Des solutions qui se construisent ensemble

Association de Soutien à la Médiation et aux Antennes Juridiques

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Association de Soutien à la Médiation et aux Antennes Juridiques, « Des solutions qui se construisent ensemble », Revue Quart Monde [En ligne], 211 | 2009/3, mis en ligne le 05 février 2010, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3439

L’association ASMAJ a une longue pratique de la médiation. Soutenue par le Ministère de la Justice, elle anime dix-neuf antennes (à Marseille, Aubagne et La Ciotat) dans des structures socioculturelles ayant pour objet de développer l’accès au droit et à la médiation gratuite pour des publics en difficulté, dans des sites reconnus comme prioritaires par la Politique de la Ville. Les équipes de médiation sont constituées toujours de trois personnes : un médiateur, un avocat et un travailleur social qui reçoivent ensemble le demandeur et proposent soit une médiation conventionnelle, soit une médiation pénale. Avec son autorisation, nous reproduisons ici des extraits d’interviewes issues du film d’évaluation, réalisé entre juin 2007 et juillet 2008, en collaboration avec l’association Moderniser sans exclure(MSE).

Index de mots-clés

Médiation, Justice

Les besoins de médiation

- « J’ai voulu aller poser une main courante à la justice parce que je me suis dis si ça continue comme ça on va en arriver aux mains tellement le monsieur s’emportait. »

« C’est surtout pour avoir un conseil, pour savoir par quoi commencer. Ce sont des juristes. Ils savent. Et ils sont tenus à la confidentialité. C’est ça qui est important. »

- « Étant dans une situation financière difficile, une situation familiale qui commence à être un petit peu critique, je me sentais perdu et c’est là que j’ai entendu parler par diverses associations que cette association là existait : ASMAJ. »

- « Elles (les assistantes sociales) nous baladent un petit peu partout d’une organisation à l’autre mais en fait quand on arrive ce n’est pas bon (ça ne répond pas à notre problème). »

« On dit toujours que la justice est tellement longue, je me suis dit une médiation ira plus vite. »

- « Ca fait trente ans qu’on est voisin. Ca fait trente ans qu’on se dit des choses. J’ai voulu que ce soit noir sur blanc. »

- « Je pense que chacun a son  caractère et puis qu’à partir du moment où une personne dit : ‘c’est moi qui ai raison’ et une autre dit : ‘c’est moi qui ai raison’, à un moment donné on va se buter et puis en définitive il faudra une tierce personne qui vienne nous apporter la bonne solution. J’ai joué au rugby, donc en mêlée on s’expliquait, et à la troisième mi-temps on était copains ! »

- « Les gens qui sont dans les foyers, qui sont dans les hôtels, ils s’isolent par rapport à la société parce que la société aussi n’est pas correcte. Des fois on se dit : ‘c’est à toi-même de t’en sortir’  mais parfois on dit : ‘ah ! non, on n’y arrive pas, c’est impossible’. Et des fois on a des doutes sur les autres. Par exemple des doutes sur la justice… Pour nous, ça ne marche pas. »

Construire avec le demandeur

Chantal (avocate) : « Avant on avait le milieu judiciaire qui est un milieu très fermé et pour moi il y avait des tas de secteurs de la vie,  que ce soit le secteur social, le secteur de l’éducation, le secteur de la consommation, des tas d’acteurs qui étaient aussi efficaces, aussi importants que le milieu judiciaire pour régler ces problèmes mais tous ces gens n’étaient jamais en contact direct. En gros, l’assistante sociale disait : ‘je ne suis pas avocat’ et l’avocat qui recevait cette personne disait : ‘je ne suis pas assistante sociale, je n’ai pas à voir remplir le dossier d’aide, je n’ai pas à faire cette démarche’ et donc la personne était ballottée. »

Jacques (médiateur) : « Quand on présente le travailleur social, en général il y un soupir, parce que c’est quelqu’un qu’on connaît déjà. On l’a déjà vu. On présente l’avocat. Là c’est clair, c’est la ressource. Alors quand on présente le médiateur, c’est le gros point d’interrogation sur la tête parce que vraiment on ne sait pas pourquoi il est là. »

Evelyne (assistante sociale du Conseil Général) : « C’est aussi un moyen de sortir un peu de notre travail où on est souvent face à face seule avec les personnes. Ça permet de voir qu’on ne maîtrise pas tout, qu’on n’est pas les grandes assistantes sociales qui savons tout et qu’on a besoin nous aussi, au quotidien, dans ce qu’on peut donner comme réponses, d’avoir des relais. Mais aujourd’hui, de ma place d’assistante sociale, c’est quand même un outil important dans notre travail quotidien parce que quand on reçoit des personnes dans certaines situations, en gros litiges avec le propriétaire ou même le voisinage, on a très peu de moyens pour intervenir. »

