnels arméniens, turcs, libanais. Elle choisit ceux qui parlent de ce qui lui semble essentiel : la fraternité entre les hommes, la difficulté d’avoir toujours la force intérieure de faire face à tous les coups de la vie, la foi en Dieu. Pour elle, Dieu met toujours quelqu’un sur votre route pour vous aider, à vous de le chercher, de le trouver.

Cette femme a trouvé dans le Mouvement ATD Quart Monde la reconnaissance de sa dignité, qui englobe et ses racines, et son expérience de l’exode, et son courage face à la misère. Pareille reconnaissance permet à sa fierté de rencontrer d’autres familles très pauvres et de se reconnaître en elles, au-delà des différences d’origines, de religions et d’histoires.

Zora

« Quand j’ai perdu mes parents, à 10 ans, je suis entrée dans la misère ; à 55 ans, j’y suis toujours. »

Zora se souvient de la petite Algérienne qu’elle était, employée de maison dans une famille juive en Algérie. « Ils étaient gentils pour moi, c’est la femme qui m’a appris ce que je sais faire. »

Une vie de misère, c’est la sienne, oui, servante des autres dans la cité où elle rend des services à l’un, à l’autre, pour quelques pièces. Ce n’est jamais elle qui fait « les prix », elle accepte ce qu’on lui donne.

Chez elle aussi, il y a une profonde révolte. Musulmane croyante, elle lance souvent : « J’ai envie de mourir, de me jeter du haut du pont » et pourtant pour elle, si Dieu ne change pas la vie, il donne la force de vivre cette vie qui est la sienne

Son souci : vivre les rites de sa religion pour les transmettre à ses petits enfants : « C’est notre religion, il faut qu’ils sachent. » Les fêtes, elle les vit, parfois en décalage.

Il faut courir chercher un secours pour acheter ce qu’il faut à la fin du ramadan. Lorsque l’on arrive chez elle pour lui souhaiter une bonne fête, il faut qu’elle puisse « donner » et nous sommes ceux à qui elle va pouvoir donner, mais elle n’a pas eu le temps de finir tous les gâteaux. Dans la cité, on rencontre des enfants, des adultes en habits de fête. Zora a sur elle des vêtements usés, rapiécés. La fête est quand même là, puisqu’il y a le don, et nous sommes alors ceux qui lui permettent de vivre profondément cette fierté du partage.

Zora aime participer aux réunions de l’Université populaire Quart Monde : « On est tous pareils et quand quelqu’un a faim, on ne regarde pas la race ou la religion. »

Marie-Hélène Boureau

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