Stéphanie (avoate) : « Certaines femmes nous disent ‘en fin de compte c’est pour lui faire peur’. Alors faut-il engager une procédure pour lui faire peur ?... Et là on vient à discuter avec elle : ‘pourquoi lui faire peur ?’ et si on s’était contenté, à la consultation juridique, de dire : ‘voilà comment on divorce, voilà la procédure, voilà la liste des consultations’!... Ce n’est pas ce que les gens disent en premier qui est le plus important. C’est à travers nos questions, ce qu’ils attendent derrière. C’est ça la richesse. Le fait qu’on s’est écoutés ensemble sur des pratiques différentes, on a modifié nos propres regards. »

Marielle (médiatrice) : « La compétence et la crédibilité en tant que médiatrice, pour moi, elle vient pour une part de mon expérience  humaine, parce que ça imprègne profondément ce que je fais. Je pense que si j’avais eu trente ans, je ne l’aurais pas vu de la même façon. [...] Mais aussi deuxièmement la formation que nous avons reçue, qui nous a appris à abandonner une position d’autorité. »

Caroline (assistante sociale CAF1) : « Pour moi ce n’est pas une question d’âge et de diplôme mais c’est une question de personnalité parce que tous les avocats ne sont pas en capacité de travailler en partenariat, toutes les assistantes sociales ne sont pas en capacité de travailler en partenariat. […]  Je trouve qu’on s’enrichit chaque fois parce qu’on se construit de mieux en mieux, on arrive à percevoir les réactions de chacun et on gagne en efficacité au fil du temps  parce que chacun de nous était en capacité de laisser la place aux deux autres  et de prendre sa place aussi par rapport aux deux autres. »

Michel (médiateur) : « Il n’y a pas de truc. On les écoute d’abord. Ensuite on essaye de les faire réfléchir à ce qui vient d’être dit. Si la personne en face a dit quelque chose qui a heurté, on essaye de les faire revenir sur ce qui a été dit, si ça a été mal formulé ou n’a pas été compris. Petit à petit on essaye de les rendre plus réceptifs. Mais il n’y a pas de technique. C’est un peu une question de feeling. »

Qu’en pensent les bénéficiaires ?

Jean (multiutilisateur) : « Quand on vient là, on sait que c’est des gens à notre écoute pour nous aider, pour nous apporter de l’aide. Et quand on voit déjà à l’accueil, l’attention qu’ils ont envers nous… Ils nous coupent pas la parole en disant : ‘oui, mais il y a quelque chose qui est pas clair’. Non, non. Ils essayent de comprendre sans nous mettre dans l’embarras. Quand on vient ici, surtout quand on a plusieurs affaires en tête qui nous embrouillent un petit peu, on est un petit peu perdu, alors quand on arrive devant le médiateur, devant l’avocat, on est pris de panique. J’avais trois choses dont j’avais besoin de renseignements et je finissais par tout mélanger mais ce qui est bien avec eux c’est qu’ils savent remettre les choses dans l’ordre. On prend tel dossier avant, on fait celui-ci jusqu’au bout. »

Mireille (ex-utilisatrice des services) : « Je ne sais la formation que doivent subir les gens de l’ASMAJ mais moi je n’ai jamais rencontré cette écoute d’une assistante sociale. C’est très grave : quand on est en situation de problème, d’être demandeur, parce qu’on est déjà diminué par ce qui nous arrive. Surmonter tout ça et demander, … c’est très difficile de demander. On a cette honte, on a cet échec finalement sur nous. À un certain âge, c’est encore plus difficile, et bon quand vous sentez qu’en face vous n’avez pas la réponse et qu’à la limite vous les enquiquinez, vous ne posez plus une autre question, même si vous avez envie d’en poser une autre. Vous restez là-dessus. Alors qu’à l’ASMAJ toutes les personnes ont sûrement une formation de psychologie – je ne sais pas- mais, presque avant la question, elles vous devinent. C’est associatif, ils n’ont rien à gagner de ce qu’ils peuvent vous apporter, et quand on a été compris, on se sent soutenu à un point que même pas des liens familiaux portent. Je n’ai jamais ressenti ça et j’en serai toujours redevable. »

Karima : « Ce qui était bien c’est qu’on m’a dit que si jamais je n’y arrivais pas toute seule, je pouvais éventuellement revenir, donc c’est quand même sécurisant. »

Eduardo : « Je suis tombé sur une équipe chaleureuse, bien entendu que j’ai encombrée de questions sans réponses. J’avais tellement de questions que je les saoulais. On a l’impression qu’en disant un peu plus, que la personne comprendrait mieux. On oublie tout de suite que ce sont des gens de métier. »

Georges : « Voilà, j’ai eu un accident dans les escaliers mécaniques du métro. [… ] J’ai eu un drôle de choc.  Ils m’ont fait visiter par les docteurs et puis c’est là qu’on a décidé de me mettre dans une maison de retraite et puis manque de pot il est arrivé mon problème à mon pied. On devait me couper mon pied. C’est quand j’ai sorti, que j’ai été à la boutique de solidarité, qu’ils m’ont vu comme ça, ils m’ont demandé qu’est-ce que j’avais et puis je leur ai expliqué. ‘Et vous avez fait la demande ?’ (d’aide juridictionnelle sans doute)  -‘Ah pas. Non, j’ai dit, j’ai rien fait’. Et puis après l’avocate a fait le nécessaire et c’est pour ça que j’ai touché de l’argent. Quand ils m’ont téléphoné, l’avocate, qu’ils avaient des nouvelles, des bonnes nouvelles, eux, mais moi, j’en avais des mauvaises et j’ai dit : ‘Vous savez j’ai plus le moral du tout’. - ‘Pourquoi ?’. - ‘J’ai cinq mille euros que je vais toucher, c’est le Conseil Général qui le prend parce que je suis dans une maison de retraite’. Elle a dit : ‘il en est hors de question parce que c’est vous qui souffrez et non eux’. Alors elle a téléphoné à l’assistante sociale de la maison de retraite et ils ont obtenu l’accord pour que j’aie un compte à la maison de retraite. Elle m’a dit : ‘ne vous inquiétez pas, il n’est jamais trop tard pour bien faire’ et puis en effet. J’ai dit la vérité. »

Younes (vit dans la rue) : « Pour moi c’est un appui. Sans eux par exemple il n’y a rien de réussi. Ils ont des contacts avec les personnes avec qui on a le problème. Et parfois ça veut dire on recule devant quelque chose mais après on se dit : ‘ non il ne faut pas reculer, il faut avancer, il faut foncer’. Tu vois, c’est à partir de là que les choses avancent. »

Tout n’est pas facile

Michel : « On a effectivement des dossiers qui sont de plus en plus lourds en particulier avec des agressions. »

Maria : « J’ai été dans une situation de médiation dans laquelle la médiatrice, vis-à-vis d’une femme qui avait deux enfants et qui voulait connaître ses droits, avait l’impression que (cette femme) ne supportait plus ses enfants et qu’elle voulait trouver la façon de s’en débarrasser. C’était terrible. On était quatre.  Á un moment donné une personne est partie. Elle a dit : ‘je ne peux plus supporter ça,  je ne  peux plus voir cette femme jeune en train de voir comment elle pouvait se débarrasser de ses  deux petits qui étaient là avec nous’. Donc du coup la relation de l’équipe est très importante, de pouvoir se dire : ‘écoute je n’ai pas tenu, je n’ai pas pu’. C’est très important aussi à un moment donné de nous aider, de pouvoir évacuer à la fin, parce que d’ici quinze jours on va voir à peu  près la même chose. Personnellement on ne va pas changer le logement, on va continuer à voir des gens qui habitent dans des endroits très difficiles et donc leur état psychologique est très touché. »

Michel : « Je trouve que c’est très intéressant dans une équipe de médiation que les deux sexes soient représentés, homme et femme. Effectivement il y a quelques fois des situations conflictuelles qui vont se régler très simplement parce que c’est une jeune femme qui va prendre la parole en face d’un grand baraqué, ça peut arriver, ou inversement une dame un peu éplorée qui s’adresse directement au médiateur et qui se fixe sur lui, quelques fois ça débloque les situations. »

1 CAF : Caisse d’allocations familiales.
1 CAF : Caisse d’allocations familiales.

Association de Soutien à la Médiation et aux Antennes Juridiques

ASMAJ : Association de Soutien à la Médiation et aux Antennes Juridiques. Un film d’évaluation de ses pratiques,  a été réalisé par MSE : Moderniser sans exclure. Références : « L'ASMAJ & Moderniser sans exclure présentent des solutions qui se construisent ensemble ». Février 2009 - 39 min. ASMAJ: asmaj@wanadoo.fr, MSE-Sud: accueil@msesud.fr.

CC BY-NC-ND